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Ashok Subron : « M. Bérenger, c’est à vous de jouer ! »
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Ashok Subron : « M. Bérenger, c’est à vous de jouer ! »
Mardi, l’Onu a dit tout le mal qu’elle pensait de la déclaration d’appartenance ethnique imposée aux candidats des élections. Pour Ashok Subron, le communalisme politique n’est pas mort à Genève, mais l’agonie s’accélère. A condition que le leader de l’opposition cesse ses « bêtises ».
Commençons par les formalités d’usage : votre groupe ethnique s’il vous plaît.
(Sérieux) Je n’ai jamais voulu, ni pu répondre à cette question. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais le faire.
Belle semaine, non ?
Et dire que je pensais souffler un peu…
Parce que ça vous arrive ?
Oui dans les vagues de Tamarin, c’est là que je me régénère. Après le rassemblement des travailleurs de dimanche dernier, après le combat que je mène dans l’industrie sucrière, je m’attendais à une semaine plus calme. Et voilà que mardi après-midi, après un walk out lors des négociations tripartites, j’apprends que Rezistans ek Alternativ a obtenu gain de cause devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Une belle semaine, effectivement. On va fêter ça ce week-end.
Rappelons les faits. En 2005, onze membres de Resistans ek Alternativ candidats aux élections générales refusent de déclarer leur appartenance ethnique. Leur candidature est rejetée…
Oui, par la commission électorale. Nous savions que ces candidatures seraient refusées, le but était de défier le système pour démontrer son absurdité. Quand une loi est injuste, la défier est légitime, Gandhi et Rosa Parks m’ont appris cela.
Deux ans plus tard, en 2007, vous saisissez l’Onu…
La Cour suprême nous a refusé le droit d’aller au Privy Council. L’autre instrument juridique disponible était le Comité des droits de l’homme []Cet organe de surveillance du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a pour mission de surveiller la bonne application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ndlr]. Cette option nous a plu car elle nous permettait de viser directement l’Etat mauricien.
Et on apprend donc mardi dernier que ce comité réuni à Genève vous a donné gain de cause. Une délivrance ?
Seize experts indépendants ont écrit noir sur blanc que le droit des candidats de Resistans ek Alternativ a été violé, ce n’est pas rien ! Ce jugement est une claque au conservatisme de l’Etat mauricien et de la commission électorale. Les experts relèvent une absurdité : l’Etat ne peut pas demander à ses citoyens de se classifier, alors que ce même Etat, il y a 30 ans, a aboli le découpage communal de la population. En 1982, le MMM a figé le temps. Ce parti a amendé la Constitution pour que la désignation des Best Losers se fasse à partir du recensement de 1972. L’Onu, entre les lignes, dit donc à l’Etat mauricien : soit vous maintenez la logique communale, et vous le faites correctement, scientifiquement, en mettant à jour le recensement de 1972 soit vous considérez que ce système n’est plus viable et vous prenez le chemin inverse.
Pourtant, l’Etat n’est contraint à rien. Il s’agit d’un avis, pas d’un ultimatum...
C’est vrai. Mais Maurice a signé le Pacte relatif aux droits civils et politiques, or ce pacte est bafoué.
Et si rien ne change…
L’Etat mauricien sera condamné sur le plan international. Mais aussi par ses citoyens qui sont attachés aux libertés et à la démocratie.
En commentant à chaud cet arbitrage, vous avez dit : « Ce combat dépasse le cadre de la politique. La question qui se pose maintenant, c’est ‘‘qui sommes-nous’’ ? » Avez-vous un début de réponse ?
L’identité mauricienne est multiple et indivisible. Nous sommes le produit d’une histoire riche et pénible. Pénible parce que notre histoire a commencé par un crime contre l’humanité : l’esclavage. Nous avons connu l’engagisme et le système colonial. Mais nous sommes riches aussi de ce que ces atrocités ont créé.
Par exemple, un langage est né et nous continuons à le parler []Il s’exprime en créole d’un bout à l’autre de l’interview, ndlr]. Tous les onze, on s’est posé la question : ki nou ete ? Et tous les onze, nous n’avons pas su nous mettre dans des cases. Non selman nou pa oule klasifi e nou, me osi nou pa kapav fer li. Certes, les religions existent, les traditions, les cultures. Mais le Mauricien qui a des origines indiennes et qui croit en Jésus-Christ, on le met où ? Je pense au frère d’un ami qui s’est marié. Jeudi, je mangeais sept curry dans des fey banan. Dimanche, la cérémonie avait lieu selon le rite catholique.
Si demain les candidats aux élections n’étaient plus contraints de mentionner leur groupe ethnique, le Best Loser System (BLS) survivrait-il ?
Légalement, il pourrait. Mais politiquement, ce serait intenable. Première possibilité, la déclaration communale est optionnelle. Qu’est-ce qu’un Steve Obeegadoo inscrira sur son nomination paper ? Le connaissant, je présume qu’il n’inscrira rien... sauf si le MMM décide pour lui. Cela rendra le BLS encore plus instable. Deuxième possibilité, la déclaration communale est supprimée. Là, on retrouve les thèses, où plutôt les bêtises devrais-je dire, de M. Bérenger. Pour conserver le BLS, il a formulé deux propositions totalement absurdes.
D’abord, laisser la commission électorale classifier les candidats, comme Banwell l’avait suggéré dans les années 60. Maintenant, il suggère que les candidats ne déclarent pas leur communauté, mais qu’ils inscrivent des éléments de leur way of life c’est pire que tout ! Un système où une institution d’Etat classe les gens, c’est ce que l’Afrique du sud a connu sous l’Apartheid. Ekout Paul Bérenger, on est en 2012 !
Considérez-vous le leader de l’opposition comme votre plus farouche adversaire ?
Cela dépend de quoi on parle. Sur la déclaration communale, je n’ai entendu qu’une seule personne, Yusuf Mohamed, dire qu’il fallait la maintenir. Mo pense ki li bizin ekout enn ti pe so garson. Sur le BLS, tous les partis ont un double langage, mais Paul Bérenger est peut-être son plus fervent défenseur. Et dire que dans les années 70, le MMM incarnait l’anti-communalisme.
Je me souviens de sa devise : « La lutte des classes, pas la lutte des races. » Aujourd’hui, ce même parti, avec le même leader, prend position contre l’abolition du BLS, c’est à n’y rien comprendre ! Le MMM est revenu 40 ans en arrière. M. Bérenger, c’est à vous de jouer ! Je n’ai plus d’illusions ni sur lui, ni sur son parti, mais nous sommes à un tournant de notre histoire républicaine et le leader de l’opposition a un rôle important à jouer.
Que vous inspirent les commentaires dissonants d’Arvin Boolell et d’Hervé Aimée?
C’est la démocratie à la travailliste, c’est ce qu’ils disent généralement, non ? (Rires) Plus sérieusement, cela reflète les contradictions de notre société, où deux consciences s’opposent : l’une progressiste, l’autre conservatrice.
La prochaine étape, très concrètement ?
Il faut que les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale tombent d’accord sur un projet de loi pour une réforme électorale. Qu’il y ait des discussions avec des forces comme Rezistans ek Alternativ ou le Blok 104. Ensuite, il faudra modifier la Constitution, donc Ramgolam et Bérenger doivent s’entendre. Dan prosen eleksion, pa kapav rezet oken kandidatir.
Et s’ils ne s’entendent pas ?
La voix des citoyens, elle, se fera entendre. L’action militante montrera la voie du changement.
La désobéissance civile a payé. Cela vous donne des idées ?
Bien sûr ! Mais la désobéissance civile pacifique. Si l’on continue à nous obliger à nous classifier, nous appellerons à la désobéissance massive. Nous étions onze en 2005 et 104 en 2010. En 2015, nous serons des milliers.
Vos combats sont très médiatisés, mais l’homme, lui, est peu connu. Par pudeur ?
Il y a sans doute un peu de cela. Et puis, les causes que je défends comptent plus que moi. Sinon, je n’ai rien à cacher. Je suis un bon vivant, j’aime échanger, causer. Ma vie tourne autour du militantisme, et non l’inverse. Je ne milite pas durant mon temps libre.
Et lorsque vous ne militez pas, que faites-vous ?
(Rires) Je semi-milite sur Facebook. Je lis pas mal aussi, je fais la cuisine...
De quoi vivez-vous ?
Je suis formateur dans un centre de recherche mis sur pied il y a un an à Moka : le Centre alternative research and studies. A la base, je suis informaticien, c’est une passion. J’ai développé pas mal de sites web pour des mouvements sociaux.
Vous plaisez aux médias, au monde syndical et même aux politiciens que vous combattez. Quel regard portez-vous sur votre popularité ?
Je m’en méfie. Je veille à ne pas prendre trop de place. D’un côté, la presse permet de médiatiser les causes que je porte, de l’autre, je trouve qu’elle m’expose trop : c’est un problème que je n’ai pas encore résolu. Sans mes camarades de Rezistans ek Alternativ, je n’existe pas. Vous n’imaginez pas comme ils sont précieux, Moris pa konn zot valer.
Défendez-vous des valeurs ou une idéologie ?
Des valeurs, en priorité : liberté, égalité, écologie, féminisme et sécularisme.
Une maman domestique, un papa parti trop tôt []il est mort quand son fils avait 3 ans, ndlr] : de quoi parlait-on chez les Subron ?
On parlait peu parce qu’on se voyait peu. Ma mère travaillait le soir à l’hôpital, elle me confi ait à une amie domestique. J’ai grandi comme ça, dans deux familles, sans papa mais avec deux mamans.
Vous souvenez-vous de votre éveil politique ?
Mes convictions sont nées avec la rébellion estudiantine de 1975. Je n’avais que 12 ans mais j’avais déjà accès aux journaux. Des photos m’ont frappé. J’ai senti qu’il était en train de se passer quelque chose.
S’il y avait quelque chose à changer dans votre parcours militant…
(Long silence) J’aurais quitté Lalit plus tôt []il y a passé 22 ans, ndlr].
Toujours pas digérée, cette séparation ?
Pas complètement. Mais je ne renie rien. Lalit m’a forgé, j’y ai appris la richesse intellectuelle et le sens du combat.
Si votre engagement militant vous menait un jour sur les chemins du Parlement, résisteriez-vous ?
Pas forcément. A condition de pouvoir conserver mes idées.
Vous vous voyez député ?
Je ne l’exclus pas. Mais c’est loin d’être un objectif.
Entrons dans la fiction : Resistans ek alternativ remporte les élections générales de 2015. Quelles sont vos toutes premières mesures ?
Tous les enfants du pays ont droit à un minimum de 20 ans d’éducation gratuite, les travailleurs élisent leurs représentants pour siéger dans les conseils d’administration et un salaire minimum est instauré.
Pour Jacques Attali, « l’utopie est une affaire d’aube, de lève-tôt ou de rêveurs éveillés. » Où vous situez-vous ?
Je suis un rêveur éveillé. Le jour où nous étouffons la capacité de rêver d’un peuple, il ne progresse plus. L’utopie est un moteur de transformation sociale. C’est une réalité en puissance. Sans elle, aucune activité féconde n’est possible.
Sinon, la barbichette, est-ce un hommage à Lénine où à la chèvre de M. Seguin ?
(Rires) Ni l’un ni l’autre. J’ai un trop petit menton, alors j’essaie de l’allonger !
Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
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