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Affaire Nandanee Soornack: la position du juge Bushan Domah

13 janvier 2013, 00:00

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Affaire Nandanee Soornack: la position du juge Bushan Domah

Le ruling du juge Domah, rendu jeudi, étend jusqu’à vendredi prochain l’injonction provisoire interdisant la publication de détails de la vie privée de Nandanee Soornack aux groupes Le Mauricien Ltd et La Sentinelle Ltd. Dans le document de sept pages, le juge explique sa décision.

Il y fait appel non seulement à des arguments d’ordre juridique, mais aussi à des opinions personnelles sur la polémique qu’a engendrée cette affaire.

Pour bien comprendre le ruling du juge Domah, il faut comprendre la question qu’il lui avait été demandé de trancher. La Sentinelle Ltée avait soulevé un point préliminaire en droit et demandé que l’ordre obtenu ex parte soit immédiatement annulé (discharged). Cette demande en droit était fondée sur le principe simple suivant lequel la personne qui demande un ordre ex parte (en l’absence des parties adverses) a le devoir de faire un «full and frank disclosure» des faits pertinents.

Cela afin que le juge prenne sa décision, en l’absence des parties adverses, mais au moins en toute connaissance de cause. Il est bien établi en droit qu’un «non-disclosure of material facts» entraîne l’«immediate discharge» de l’ordre intérimaire. C’est au paragraphe 31 du ruling que le juge aborde la question en droit soulevée pour la rejeter en deux lignes : «I think this issue of full and frank disclosure is technical for a matter of such magnitude». L’élément le plus essentiel de ce ruling est donc que le juge choisit de ne pas répondre à la question de savoir s’il y a eu ou non un «full and frank disclosure» de la part de la demanderesse. Le ruling ne considère donc pas utile de spécifier quels sont ces faits matériels, mis en avant par les défendeurs dans leur affidavit, qui auraient dû, selon eux, avoir été mentionnés par la demanderesse dans son premier affidavit.

Par exemple le fait que l’incident du 10 décembre 2012 a eu lieu le jour des résultats des élections municipales, en public, dans la cour d’un bureau de vote alors que Mme Soornack était un agent politique of- fi ciel du parti politique au pouvoir. Que ledit incident impliquant la demanderesse avait donné lieu à une PNQ du leader de l’opposition à l’Assemblée nationale le 18 décembre portant sur l’abus des pouvoirs d’arrestation et de fouille de la police dont Mme Soornack aurait été la bénéficiaire et dont un activiste d’un parti d’opposition se disait victime. Ou alors le fait que, deux jours avant que Mme Soornack ne dépose sa demande de gagging order, l’ex- ministre des Finances Pravind Jugnauth avait, dans un statement à la police, accusé Mme Soornack d’avoir obtenu des faveurs politiques dans l’allocation de certains contrats par des institutions contrôlées par l’Etat.

DES POINTS CRUCIAUX À EXAMINER

Le juge Domah explique le maintien du gagging order par la nécessité de continuer l’examen des points «cruciaux» soulevés par cette affaire. Il estime que les affidavits présentés par les parties ne l’ont pas fait jusqu’à présent : «Ils nous laissent sur notre faim.» En attendant de statuer, pouvait- il lever l’interdiction de publication ? Non, car selon lui, «émettre l’ordre cause moins de dommages aux défendeurs que ceux qu’aurait encourus le demandeur s’il n’était pas émis. » Il se fait d’ailleurs l’avocat des « orphelins du système» que seraient Nandanee Soornack et ses enfants, estimant qu’on oublie trop vite leurs droits.

Le ruling s’étend en détails sur le phénomène médiatique engendré par l’affaire.
Bushan Domah trouve que les Mauriciens sont trop prompts à crier au loup. Un phénomène qu’il qualifie de «touni minuit» devenu «touni midi». Il déplore également l’utilisation par la presse des termes «gagging order» et «black-out». Tout en maintenant l’interdiction faite aux journaux de publier les informations qu’ils souhaitent. Lors de la prochaine étape, la phase interlocutoire, le juge Domah explique qu’il faudra répondre à deux questions : «Jusqu’où peut aller la presse dans la vie privée d’un individu ?» et «Nandanee Soornack est-elle un personnage public ?» Début de réponse vendredi.

Domah en voyage

En voyage depuis jeudi, le juge Domah ne reprendra l’affaire qu’à son retour à Maurice cette semaine. Un délai vivement critiqué par l’opposition. Le chef- juge, Bernard Sik Yuen, explique que le déplacement du juge était « prévu de longue date ». Selon lui, «s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, on aurait pu envisager que le juge qui commence l’affaire soit remplacé par un collègue, ou qu’il annule ses obligations à l’étranger.» Or, aucune question de vie ou de mort ici. Juste de liberté d’expression.

 

Lexpress Dimanche