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Antoine Perrau : « Il faut favoriser l’abolition de la climatisation »

12 juillet 2011, 11:30

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Vous interveniez à la conférence intitulée «De quelle v/île rêve-t-on ?», il y a quelques jours, sur l’invitation de l’Institut français de Maurice. Parlez- nous brièvement du thème abordé.

En évoquant une expérience en cours, soit la zone d’aménagement concerté de la Saline (NdlR : à La Réunion), j’ai présenté une démarche d’urbanisme durable, en particulier à travers les problématiques de l’eau, des transports, du rôle des jardins et espaces verts et de la ventilation naturelle des îlots et bâtiments.

Vous qui êtes spécialisé dans les questions d’architecture climatique tropicale et vivez à La Réunion, quel regard jetez-vous sur l’urbanisation telle qu’elle est pratiquée à Maurice ?

Il semble que l’urbanisme soit trop lié à la notion d’opportunité foncière. Or, l’urbanisme a besoin d’une gouvernance forte, liée à une volonté politique également forte et installée dans la durée. Les outils législatifs existent mais ne sont pas assez suivis. Il faut aussi intégrer la notion de pluridisciplinarité de l’urbanisme. Pour illustration, en ce qui concerne la Saline, l’urbaniste responsable du projet est entouré de 10 bureaux d’étude spécialisés : en géotechnique, programmation de logements, programmation commerciale, déplacements, urbanisme réglementaire, hydrologie, voirie et réseaux. Enfin, un projet cohérent ne peut se faire sans maîtrise du foncier, quitte à devoir exproprier.

Une des idées marquantes de votre intervention est celle de l’abolition du «tout-climatisation». Quelle est l’idée qui motive ce concept ?

Les conditions climatiques dans nos îles permettent, si la conception d’un bâtiment est faite correctement, d’éviter le «tout-climatisation», en étant quand même en situation de confort. Comment nos anciens faisaient-ils ? Parmi les effets pervers de la climatisation, il faut compter une dépense énergétique (50 KWh/m²/an pour des bureaux sans clim contre environ 200 KWh/m²/an) et financière conséquente. Il y a donc là une importante possibilité d’économie, à l’heure où l’énergie va se faire de plus en plus chère et rare d’éviter des effets néfastes pour la santé, soit le problème de la qualité de l’air, notamment en cas de mauvais entretien des filtres d’écarter une coupure avec l’environnement et enfin, de diminuer des émissions de CO2 considérables.

Que préconisez-vous en ce sens ?

Il faut donner un environnement favorable à l’abolition de la climatisation : réintroduire de la nature dans la ville. Cela apporte un rafraîchissement naturel (il fait 4° de moins sous une canopée de forêt), un filtrage des poussières urbaines et un retour de la biodiversité en ville. Pour cela, l’on doit réduire la place de l’automobile dans la ville, en développant les transports en commun en sites propres, redonner les espaces gagnés sur l’auto aux piétons et aux vélos.

Maurice et La Réunion ont des climats similaires. A Maurice, le «tout-climatisation» est bien avancé toutefois. Que faire pour changer la donne ?

Soit on se donne les moyens aujourd’hui de changer, soit la problématique énergétique obligera à l’application de solutions radicales et moins bien préparées dans un futur proche. Là encore, une forte volonté politique et aussi une forte sensibilisation des citoyens sont primordiales pour faire pression sur les politiques. Un autre point clé est la formation des plus jeunes qui sont les citoyens et donc les électeurs de demain. Il sera plus facile pour eux de changer que nos générations aux habitudes profondément ancrées.

Vous avez également mentionné des aménagements sinon pour récupérer l’eau de pluie, au moins pour la ralentir. En quoi est-ce pertinent pour des îles comme Maurice et La Réunion, avec les infrastructures qu’on leur connaît ?

Il s’agit là d’un enjeu vital pour nos îles. En effet, avec l’urbanisation croissante, on imperméabilise les sols à grande vitesse. Pour illustrer mes propos, une goutte d’eau qui tombe sur les hauts arrive de plus en plus vite sur le littoral, soit par l’imperméabilisation, soit par les tuyaux divers qui la dirigent. Or, cette eau rejoint nos lagons. Chacun sait que l’eau douce empêche le développement du corail qui constitue la barrière récifale protégeant nos côtes des houles et de l’érosion. Le risque est donc de voir disparaître cette protection, aggravé par la montée des eaux. A terme, c’est bien l’aménagement des littoraux qui est en cause avec les conséquences économiques et humaines que l’on sait. La majorité des hôtels à Maurice sont en bord de mer. Auront-ils littéralement les «pieds dans l’eau» demain ? Il faut par conséquent limiter cette imperméabilisation et ralentir l’eau dans son ruissellement.

Comment y arrive-t-on ?

Il faut interdire la construction sur 100 % d’une parcelle, imposer une perméabilité par la plantation de jardins en pleine terre, proposer des aménagements permettant de ralentir (ouvrages de rétention et bassin d’écrêtement) l’eau et de l’infiltrer (noues d’infiltration, sols perméables). Enfin, on peut tout simplement la stocker pour l’utiliser (arrosage, usage domestique pour les W.-C., etc).

Entretien réalisé par Ludovic AGATHE
(Source : l’express iD, mardi 12 juillet)

Ludovic AGATHE