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Ambal Jeanne : «Les hommes doivent cesser de penser que leur conjointe est leur objet»

28 février 2014, 00:34

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Ambal Jeanne : «Les hommes doivent cesser de penser que leur conjointe est leur objet»

Directrice de SOS Femmes, une ONG qui vient en aide aux femmes victimes de violences conjugales, Ambal Jeanne jette un regard dépassionné sur les derniers cas de femmes assassinées par leur conjoint. Elle pense qu’éduquer les Mauriciens dès l’école primaire changerait la relation dominant-dominé qui s’est instaurée dans notre société.

 

Cinq femmes massacrées en moins de deux mois. Que vous inspire ce phénomène ?

J’en suis attristée. La violence faite aux femmes est devenue un véritable fléau. L’Organisation mondiale de la santé qualifie déjà la violence conjugale de pandémie. Une femme sur trois est victime de violence au niveau planétaire, signe qu’on fait face à un problème de société très grave.

 

À Maurice, une femme sur quatre est passée à tabac selon l’ONG Gender Links. Cela vous choque-t-il ?

Pas tellement. C’est peut-être parce que je côtoie les victimes au quotidien. C’est malheureux que des femmes qui avaient foi en une relation basée sur l’amour reçoivent des coups en retour. Nous nous retrouvons alors devant des femmes inertes. Leurs enfants peuvent plaisanter avec elles, mais elles restent insensibles.

Souvent, dans les cas de violence domestique, des femmes auraient encore été en vie si elles avaient réclamé de l’aide. Elles subissent en silence, estimant que si elles dénoncent leur bourreau, elles vont briser leurs foyers.

 

Il y a des enfants devant lesquels ces violences sont perpétrées…

C’est ce qui est encore plus révoltant. Qu’elle soit morale ou physique, la violence laisse des séquelles chez l’enfant qui en a été témoin. Dans deux des cinq cas répertoriés jusqu’ici, le meurtrier a agi sous les yeux de ses enfants. L’enfant ne s’en sort pas indemne…

 

Perpétuant un cercle vicieux…

Si ces enfants ne bénéficient pas de thérapies adéquates, ils ne sauront pas que ces actes sont condamnables. Ils peuvent être traumatisés à vie, devenant des adultes violents. Il ne faut pas oublier que la victime, voire le meurtrier, a été une personne pour laquelle ils avaient de l’attachement, des sentiments.

 

La femme n’est-elle pas coupable ? En se soumettant au mari censé être un être supérieur ?

Nous devons remettre absolument en question l’éducation de nos filles. Il faut un changement de mentalité. Hommes et femmes sont égaux. Dans notre société masochiste, certains parents font du bourrage de crâne à leurs filles : en leur disant qu’elles doivent être des femmes soumises.

 

«Moi ki mari» quoi…

Voilà. Moi ki mari. Li mari sa… Comme quoi c’est le mâlequi domine. Ce langage sexiste doit disparaître pour favoriserune relation basée sur le respect et l’égalité.

 

Rassurez-nous, vous-même et SOS Femmes n’êtes pas anti-hommes…

Pas du tout ! Nous sommes contre la société patriarcale. Nous voulons d’une société plus juste. Et non pas oppressive, voire aliénante.

 

Avec ces cinq meurtres, il semble qu’on soit face à des copycats. Est-ce que les médias ont une part de responsabilité ?

Les médias ont un rôle à jouer. Ils ne font que leur métier : celui d’informer. Les conjoints violents deviennent de plus en plus barbares dansleurs actes. Il y a une escalade.Aujourd’hui, on s’aperçoit que les hommes ayant une arme blanche sous la main sont plus aptes à l’utiliser contre leur conjointe qu’auparavant.

 

Pourtant, en 2008, huit femmes sont mortes sous les coups. C’est à comparer à dix en 2009, six en 2010, sept en 2011, douze en 2012 et six en 2013. Comme on peut le constater, ces chiffres ne sont heureusement pas constants.

 

 

Est-ce l’effet «film indien» qu’on décrivait il n’y a pas longtemps ?

Je ne crois pas. Les hommes doivent apprendre à mieux se contrôler. Et de ne pas penser que la femme est leur objet. On voit souvent ce genre de raisonnement dans les crimes perpétrés jusqu’ici : si to pa pou vinn pou mwa, to pa pou vinn pou enn lot.

 

 

Êtes-vous aussi en faveur de la peine de mort ?

Je ne crois pas que ce soit une solution. La violence en gendre la violence. Il faut un programme d’éducation à long terme. En enseignant les valeurs humaines et le respect de la femme dès l’école primaire.

 

 

De quelles formes de violence avezvous été témoins chez SOS Femmes ?

Il y a plusieurs déclinaisons. La violence peut être psychologique. C’est une forme bien souvent invisible. Il y a le chantage émotionnel.

 

Économique aussi. L’homme prive la femme de moyens pour nourrir ses enfants, par exemple. On a eu le cas d’une femme, haut cadre dans le privé, qui n’avait pas le moindre sou sur elle. Le mari accaparait ses revenus.

 

Des fois, l’homme laisse croire à la femme qu’il peut la priver de la garde de leurs enfants. Ou l’empêcher de les voir si elle ne retourne pas vivre à ses côtés après qu’elle lui a servi de punching-ball.

Le cas le plus grave est celui d’une jeune femme brûlée vive sous les yeux de ses enfants. C’est lorsqu’elle est retounée chez elle, après avoir trouvé refuge dans notre centre, que cet incident s’est passé.

 

Quelle est la classe sociale la plus touchée ?

Toutes les classes y passent. La violence touche aussi bien la moyenne bourgeoisie que la classe ouvrière. Étrangement, c’est cettedernière qui a plus tendance à se manifester auprès des autorités. La moyenne bourgeoisie,elle, craint davantage les ragots. Les qu’en-dira-t-on. Ces femmes préfèrent souffrir que de voir leur vie briséeétalée sur la place publique.

 

Combien de femmes battues se trouvent à votre centre en ce moment ?

Nous en hébergeons 12. Sans compter leurs 15 enfants.

 

L’État vous fournit-il enfin une aide ?

Depuis l’année dernière, le ministère des Finances nous avance Rs 1 million. Ce n’est guère suffisant car nos frais de fonctionnement, avec 40 à 45 pensionnaires par an, tournent autour de Rs 4 millions.

Non seulement aidons nous ces femmes, mais nous sommes aussi là pour leurs enfants. Afin qu’elles aient une indépendance économique, nous les encourageons à reprendre leur emploi alors que nous nous occupons de leurs petits.

Heureusement, il y a la Mauritius Commercial Bank. Elle nous offre les Rs 3 millions nécessaires pour notre fonctionnement.

 

SOS Femmes peut-elle faire plus pour les victimes ?

Des half-way homes doivent être mis sur pied pour les victimes. Ainsi, elles n’auront pas à dépendre de leur mari ou de leurs proches si elles décident d’abandonner leur foyer.

Au niveau de SOS Femmes, nous pensons qu’il faut décentraliser nos services. Comme en mettant sur pied un centre dans le Sud. C’est difficile pour une femme de cette région de venir à Coromandel. Et de prendre l’autobus chaque matin pour aller à son travail et pour emmener ses enfants à l’école…

Davantage de psychologues nous seraient d’une aide certaine, on en a une seule…

 

Sont-ils plus aptes à écrire des opinions qu’à être sur le terrain ?

C’est la maladie du siècle. Certains ont leur mot à dire sur tout. Ils sont présents sur les réseaux sociaux et les médias mais on ne les voit pas sur le terrain. Action zéro. Mais bon, l’idéologie est en train de disparaître avec une génération.

 

Où sont passés les volontaires ?

C’est une race en voie de disparition. Certains jeunes ont besoin de nous pour la préparation d’un mémoire mais dès qu’ils décrochent leur diplôme ou leur maîtrise, ils s’évaporent dans la nature. On est arrivé à un moment où on se demande s’il y aura une relève. Beaucoup d’ONG font face à ce problème.

 

L’argent serait-il devenu plus important que d’aider son prochain ?

On ne va plus à l’école pour s’instruire. Mais pour apprendre par coeur afin de gagner beaucoup d’argent. Les analyses critiques n’intéressent pas les jeunes. C’est désespérant.

 

Vous avez deux filles. Que leur enseignez-vous ?

Qu’on ne se marie que pour le bien. Et non pour le pire. Et de ne pas entrer dans une relation sans bien connaître l’autre.