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André Oraison : «La Réunion est encore une terre coloniale bardée de monopoles»

29 février 2012, 09:26

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Le juriste réunionnais, Professeur des Université et ancien enseignant à l’Université de la Réunion (1967-2008), soutient que la violence que connaît l’île sœur était prévisible, « mille voyants rouges » l’indiquant depuis plusieurs années, estime-t-il.

? La colère est-elle retombée à La Réunion, qui a vécu cinq jours d’émeutes ?

Je m’exprime en tant que citoyen présent à l’université de La Réunion depuis 1967 et qui défend les intérêts de La Réunion.

J’ai vu la foudroyante évolution de cette île depuis 1967. Je note, comme tout le monde, qu’il y a en ce moment moins de scènes de violences qu’au cours de la semaine écoulée, mais la colère n’est pas vraiment retombée. Elle est d’ailleurs justifiée par mille voyants rouges qui se sont allumés depuis plusieurs années.

? Et quels sont ces voyants rouges les plus évidents ?

Il y a plus de 150 000 Réunionnais qui cherchent du travail, soit 30 % de la population et près de 60 % des moins de 25 ans. Il y a deux fois plus de chômeurs à La Réunion qu’en métropole. On peut donc comprendre les jeunes qui se révoltent dans les cités, au Chaudron, qui a été l’épicentre de cette crise qui s’est répandue dans d’autres villes.

La moitié de la population réunionnaise vit sous le seuil de pauvreté avec moins de 900 euros par mois. Il y a plus de 120 000 illettrés dans l’île. Il y a une pénurie de logements sociaux. Et bien sûr, il y a la vie chère. C’est pour cela qu’il y a eu cette vague de colère. Elle s’est manifestée à propos de l’augmentation du prix des carburants et, comme disait Mao Tsé-toung, une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine. Les manifestants réclamaient aussi la baisse des produits de première nécessité.

La population réunionnaise est de plus en plus strangulée.

Ces manifestations ont eu lieu dans un contexte social et économique dramatique.

? La Réunion est cependant souvent décrite comme une «société de consommation subventionnée»…

Je n’emploierai pas ce vocabulaire, parce que les aides sociales dont bénéficient les Réunionnais sont les mêmes qu’en France, mais dans des proportions qui sont beaucoup moindres. Le SMIC (salaire minimum de croissance) à La Réunion est inférieur qu’en métropole, alors que la vie est 30 à 40 % plus chère. Dans certains domaines, les prix sont 70 % supérieurs à ceux de la métropole. Ce n’est pas seulement l’insularité et la fiscalité locale qui peuvent expliquer cette disparité.

Il y a aussi le fait que La Réunion est encore une terre coloniale bardée de monopoles pour l’importation de pétrole, de gaz, de véhicules, de pièces détachées, d’appareils électroménagers et bien sûr d’agroalimentaire.

Il y a un problème de prix qui est à revoir. Il y a des intermédiaires qui font des bénéfices exceptionnels.

? Est-ce qu’il y a une colère permanente à La Réunion ?

Il y a une colère sourde qui est contenue et qui s’exprime parfois lorsque la situation devient intenable, comme en ce moment et en 2009. Il y a en effet une colère parce qu’on a le sentiment que rien de sérieux n’est fait pour maîtriser les prix et pour assurer le plein emploi.

Il y a un laisser-faire qui est coupable.

? Pourtant des décisions sont tombées après ces troubles

Ce n’est pas assez. On baisse le prix pétrolier de huit centimes seulement. De même, on gèle ou baisse les prix de 40 produits de première nécessité, mais ce n’est pas suffisant.

? Pour revenir aux émeutes, ont-elles eu des conséquences graves ?

Elles sont graves et en même temps salutaires. Quand il y a des colères comme celles là, cela montre que La Réunion est très malade. Ces violences, qu’il faut bien sûr condamner, on doit en tenir compte pour l’avenir. Qui sont ceux qui cassent ? Des jeunes qui ont entre 15 et 20 ans. Plus de 60 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. Ils n’ont aucun espoir, ils vivent chez leurs parents jusqu’à 30 ans, ils ne peuvent pas se marier. Ce sont eux les premières victimes de la politique générale dans l’île, et de la politique du gouvernement en général.

? Le président français avait annoncé, il y a trois ans, un projet de «développement économique endogène» pour l’outre-mer. Où en est ce plan ?

On est toujours au point mort. Puisqu’il y a encore plus de chômeurs. Il faudra envisager pour La Réunion et pour l’ensemble de la France ultramarine, des solutions diverses dans beaucoup de domaines.

Il faut que le gouvernement central travaille avec les élus locaux pour lutter contre tous les monopoles. Il y a des abus dans le domaine des hydrocarbures, par exemple.

Il y a des quasi-monopoles dans le transport aérien et dans la distribution de produits alimentaires qui viennent de métropole. Les grandes surfaces font valser les étiquettes pour remplir les poches de leurs actionnaires. Il faudrait agir contre le monopole de l’importation des véhicules et des pièces détachées. Il faut également lutter contre l’écart des salaires à La Réunion.

Dans cette île, il y a deux sociétés. La société des gens aisées, dont je fais partie car je suis fonctionnaire de l’Etat, et la société laissée pour compte.

? Quelle solution pour changer le destin des Réunionnais ?

Il y a des réformes structurelles à faire. Personne n’en a encore parlé. Il faudrait que La Réunion se dote d’un statut qui soit un peu différent de celui que nous connaissons aujourd’hui pour qu’elle puisse parler d’une seule voix à l’égard du pouvoir central qui est à Paris. La Réunion est à la fois un département et une région qui ressemble à un attelage où un cheval tire à hue et un autre à dia. La Réunion s’est affaiblie.

La Constitution de la Ve République prévoit dans son article 73 paragraphe 7 que les populations des départements d’outre-mer peuvent s’autodéterminer pour changer de statut.

Cette solution devrait être, à mon avis, adoptée par référendum par le peuple réunionnais pour lui permettre d’opter pour une collectivité unique, sans pour autant quitter le statut départemental. Comme cela s’est fait à Mayotte, en Martinique et en Guyane, qui ont aussi connu des troubles.

Ce changement de statut permettra à La Réunion d’avoir une assemblée unique et ainsi de parler d’une voix forte aux instances métropolitaines.

Propos recueillis par Abdoollah EARALLY

Ecouter la bande sonore de l''entretien >>

Abdoollah EARALLY