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Alain Tolbize : « L’indépendance est la solution pour Rodrigues »

16 septembre 2010, 10:20

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Quel est le fond du conflit qui oppose votre syndicat aux autorités mauriciennes?

Le mal comprend deux racines. Il y a d’abord cette discrimination pratiquée contre les fonctionnaires rodriguais. Sur le plan des conditions de travail, de la rémunération et des perspectives de promotion, ils sont soumis à un autre régime que leurs collègues mauriciens. Le deuxième problème, et cela dure depuis avant que Rodrigues ait obtenu son autonomie, c’est que le gouvernement central applique une politique conçue uniquement en fonction de la réalité mauricienne. Le schéma est appliqué sur Rodrigues qui vit, elle, d’autres réalités. Ainsi, lorsque le gouvernement décide de geler les recrutements, il est motivé par le contexte mauricien. Alors que dans le même temps, des postes qui auraient dû être remplis à Rodrigues demeurent vacants.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de la société rodriguaise sur le plan économique?

A la différence de Maurice, l’économie rodriguaise n’est pas capitaliste. Elle est agricole et artisanale. Ce n’est pas une économie qui repose sur le libéralisme. Nos acteurs économiques sont des pêcheurs, des paysans, des éleveurs… Ce qui implique que c’est le gouvernement, à travers la fonction publique, qui remplit les fonctions du secteur privé. Par exemple, il se doit d’assurer un service de santé efficace. Autrement, c’est la population rodriguaise qui en souffre. Que ce soit pour l’agriculture ou la pêche, il se doit d’offrir des facilités pour que les Rodriguais puissent travailler et gagner leur vie décemment.

Qu’est-ce qui explique la position des autorités mauriciennes vis-à-vis de Rodrigues sur toute cette question ?

Cela fait plus d’une quinzaine d’années que nous, au sein de la RGEA, menons un combat sans relâche pour éliminer les discriminations contre les fonctionnaires rodriguais. A cet effet, nous avions entré une affaire en cour contre l’Etat mauricien en 1993. Nous soutenions alors que ces discriminations se faisaient à cause de notre lieu d’origine et que nous étions moins bien traités que les Mauriciens.

Nous disions aussi que le gouvernement accorde plus d’attention aux Mauriciens venant travailler comme fonctionnaires à Rodrigues qu’aux natifs qui travaillent au sein de la fonction publique. Par exemple, ces Mauriciens bénéficient d’un billet d’avion gratuit pour venir se soigner à Maurice lorsqu’il n’y a pas de traitement adéquat à Rodrigues. Le Rodriguais n’aurait-il donc pas droit à un service de santé approprié?
Après plus de cinq ans, la cour prononçait un verdict défavorable pour nous. A l’époque, j’affirmais déjà que c’était un verdict digne d’un pouvoir colonial. Aujourd’hui, je comprends qu’il y a une logique dans ce verdict : n’étant pas Mauriciens, nous ne pouvons aspirer à un traitement égal aux Mauriciens !

Quelles sont aujourd’hui vos revendications?

Nous demandons simplement l’application des recommandations du Pay Research Bureau (PRB) de 2008 qui, entre autres, proposent que le fonctionnaire rodriguais dispose d’un billet gratuit pour venir se soigner à Maurice lorsque le traitement ne peut être assuré à Rodrigues. Notre combat consiste toujours à revendiquer un service public efficient qui réponde aux attentes des Rodriguais et mette en oeuvre les décisions de l’Assemblée régionale. Chaque société a ses spécificités. Nous ne deviendrons pas une société capitaliste du jour au lendemain. A Rodrigues, les gens font de la pêche, de l’artisanat, de l’élevage, un peu de tourisme et travaillent dans de petits commerces. Nous n’avons pas la possibilité d’avoir une grande usine comme à Maurice. Or, lorsqu’on présente un budget, on ne tient compte que des seules réalités mauriciennes. Nous avons deux sociétés avec deux maladies différentes et nous prescrivons le même traitement aux deux.

En outre, comment espérer qu’un monde des affaires puisse se développer dans un contexte de globalisation? On essaie, c’est vrai, toutes sortes de formules. Par exemple, lorsqu’il était ministre des Finances au sein du gouvernement Mouvement socialiste militant (MSM)-Mouvement militant mauricien (MMM), Paul Bérenger disait à la fois vouloir encourager l’entrepreneuriat et faire de Rodrigues une île hors-taxe. Des gens ont ainsi investi dans la fabrication de meubles. Or, comment rivaliser avec les meubles importés de pays asiatiques? Il y a une volonté politique contradictoire pour Rodrigues.

Mais ce n’est pas en augmentant le nombre de fonctionnaires qu’on va résoudre ces problèmes…

Je ne suis pas pour une fonction publique surnuméraire où on crée des postes juste pour donner du travail aux gens. Dans son rapport de 2008, le PRB a proposé qu’on fasse une évaluation des ressources au sein de la fonction publique et qu’on dote l’île des structures dont elle a besoin. Cet exercice aurait dû être complété avant fi n 2009. Deux personnes sont même venues à Rodrigues pour entamer l’exercice. Depuis, plus rien. J’espère que le prochain budget recommandera des postes vacants au sein de la fonction publique rodriguaise. Autrement, on risque de se retrouver en 2011 sans que rien n’ait été fait.

Normalement, il aurait dû y avoir quelque 4 000 fonctionnaires. Or, près de 1 800 postes n’ont pas été remplis. On se sert de l’exercice d’évaluation pour ne pas effectuer de nouveaux recrutements. On nous dit qu’on veut moderniser l’île mais on n’applique pas les recommandations du PRB. Celui-ci avait proposé, en ce sens, la création d’un département tourisme. Les postes qui devaient être créés pour son fonctionnement ne l’ont jamais été.

Et que fait l’Assemblée régionale pour changer les choses?

Durant la dernière législature, on mettait tout sur le dos de Sithanen. Cette foisci, les représentants du même parti se retrouvent aussi bien à l’Assemblée régionale qu’au gouvernement central. J’espère qu’ils sauront faire entendre notre voix. Si dans une telle configuration, nous n’obtenons pas ce que nous méritons, la question de l’intégration prendra un sale coup. Depuis quelques années, plus de Rodriguais viennent tenter leur chance à Maurice même s’ils savent que les conditions de vie sont pénibles.
Le scénario de l’autonomie était le meilleur pour améliorer la situation. Toutefois, on a pu constater qu’il ne fonctionne pas. Je suis convaincu que l’indépendance est la solution pour Rodrigues. Cela ne veut pas dire que je suis anti-Mauricien mais je pense qu’il est temps de sauver la société rodriguaise.

On sent chez vous une certaine frustration vis-à-vis des élus rodriguais…

L’autonomie devait être un approfondissement de la démocratie. Or, les autorités ne sont pas à l’écoute de la population rodriguaise. A ce niveau, l’Assemblée régionale a sa part de responsabilité. J’ai l’impression que cette situation arrange ses représentants. Le chef commissaire donne l’impression de ne pas tenir en haute estime la fonction publique.

Je cite un exemple de dysfonctionnement. Il y a un gros problème d’eau à Rodrigues. Alors qu’il y a des postes toujours vacants au sein de la Water Unit, on a créé une compagnie privée pour gérer l’approvisionnement en eau. Une compagnie qui comprend des politiques comme actionnaires. On n’a pas d’argent pour faire fonctionner la Water Unit mais, parallèlement, on vote des fonds pour payer une compagnie privée ! Je sens qu’il y a une volonté de destruction programmée de la fonction publique. Il y a une telle ingérence politique dans son fonctionnement quotidien que des commissaires usurpent le rôle des fonctionnaires cadres.

 

Interview réalisée par Nazim ESOOF

 

Nazim ESOOF