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Alain Meunier : « Tirer à Maurice le plus grand feu d’artifice du monde »

29 décembre 2013, 15:58

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Alain Meunier : « Tirer à Maurice le plus grand feu d’artifice du monde »

Il est Français, fraîchement installé à Maurice et considéré comme l’un des maîtres artificiers les plus innovants du moment. Rencontre tout feu, tout flamme en guise de mèche de la Saint-Sylvestre.

 

 

● L’homme a toujours été attiré par le feu. Les maîtres artificiers qui le domptent se rapprochent-ils des magiciens ?

Magicien, je ne sais pas. Ce qui se joue est de l’ordre du pouvoir, une sensation de puissance. Appuyer sur un bouton et voir des tonnes d’explosifs déchirer le ciel sous les yeux ébahis de centaines de milliers de personnes, ça a un côté grisant, ça flatte l’ego.

 

 

● Etes-vous de mèche avec Zeus ?

(Rire) Tout le monde l’ignore ! L’artificier est un artiste de l’ombre : il illumine le ciel pour les foules mais il reste anonyme, c’est parfois frustrant.

 

 

● Pourquoi certains feux font plus crépiter d’émotion que d’autres ?

Comme il y a les peintres pompiers et les toiles chargées, il y a les feux qui en font trop et qui en mettent plein la vue sans répit. C’est assommant, le public s’ennuie. On pense à tort qu’un bouquet final de 25 minutes va plaire, alors que c’est le rythme qui compte. « Pourquoi jouer tant de notes alors qu’il suffit de jouer les plus belles », disait Miles Davis. Pourquoi mettre autant de poudre dans le ciel alors qu’il suffit d’avoir la bonne bombe au bon moment ? Un feu d’artifice a ses lois, mais les transgresser peut amener à de nouvelles émotions. Je me souviens d’un bouquet qui se terminait tout en douceur, le public avait trouvé ça grandiose.

 

 

● Vous avez eu une première vie de mathématicien. Comment passe-t-on de démêleur d’équations à créateur d’émotions ?

Très naturellement ! (rire) Il suffit d’être passionné de pyrotechnie et de vivre sur la Côte d’Azur au moment de boucler sa thèse de doctorat sur les équations différentielles partielles non-linéaires. La Côte d’Azur, l’été, c’est la Mecque du feu d’artifice. Tous les trois jours, je voyais un nouveau spectacle. A six mois de terminer ma thèse, j’ai tout plaqué pour aller tirer des pétards (rire). J’ai envoyé mon CV aux deux plus grosses sociétés françaises de spectacles pyrotechniques. Musicien, chercheur au CNRS, études aux Etats-Unis, ça les a intrigués, et je me suis retrouvé chez Lacroix [un des leaders mondiaux de la pyrotechnie, ndlr] en charge de la bande-son et des tirs informatisés.

 

 

● Devient-on cracheur de poudre sans brûler soimême d’un feu intense ?

Je ne crois pas. Chez moi, la passion remonte à loin. Enfant, j’ai fait brûler le balcon en faisant des expériences de pyrotechnie. Ado, il y a eu une révélation, un spectacle m’a littéralement transporté. J’ai dit au pote qui m’accompagnait « un jour, c’est moi qui serai làbas », en montrant la régie. Et cinq ans plus tard, j’y étais. Ce jour-là, j’ai attrapé mon rêve.

 

 

● Aujourd’hui, vous parcourez le monde avec vos bombes et vos mortiers. On imagine que vos flambantes sauteries crament un paquet de millions en quelques minutes...

Mon spectacle le moins cher a coûté 5000 euros [Rs 200 000, ndlr] et le plus gros 200 000 euros [Rs 8 millions]. Il y avait presque un million de personnes, ça fait 20 centimes d’euros par spectateur, qui dit mieux ?

 

 

● Un spectacle de vingt minutes résumé en quelques chiffres, ça donnerait quoi ?

Deux mois de préparation, trois jours de mise en place par une équipe d’une douzaine de personnes, 700 kilos d’explosifs, 12 000 projectiles. C’est grosso modo les chiffres du 14-Juillet de Saint-Denis, à La Réunion, un feu que je dessine depuis deux ans avec la société Bangui.

 

 

● Outre la poudre, vos shows convoquent la musique, la lumière et les effets spéciaux. Le comble du chic pyrotechnique ?

C’est une évolution. La pyrotechnie reste la pièce maîtresse du spectacle, mais on la scénarise de plus en plus avec des lasers, des écrans d’eau, des projections d’images. C’est du spectacle multimédia, de la pyrotechnie 2.0. On manie autant les ordinateurs que la poudre. Le cirque a fait sa révolution, le feu d’artifice commence la sienne.

 

 

● L’innovation majeure de ces dernières années, c’est l’informatique ?

Oui, le tir informatisé a décuplé les capacités humaines. Après, il faut se méfier du tout-technologique. Il y a quelques années, l’informatique a tout envahi. On en est revenus car les spectacles devenaient lisses, on perdait de la chaleur… et en pyrotechnie c’est gênant ! (Rire)

 

 

● La technologie a évolué mais la matière première du pyrotechnicien est restée la même…

Absolument. C’est la fameuse poudre noire, la poudre à canon [75% de salpêtre, 12,5% de soufre, 12,5% de charbon de bois, ndlr]. Elle a été découverte en Chine au VIe siècle et demeure la base de toute composition pyrotechnique.

 

 

● Vous jouez avec des tonnes d’explosifs devant des milliers de gens. Le risque vous terrorise-t-il ?

Non, sinon je ne ferais plus ce métier. Il y a de la peur, oui, mais elle est atténuée par la maîtrise du risque. Un artificier qui n’a plus peur devient dangereux. En Europe, les accidents sont rares. Les risques pour la population et les biens sont pris en compte tout au long du processus.

 

 

● Contrairement à la Chine où c’est l’hécatombe chaque année dans les usines…

En effet, il y a encore de trop nombreux accidents, mais les acheteurs européens et américains sont des plus regardants sur la sécurité et celle-ci s’améliore.

 

 

● A Maurice, l’usage des feux d’artifice pour les particuliers est très peu réglementé, cela vous étonne ?

Pour un Européen, forcément, ça surprend. Même le stockage laisse à désirer. La première fois que j’ai vu une montagne d’artifices posée au beau milieu d’un supermarché, ça m’a fait bizarre. On me dit qu’il n’y a jamais eu de catastrophe, mais il ne faut pas attendre qu’il y en ait une pour améliorer la législation, sans tomber toutefois dans l’excès inverse commeen France, où il faut douze autorisations pour craquer une allumette.

 

 

● Quelles précautions de base doit prendre monsieur Tout-le-monde pour tirer unfeu ?

Les accidents surviennent le plus souvent quand le produit bascule et tire à l’horizontale. La première règle est de bien fixer le produit et de respecter une distance de sécurité raisonnable - on ne tire pas à deux mètres d’une maison. Ne jamais faire allumer la mèche par un enfant ou saisir un produit qui n’a pas explosé. Les artificiers ont une règle d’or : personne ne va sur le site de tir dans les trente minutes qui suivent la fin du spectacle. Une fois sur place, on noie les produits non-partis avec de l’eau.

 

 

● Avant, pendant et après un feu, par quelle palette d’émotions passez-vous ?

Juste avant de tirer, j’ai le trac comme un musicien qui entre sur scène. Dès que la première bombe part, la concentration est totale, je ne profite pas du spectacle. C’est aussi un plaisir très intense, une vraie drogue. Mettre le feu aux poudres pour hypnotiser les foules, c’est jouissif. L’informatique a un peu ôté ce plaisir. Pour le retrouver, je garde parfois une partie en mode manuel. A la fin du spectacle, je me mêle à la foule pour écouter les commentaires. Si j’entends juste « c’était un beau feu », je suis déçu.

 

 

● Quand est-ce que le pari est gagné ?

Quand les gens sont surpris, quand ils disent « whaou, je n’avais jamais vu ça ! ». J’ai conservé mon âme de chercheur, je cherche à innover en permanence. C’est d’ailleurs comme cela que je suis devenu designer de shows laser.

 

 

● À son apogée, au XVIIIe siècle, le feu d’artifice était considéré comme un art à part entière. Regrettez-vous qu’il soit considéré aujourd’hui comme un divertissement populaire ?

C’est même pire que ça. Dans les appels d’offres en France, les municipalités nous classent dans la catégorie « fourniture », au même titre que les lampadaires ou les bancs publics ! On est jugés sur le nombre de bombes, ce qui est totalement débile : on ne demande pas à un peintre la quantité de peinture dans son tableau, ni à un chanteur le nombre de mots dans sa chanson. Ce qui est important, c’est que l’émotion passe.

 

 

● Le feu d’artifice doit-il être considéré comme un art à part entière, selon vous ?

Oui. Un feu s’écrit, se dessine, par tableaux, au crayon ou au pinceau, sur ordinateur ou calé sur une bande musicale. C’est une création artistique unique, sans répétition possible, ni avant, ni après, car une bombe ne part jamais de la même façon. C’est un art de l’éphémère qui crée du souvenir. Et il est universel : il est rare de trouver dans le monde une personne qui n’ait jamais vu de feu d’artifice.

 

 

● Que faites-vous du côté populaire et festif ?

C’est très bien qu’il existe, il faut évidemment le conserver. Mais à côté de ça, il y a aussi du grand spectacle, avec une construction, une scénographie, une réalisation, une mise en tension du public. La pyrotechnie devient alors la forme artistique la plus maîtrisée de l’explosion et de l’étincelle.

 

 

● Outre le fait de payer moins d’impôts, pourquoi avoir décidé de vous installer à Maurice en mai dernier ?

(Rire) L’histoire commence il y a dix ans. A l’époque, Impact Production, une société mauricienne, commençait à faire des feux d’artifice et je suis venu leur donner un coup de main. Depuis, on a travaillé ensemble à plusieurs reprises, sur un spectacle à Cannes, sur le feu du 31 décembre 2012 du Saint-Géran ou cette année sur le design du show laser des 45 ans de l’Indépendance, avec la société Move For Art. Il se trouve que dans le même temps, l’île de la Réunion m’a également beaucoup sollicité. Au bout d’un moment, m’installer dans la région est devenu une évidence, d’autant que le coin me plaît et les gens aussi.

 

 

● Beaucoup d’artificiers travaillent-ils comme vous en indépendant ?

A ma connaissance, nous sommes une dizaine dans le monde.

 

 

● Quel est votre rêve d’artificierle plus allumé ?

Pour Maurice, j’en ai deux. Le premier est en réflexion, j’y travaille avec Impact Production. Il s’agit de créer un festival de pyrotechnie, mais un peu différent, axé sur le design multimédia, ce serait une première mondiale. Le but est de mettre un coup de projecteur sur Maurice en invitant des designers et des pyrotechniciens 2.0 qui évoluent vers le spectacle complet. On peut imaginer un festival itinérant qui se déplacerait d’hôtel en hôtel.

 

 

● Et le deuxième ?

Je rêve d’encercler Mauricede feux d’artifice. Placerdes barges remplies de bombestous les 500 mètres et tirerle plus grand feu d’artificedu monde.

 

 

● Ce ne serait pas vous, le barj’ ? 

C’est très possible… un fou d’artifice ! (Rires)