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Ashok Subron: «On finance la consommation par l’endettement»

26 décembre 2008, 18:39

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Syndicaliste et animateur de Rezistans ek Alternativ, Ashok Subron livre ses réflexions sur la situation économique.

Quelle lecture faites-vous de la situation économique à la fin de 2008?

L’année 2008 a démontré trois grandes faillites du capitalisme. Premièrement, le mode de production, de distribution et de consommation du système économique continue à avoir un effet direct et dévastateur sur l’état de la planète et sur le changement climatique. Deuxièmement, la crise financière et la crise énergétique, causées d’une part par les activités de l’agribusiness soit le changement de l’agriculture à un business, et d’autre part par le capital spéculatif. Et finalement, la crise financière qui menace de déborder sur une crise économique sans précédent, voire pire que celle de 1929. C’est une triple confirmation de la faillite du système économique et sociale qu’est le capitalisme.

Dans le cas de la crise financière, la racine réside dans la répartition inégale entre les salaires et le capital des actionnaires. La baisse des salaires et l’augmentation de la productivité a entrainé un surplus de profits. Mais au lieu d’être investis dans la production, ces profits ont finalement atterri dans l’actionnariat, plus précisément dans la spéculation. Et aujourd’hui sur le plan mondial, on finance la consommation par l’endettement.

Et Maurice dans tout ça?

D’abord on doit savoir qu’à Maurice nous avons tous les ingrédients qui ont contribué à la crise sur le plan international. Le capital salarial est minime par rapport au Produit Intérieur Brut, et ça s’est empiré avec les réformes de Rama Sithanen. Selon les chiffres du Bureau Central des Statistiques, l’endettement a augmenté de 60% au cours des trois dernières années, et nous ne parlons là que des prêts bancaires et pas du microcrédit ou des achats dits «Higher Purchase». Une baisse salariale aurait dû être accompagnée d’une baisse de la consommation. Mais comme ailleurs, la consommation est tirée par l’endettement.

Donc vous partagez l’avis des économistes qui clament que les Mauriciens vivent au-dessus de leurs moyens?

Je ne dirais pas que les Mauriciens vivent au-dessus de leurs moyens, mais plutôt que le salaire de la majorité des Mauriciens ne leur permet pas de mener une vie décente. La plupart des prêts bancaires sont des prêts pour l’immobilier, l’éducation des enfants ou d’autres aspects essentiels de la vie. Les chiffres du Bureau Central des Statistiques le confirment. La grande majorité n’a pas les moyens, mais elle vit décemment. Par contre, il y a une minorité qui gagne beaucoup et les deux sont reliés par une relation de cause à effet: certains Mauriciens sont devenus plus pauvres parce que d’autres sont devenus plus riches. Plusieurs mécanismes ont contribué à cela: la dépréciation de la roupie, la compensation salariale réduite à moitié et l’absence de révision des salaires de nombreux métiers.

Finalement qui de Vishnu Lutchmeenaraidoo ou de Rama Sithanen devrait-on croire? Devrions-nous redouter ou aborder 2009 sereinement?

Ni l’un, ni l’autre. Car à quelques degrés près, les deux finiront par épouser le néo-libéralisme. La situation exige une remise en question de la réforme de Rama Sithanen. Il faudrait des discussions et un débat à l’échelle nationale. Je pense que le pays a raté une fois de plus une occasion de revoir le modèle économique. La première fois, c’était suite à la chute du régime sucrier, et aujourd’hui face à la crise financière. Le temps n’est pas au «Stimulus Packages», mais aux débats sur le plan national. Nous avons actuellement un modèle économique qui repose sur l’exportation, qui repose à son tour sur la main-d’œuvre pas chère. D’ailleurs, le terme «Stimulus» est bizarrement apparu comme un phénomène de mode sur le plan mondial. On aurait dit un produit sur les rayons d’une pharmacie, prescrit par le Fond Monétaire International!

Vous semblez sceptique sur le Stimulus Package de Rama Sithanen. Pensez-vous qu’il ne changera rien au final?

Ces mesures ont été concoctées par des élites économiques et elles sont le produit d’un chantage. Un chantage de certains qui ont menacé de licencier des gens à la veille du Nouvel an. Et Rama Sithanen a cédé à ce chantage: il l’a lui-même déclaré dans la presse récemment. Je reste sceptique sur l’interventionnisme de l’Etat dans l’entreprise sans que le pouvoir du salarié n’augmente. La compagnie ne fait pas du social, elle a pour but d’augmenter les dividendes pour l’actionnariat. Mais les employés, n’auraient-ils pas un droit de regard sur leurs conditions de travail? C’est pourtant leur argent – celui de la population – qu’on injecte dans l’entreprise. Rama Sithanen veut assurer l’emploi, mais en même temps il cautionne la mise en place de l’«Employment Rights Act» qui prend effet le 1er janvier 2009. D’un côté, il demande aux entreprises de ne pas licencier sans le consulter, et, de l’autre, le gouvernement leur donne le droit de licencier sans avoir à se justifier grâce à cette loi. D’ailleurs, certaines entreprises ont déjà réorganisé leur système de shift au détriment des travailleurs, sans que ceux-ci n’aient leur mot à dire. Une fois de plus, et la bourgeoisie et l’élite économique qui y est associée, ont contribué pour que le pays rate une occasion de revoir le système économique dans lequel on subit.

 

Amrish BUCKTOWARSING