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Amédée Darga : « Il y a trop de forces rétrogrades à Maurice »

28 juin 2011, 09:34

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Des 12 intervenants du livre «Advocates for change: How to overcome Africa’s challenges», vous êtes le seul à écrire sur un pays, Maurice, et non un thème. Estce à dire que l’Afrique a des leçons à tirer de notre parcours ?

L’éditeur du livre, Moeletsi Mbeki, est effectivement d’avis qu’il y a des leçons à tirer du modèle mauricien, notamment en termes de gouvernance sociale, économique et politique. Maurice est sans conteste le pays ayant le mieux réussi dan la région africaine, même par rapport à l’Afrique du Sud. Cet Etat est plus riche que nous mais la richesse ici est partagée plus équitablement. Notre niveau de développement humain est également meilleur.

Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la façon dont Maurice peut servir d’exemple ?

Notre réussite découle de plusieurs choses. Il y a tout d’abord la capacité d’un peuple et de ses dirigeants à interagir favorablement pour surmonter leur vulnérabilité. Toutes les composantes de la société, à divers moments de l’histoire et dans des circonstances variées, ont compris que nobody owes us a living. Et à partir de leurs aspirations, elles ont réussi à créer et accumuler de la richesse.

Nous avons aussi appris à gérer la diversité afin de ne pas en faire une force de destruction.

Autre leçon : celle qui consiste à ne pas tuer la poule aux oeufs d’or. Dans notre cas, la poule était l’industrie sucrière. Les dirigeants ont su avoir une relation astucieuse avec cette dernière en vue de récupérer une partie de la richesse produite.

Il y a ensuite l’investissement dans le capital humain au niveau de l’Etat et des familles. Contrairement à plusieurs pays africains, nous n’avions pas de matières premières. Pour beaucoup de dirigeants du continent, celles-ci constituaient la promesse d’une grande richesse, mais elles se sont transformées en faiblesse. A Maurice, nous avons soutenu l’émergence d’une classe moyenne à partir des petits planteurs.

Ils sont l’équivalent des petits fermiers africains qui, eux, ont été largement  ignorés. Or, chez nous, cette classe a contribué à la création de la richesse et à faire tourner l’économie domestique.

Les forces sociales mauriciennes ont permis l’émergence d’institutions fortes et participatives.

Nous avons été pragmatiques face au développement, contrairement à d’autres pays qui se sont montrés plus dogmatiques.

Cela dit, quel regard portez-vous personnellement sur le développement de Maurice ?

J’ai deux regards. Le premier m’amène à dire que je suis fier du développement politique, social et économique de l’île. Aujourd’hui, les gens vivent cent fois mieux ici que dans n’importe quel autre pays africain.

D’un autre côté, je suis frustré par ce que nous aurions pu être trois fois mieux que ce que nous sommes aujourd’hui. Il existe encore ici trop de forces rétrogrades et pas assez de forces progressistes qui seraient en mesure d’augmenter la richesse du pays, d’améliorer la sécurité et la qualité de vie des citoyens.

Vous avez été récemment nommé pour siéger sur une «High Level Project Monitoring and Implementation Unit». La mise en oeuvre des politiques publiques est-elle le maillon faible de la gouvernance chez nous ?

Maurice a une pléiade de très bonnes politiques, mais une grosse carence pour ce qui est de la capacité et de la volonté de leur mise en oeuvre.

Qu’en est-il du continent africain ?

Dieu merci aujourd’hui, le continent est sur une courbe de développement ascendante. Une poignée de pays a des taux de croissance à deux chiffres. Mais il y a toujours un certain nombre de faiblesses au niveau structurel, en termes de détermination de stratégies de développement et enfin, en ce qui concerne la mobilisation des capacités et ressources humaines nécessaires. La priorité des dirigeants est d’arriver à relever ces trois défis.

Pourquoi la démocratie fonctionne-t-elle chez nous et pas dans la majeure partie des pays africains ?

Je suis de ceux qui ne font pas de la démocratie une panacée. Je fais de la bonne gouvernance une exigence primordiale. Singapour n’a pas de démocratie, mais une très bonne gouvernance.

Ce qui importe, c’est le bien-être du peuple.

Quel est le plus grand défi que le continent africain doit relever dans la décennie à venir ?

L’urgence immédiate, c’est le défi que représentent l’organisation et le développement de la production agricole. J’ajouterais aussi, pour terminer, celui de l’utilisation du foncier agraire.

 

Entretien réalisé par Michel CHUI CHUN LAM

(Source: Lexpress Id)