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Adiel Akplogan : «Beaucoup à faire pour améliorer les services Internet à Maurice»

29 mars 2011, 08:56

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AfriNIC, en quelques mots…

AfriNIC est un registre** qui existe depuis 2004, implanté en Afrique du Sud avant de s’installer à Maurice en 2005.

Le projet, qui a démarré en 2001, gère les ressources Internet de l’Afrique. Avant AfriNIC, ces ressources étaient gérées par les registres américains et européens. Nous avons fait passer ce projet en Afrique en assurant une transition transparente aux utilisateurs.

Nos analystes évaluent les besoins des opérateurs africains et leur allouent des blocs d’adresses pour une période défi nie. Nous évaluons par la suite l’utilisation faite de ces adresses.

Vous avez tenu une conférence de presse récemment pour alerter les autorités sur l’urgence de penser l’introduction de l’IPv6.

Il fallait alerter de l’épuisement inéluctable de l’IPv4 au niveau global. Heureusement, dans la région Afrique, nous avons encore des adresses IPv4. Cela va nous permettre de continuer à en allouer aux opérateurs pour encore un an, voire deux. Il nous faut cependant planifier la transition de l’IPv4 vers l’IPv6. Certaines régions ont déjà commencé à sensibiliser les opérateurs à l’urgence de développer des infrastructures sur l’IPv6. L’Asie, notamment, est à la proue de l’adoption de l’IPv6.

En quoi est-ce une chance d’avoir un an ou plus devant nous ?

La Chine ou la Corée ont, structurellement parlant, la capacité de pouvoir investir dans la transition à l’Ipv6. En Afrique, nous avons moins de moyens. Pour une transition correcte, à moindre coût, il faut nous y prendre tôt, étape par étape. Ce n’est cependant pas une raison pour nous endormir sur nos lauriers.

Mais les deux protocoles IPv4 et IPv6 ne peuvent pas communiquer entre eux, n’est-ce pas ?

Justement, c’est ça le problème. Ils ne sont pas compatibles par défaut. Il leur faut des mécanismes pour communiquer. C’est ce qu’on appelle des mécanismes de transition. Sortes de traducteurs, si vous voulez. Ils vont permettre de faire marcher sur une même machine ces deux protocoles. Ces mécanismes ont été créés pour faciliter la transition, car celle-ci ne se fera pas du jour au lendemain.

Comment les opérateurs orientent-ils la transition IPv4 à IPv6 ?

Généralement, les opérateurs en Asie développent des réseaux internes en IPv6, sans toutefois offrir des services sur ce protocole. La pénétration mondiale de l’IPv6 est de l’ordre de 7,5 % en externe, par rapport à l’IPv4.

Le taux de pénétration en Afrique est de 6 %. Comparativement, on n’est pas plus mal. D’ailleurs, l’Afrique est très en avance par rapport aux Etats-Unis. Cela s’explique surtout par le fait qu’ils ont davantage d’adresses IPv4. L’Internet a démarré chez eux après tout et la plupart de leurs services sont basés dessus. Ils n’ont pas cette urgence comme en Asie ou en Afrique.

Justement, comment se porte l’Internet en Afrique?

L’Afrique a connu, ces deux dernières années, une croissance de plus de 100 % d’utilisation des ressources, des adresses IP, du moins. Les chiffres de ces 10 dernières années montrent que l’Internet a crû de près de 1 000 % dans certains pays comme le Kenya, le Nigeria ou le Sénégal. L’Internet devient un élément critique du développement économique en Afrique. La pose de fibres optiques et l’engagement des opérateurs mobiles dans le transfert de données ont encouragé cela. Je reste convaincu que le mobile, avec les technologies liées, est le futur de l’Internet en Afrique. Maurice est le premier pays en termes de pénétration de l’Internet dans la région, même si pour ce qui est de la qualité, c’est autre chose.

Pourquoi ?

Maurice veut se positionner comme un «hub» en termes d’Internet, de Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Néanmoins, il y a encore beaucoup à faire, surtout au niveau de la connectivité et de la qualité des services Internet, pour atteindre cet objectif. Cela est dû à un manque de pression de la part du consommateur et au fait que le service n’est pas la priorité en général. Maurice ne dispose pas encore de la masse critique de techniciens en TIC de haut niveau. Cependant, la vision reste bonne.

Pourquoi donc avoir basé votre centre administratif à Maurice ?

Pour sa stabilité politique et économique. La stabilité de l’Internet en Afrique dépend de nous. De plus, Maurice est relativement neutre par rapport au continent. L’environnement légal mauricien est propice à nos activités. Nos facilités techniques se trouvent en Afrique du Sud à cause de la disponibilité d’infrastructures et d’une bande passante plus importante. Nous avons aussi des centres de formation au Ghana et au Sénégal et un centre de sauvegarde des données en Egypte. La situation là-bas nous pousse à revoir notre stratégie d’ailleurs. A Maurice, nous avons consolidé notre effectif pour en faire notre quartier général.

L’épuisement de toutes les adresses IPv4 de l’Afrique engendrerait quel scénario?

L’IPv6 n’est plus un choix. La transition se joue au niveau des opérateurs, de leurs ingénieurs et de leurs services. Les gouvernements, eux, doivent pouvoir comprendre la problématique afin d’inciter les opérateurs à prendre des actions rapidement et les encourager à passer à l’IPv6. Par exemple, en encourageant des formations ou l’importation d’équipements fonctionnant sur IPv6. Si les opérateurs veulent grandir, il leur faut passer à l’IPv6. Les gouvernements doivent leur faire comprendre que leur «business model» est le même que celui de l’Internet.

A la lumière des évènements tunisiens et égyptiens, la croissance de l’Internet apportera-t-elle des changements sociologiques profonds sur le continent ?

L’Internet, avec une forte démocratisation des outils, a un puissant impact socio- économique aujourd’hui. Le facteur principal est la démocratisation de l’information.

Non seulement en matière de consommation, mais aussi en termes de production.

Cela change les rapports de force, dans la façon de manipuler et de gérer l’information. La base du développement n’est pas tant économique qu’informationnelle. La donne change, les gouvernements n’ont plus la mainmise sur l’information.

La démocratie prend son plein sens : la volonté de la base va prendre le pas sur la minorité dirigeante. Le processus décisionnel va également changer et créer un équilibre social.

Lexique :

*IPv4, IPv6 : les «Internet Protocol» version 4 et 6 sont des standards informatiques régissant le transfert de données et la communication entre machines sur Internet.

**Registre : organisme chargé de gérer les identifiants par rapport au réseau Internet. Il y en a cinq dans le monde accrédités pour la gestion des adresses IP et autres identifiants. Chacun d’entre eux est responsable d’une zone géographique définie. AfriNIC s’occupe de la région Afrique et océan Indien.

 

 

Ludovic AGATHE