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Alcatraz, l'antichambre de la mort
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Alcatraz, l'antichambre de la mort
Alcatraz, l'antichambre de la mort et de la prison. Tous ceux qui ont séjourné au centre de détention des Casernes centrales ne sont pas près d'y retourner. Le Burundais en quête d'asile Sele-mani Ndikumana, 29 ans, a toujours peur de s'y retrouver s'il parle de cet épisode de sa vie. Arrivé à Maurice le 26 avril, grâce à un faux passeport, il a passé trois mois à Alcatraz avant qu'il ne soit «découvert» par l'avocat Rex Stephen. Lui qui fuyait les horreurs de son pays miné par la guerre civile, ne s'attendait pas à trouver ce genre de cachot dans cette petite île réputée pour être la plus développée et la plus démocratique du continent noir. «J'avais l'impression d'être dans une tombe. Cela a été très dur. De ma vie, c'était la toute première fois que je me retrouvais en prison», nous a raconté le bijoutier dans un entretien en juillet dernier. En attente d'une terre d'accueil depuis bientôt six mois, il a peur d'évoquer de nouveau son calvaire. Peur que les autorités ne l'y envoient de nouveau. «J'étais enfermé vingt-trois heures sur vingt-quatre. La première semaine, je n'arrivais pas à manger. Je me disais que c'en était fini de ma vie. Je ne pouvais m'attendre à aucune aide, je ne savais pas quoi faire, j'étais perdu.» Claustrophobe ou pas, tout individu normal serait assailli par un sentiment similaire. Shakeel, jeune comptable qui a passé deux jours et deux nuits à Alcatraz, garde encore en lui ce «cauchemar». Des rats qui défilent dans le couloir étroit, le matelas et la couverture qui dégagent une odeur nauséabonde, la cellule plongée en permanence dans la pénombre : c'est l'image somme toute lugubre que retient Shakeel d'Alcatraz. Se souvenir de cet emprisonnement fait rejaillir le cauchemar chez le jeune homme. «Vous savez, vous allez me faire revivre de mauvais moments si je vous raconte mon histoire», lance-t-il en tirant sur sa cigarette. Comptable de profession, il est arrêté le samedi 10 janvier 2004 à l'aéroport alors qu'il s'apprêtait à s'envoler pour la France. Conduit au poste, des policiers lui expliquent qu'il sera interrogé pour fraude au Central CID. Questionné en l'absence de son avocat, il accepte les faits qui lui sont reprochés et le voilà embarqué pour Alcatraz. «On m'a emmené là-bas parce qu'il n'y avait aucune cellule disponible ailleurs. J'ai appris que j'allais passer le week-end au Detention Centre. J'étais anéanti et couvert de honte.» En franchissant le portail d'Alcatraz, sa première impression est que c'est un centre somme toute rustique, meublé avec des vieilleries. Il est près de 13 h 30 et après une fouille en règle, il doit longer un long couloir pour se retrouver en cellule. Celle-ci se compose d'une «table» en béton et d'un matelas sur le sol. Une couverture rouge apparemment jamais lavée lui donne la nausée. Pire, une bouteille d'eau vide fait office d'urinoir. Les barreaux à la lucarne laissent à peine voir ce qu'il y a à l'extérieur. «J'ai commencé à pleurer. Il n'était pas question de me servir de la couverture et du matelas. J'ai préféré dormir sur la «table» en béton qui était en fait le lit.» La nourriture étant infecte, l'assiette en aluminium laissant à désirer, il a préféré attendre que son épouse lui fasse parvenir des mets plus digestes. La nuit, les détenus se parlaient entre eux et les rats ne cessaient de défiler dans le couloir. Le matin, c'est la toilette dans la cour. Un bassin en béton avec trois robinets ainsi que trois douches froides sont mises à la disposition des «locataires». Certes, comme le confie Patrick, un habitué des lieux : «Si on est soupçonné d'avoir commis un crime, on ne peut pas s'attendre à être bien traité.»
« En detention pena privilez »
Depuis 1994, il a fait des allées et venues à Alcatraz pour des délits de drogue et à chaque fois il a pu s'en tirer pour manque de preuves comme il aime à le dire. «Li kuma ene cachot, li ena cell deux cotes. Mari chaud, mai normal nu dan Port-Louis», explique ce présumé trafiquant de drogue. «En detention pena privilez. Kot met ou, ou bizin contente ou de sa. Mai fos pou dir zot bater dan Alcatraz. Li prop, mai matelas ek molleton malang. Kuma mwa mo conteste. Ena non, zot pa pu dire narien», raconte Patrick. Et il revient sur l'affaire Kaya et parle «en connaissance» de cause, ayant fréquenté des toxicomanes, pour dire que le chanteur n'a pas été brutalisé mais qu'il a sans doute été victime de sa dépendance aux substances entre les murs d'Alcatraz. Depuis le décès du chanteur, nombreux sont ceux qui ont demandé la fermeture de ce centre ou la détention des seuls suspects impliqués dans des cas «sensibles». Car bien malgré lui, Alcatraz traîne une sale réputation. «Li pas fit pou ferme dimoune, li bien degoutan et cachot mari etroit. Aeration horrib, intenable», lâche l'avocat Jean-Claude Bibi qui lutte aussi pour le respect des droits de l'homme.
Un brin d'histoire
Construites par Mahé de Labourdonnais en 1767, les cellules d'Infantry Barracks étaient, à l'origine, destinées aux soldats. Par la suite, le bâtiment fut transformé en dispensaire pour la Croix-Rouge avant d'être reconverti en «store». C'est en 1922 que la police prend possession des bâtiments. En 1960, sous les Anglais, il changera de nom. Il sera baptisé Line Barracks., explique l'ASP Joe Mootoosamy. En 1980, le «store» est transformé en cellule de haute sécurité. C'est à cause de ses portes en fer qu'on la comparera à la prison d'Alcatraz en Amérique. Après la mort de Kaya dans l'une de ses cellules en 1999, le Detention Centre est rénové. Les portes en fer ont été enlevées pour être remplacées par des barreaux. Outre Kaya, Alcatraz a hébergé des détenus «célèbres» tels sir Bhinod Bacha, Robert Lesage ? suspect dans le détournement des fonds de la NPF à la MCB ?Cehl Meeah, Bernard Maigrot et Rajen Sabapathee.
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