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Arnaud Carpooran: “Le rapport à la langue créole a changé»

23 février 2009, 12:00

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Arnaud Carpooran: “Le rapport à la langue créole a changé»

Avec des étudiants, le sociolinguiste vient de publier le premier dictionnaire créole mauricien monolingue.

Comment vous est venue l’idée de réaliser un dictionnaire créole mauricien monolingue?

L’idée a germé lorsque je faisais ma licence en lettres modernes à l’université de la Réunion. Je me souviens, en 1987, on avait cours avec Vinesh Hookoomsing et, en même temps, paraissait le dictionnaire créole de Baker-Hookoomsing. C’était toutefois un dictionnaire d’équivalence. Les termes créoles étaient expliqués en français ou en anglais. Nous autres étudiants, nous trouvions que ce n’était pas un véritable dictionnaire. Lorsque je deviens chargé de cours à l’université de Maurice, j’approfondis ma réflexion sur la question. Ensuite, en 2004, j’obtiens une bourse postdoctorale de six mois à l’université de la Réunion. C’est à ce moment que je conceptualise le projet avec des collègues à la Réunion et des étudiants mauriciens. En 2005 sort un prototype sur les cinq premiers alphabets Ce premier ouvrage est plutôt bien accueilli. Les gens s’attendaient qu’on fasse le dictionnaire dans sa totalité. A partir de là, des étudiants et moi-même, nous allons nous consacrer à ce travail.

A quoi désormais va servir ce dictionnaire?

Il va permettre aux gens de disposer d’un ouvrage de référence sur la langue créole. D’un point de vue plus philosophique, nous, les linguistes, nous pensons que c’est dans le destin de toute langue de traverser l’étape de l’oralité à la standardisation, en accédant à l’écriture. Autrement, elle meurt.


Quelle a été l’étape la plus difficile dans ce travail?

La mise en écriture d’une langue n’est pas un processus naturel. Cela demande un travail volontaire et intellectuel de l’humain. Il faut aussi préciser que toutes les langues qui se sont imposé dans le monde ont dû passer par cette étape de la mise en écriture. Cela dit, mettre en écriture une langue orale, c’est très difficile. Pour le créole mauricien, à la différence des autres créoles, on ne passe pas par les néologismes pour les explications lexicales. Il y a davantage un recours à l’anglais et au français. Le découpage des mots est un autre exemple de difficulté. Est-ce qu’un terme comme «asterla» est 1, 2 ou 3 mots?


Qu’est-ce que ce dictionnaire va apporter aux gens de manière générale?

Je vous raconterai l’expérience vécue avec une dame à Chamarel où, mes étudiants et moi, nous avons été animer une lecture sur l’éducation. A la fin de l’exercice, cette dame est venue vers moi. Elle m’a dit qu’elle se sentait forte désormais et fière aussi car elle avait vu sa langue créole sur le papier. Elle a eu cette réaction parce que, peut-être pour la première fois, elle a senti sa langue aussi noble que celles des autres. Enfin, il y a une fonctionnalité pédagogique à ce dictionnaire.

Même si vous n’êtes qu’au lancement, sentez-vous les Mauriciens réceptifs et à combien est vendu le dictionnaire?

On est agréablement surpris par les commandes venant des gens de tous les milieux. Cela démontre que le rapport à la langue créole a changé. Enfin, c’est un ouvrage de 1028 pages qui est proposé à Rs 700 au grand public et à Rs 500 aux étudiants.