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Alain Romaine : «Les gens ne suivent plus les mots d’ordre»
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Alain Romaine : «Les gens ne suivent plus les mots d’ordre»
Le prêtre catholique Alain Romaine commente l’actualité politique en cette fin de campagne. Il prend aussi la défense du père Grégoire alors que, sur le plan électoral, il note un revirement de situation de ce que tout le monde pensait à la dissolution du Parlement.
¦ Quels sont vos principaux constats sur la campagne électorale ?
Je constate, peut-être par ce que la campagne est courte et a pris tout le monde de court, qu’on n’a pas eu droit au folklore habituel.
J’ai aussi l’impression, à quelques jours du scrutin (ndlr : l’entretien a été réalisé vendredi dernier) que les gens ont déjà pris leur décision. Il n’y a pas beaucoup d’indécis.
Les radios libres ont joué un rôle formidable en libérant la parole des gens. Je relève aussi que, durant ces deux dernières semaines, les fameux épiphénomènes sectaires ont été relégués et étouffés.
Il y a un fond de vivre-ensemble qui semble prendre le dessus.
Les politiques qui viennent pour faire peur n’atteignent pas leur objectif.
Je ne crois pas qu’il y ait des réflexes sectaires. Quelque chose se joue sur la mauricianité. L’action de Rezistans ek Alternativ y est pour quelque chose. Même si les gens n’adhèrent pas à son discours, ce mouvement a pointé un cap. Même si l’ancrage communautaire est toujours là, je vois se dégager une conscience citoyenne.
¦ Est-ce à dire que l’électeur mauricien a mûri ?
Plus on avance dans le temps, plus il y a une conscience mauricienne du vivre-ensemble qui s’exprime. La libéralisation de la parole et le rôle joué par les chaînes satellitaires ont permis aux gens de s’ouvrir au monde. Ne parlons pas de la MBC qui reste une boîte à propagande au service des gouvernants du jour.
De surcroît, les nouvelles technologies ont précipité l’évolution des Mauriciens. Si on compare les électeurs, d’une élection à une autre, nous pouvons dire qu’il ne se comporte pas en mouton de Panurge qui gobe tout. Il y a aussi le rôle joué par les femmes. Les politiques, surtout les gouvernants, ont été confrontés aux femmes qui les interpellent et, là, il faut savoir argumenter.
Même dans les milieux d’église, on sent que les gens ont de la répartie. Ils sont mieux informés, surtout grâce à la télé satellitaire.
¦ La Fédération créoles mauriciens (FCM) joue un rôle majeur dans ces élections. En quoi, influe-t-elle sur l’électeur créole ?
Il faut revenir à cette communauté créole d’il y a deux-trois ans et de son évolution par rapport à la question identitaire. Il y a d’abord eu cette volonté de sortir de ce fourre tout qu’est la population générale.
Il y a eu aussi une relecture, par les intellectuels créoles, à l’intérieur de l’église, de l’histoire du créole. Les créoles se sont retrouvés ensuite en Jocelyn Grégoire, qui est doté d’un charisme certain, un peu comme dans d’autres pays des gens se retrouvent dans les leaders noirs.
Il y a eu une volonté d’émancipation, de sortir de cette catégorie de citoyens de seconde zone. Le créole a besoin d’un leader. Son attachement à l’église à travers la figure du père Laval fait que ce leader ne pouvait provenir que de cette église. Jocelyn Grégoire incarne ce leadership. Mais il faut aussi savoir que dans la tradition ecclésiale, le prêtre n’est pas qu’un officiant. Il est membre à part entière de la communauté.
Je crois que les créoles ont fini de faire le deuil de Gaëtan Duval, si bien que les politiques ne peuvent pas comprendre que Jocelyn Grégoire ait un tel impact sur les créoles. Sa posture n’est pas partisane.
Il s’est positionné par rapport au pouvoir en place qui lui avait promis que la question créole serait prise en considération.
Ensuite Ramgoolam a annoncé les élections sans qu’il n’ait tenu ses promesses, dont celle sur la langue créole. La question de la langue est liée à celle de l’identité.
D’autant plus que cette alliance entre le MSM et le PTr, que tout le monde s’explique mal, a créé une dynamique réactive sur le plan identitaire et c’est Ramgoolam qui en est la cause. Maintenant, Grégoire ne fait que renvoyer ce que les créoles sentent eux-mêmes. Il va au-delà de la question de voter pour qui. Il est en train de constituer une force politique. Ce qui n’a jamais été le cas. Il agit en agent de cohésion de la communauté créole.
C’est ainsi que demain, on pourra dire qu’il y a un électorat créole.
¦ En quoi est-ce important d’avoir un électorat créole ?
Dans sa dimension métisse et sa dynamique inclusive, le créole incarnera le Mauricien. Cela pourrait être jugé comme prétentieux mais je crois que le créole préfigure la citoyenneté mauricienne.
¦ Etre créole, ce n’est pas être catholique ?
Oui. Il y a certainement un ancrage dans l’église catholique.
Mais déjà, dans cette perspective, il y a les Mission Salut et Guérison, les pentecôtistes, tous les mariages mixtes… Ce qui fait le créole, c’est une langue, c’est le fait d’être sur une île, la cuisine, les échanges…
¦ Pour revenir à Jocelyn Grégoire, en quoi son action est-elle différente des groupes dits socioreligieux ?
Il n’est pas un leader autoproclamé et les gens s’identifient à lui. Ça, c’est fondamental. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’ambigüité. Mais il est assez intéressant de noter que ceux qui sont à l’affût de leur «bout» procèdent par dénigrement pour neutraliser son impact.
¦ Est-on condamné à parler en termes de lascar, malbar, créole ?
Plus le peuple sera éduqué et éclairé, plus sa capacité de discernement sera grande, plus on aura des chances de voir s’installer le pouvoir citoyen. On est dans une phase transitoire. On est victime d’une école qui nous a mis dans un carcan où ce sont les autres qui décident pour nous.
¦ Comment voyez-vous cette fin de campagne ?
Il y a un revirement de situation.
Le fait que les élections se tiennent en un mois a bousculé les plans de Ramgoolam. Il pensait que le peuple allait agir en mécanique. Aujourd’hui, les Mauriciens sont très sensibles à la justice. S’il y a un sentiment qu’on est manipulé et dominé, on réagit.
Je tiens aussi à dire que ceux qui bénéficient de ce revirement ne le font pas par leur mérite mais par ce que l’autre camp s’est affaibli.
Ça, ce n’est pas très bon pour la pensée citoyenne.
J’ai l’impression que nos politiques sont déconnectés des gens.
Ceux-ci sont habitués à vivre ensemble, à avoir un contact direct.
Les politiques sous-estiment cela.
Finalement, je voudrais revenir sur cette question de consigne. Et je dois dire que les gens ne suivent plus les mots d’ordre. Ils avaient cours à l’époque où les gens disaient à quelques-uns de réfléchir pour eux.
Propos recueillis par Nazim ESOOF
 
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