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Azaria Topize musicien « Mon père est aussi mon frère »

16 février 2014, 13:41

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Azaria Topize musicien « Mon père est aussi mon frère »

Quinze ans, jour pour jour, après la mort de Kaya, son fils Azaria, 23 ans, lui rendra hommage sur scène, samedi. Interview backstage.

 
Chanter Kaya, est-ce un besoin ou une obligation familiale ?
C’est une envie, une double envie même, celle du musicien et celle du fils.
 
Vous aviez huit ans quand il est mort. Quel père était-il ?
C’était un père rieur, li ti kontan fer bann joke, surtout après une bière ou deux (large sourire). Il n’était pas là tout le temps mais nous étions complices, je me souviens qu’il me jouait ses nouveaux morceaux à la guitare, on aimait ça tous les deux. Il savait aussi être ferme, kan mo koz brit, zoue boul dan lakaz, tout ça, il me corrigeait, mais jamais de coups. Il veillait de près sur moi et Lumia [sa soeur cadette, ndlr]. « Lekol korek, devwar fini ? », parfois j’avais droit à un billet de Rs 10. Le truc qui est resté gravé, c’est le coucher. A 21 heures pétantes, il fallait que les enfants soient au lit (rire).
 
Quel est votre part de contestation paternelle ?
(Il réfléchit) Je n’ai rien rejeté de mon père, mais peut-être que je ne sais pas tout.
 
Et votre part d’imitation ?
Je n’ai pas envie de l’imiter, ni musicalement, ni dans sa façon d’être. Fumer du gandia sur scène, je ne ferai jamais ça.
 
Etiez-vous à ce fameux concert ?
Non. Il m’avait déjà emmené à des concerts mais je m’étais endormi à chaque fois ! (rire)
 
Quels souvenirs gardez-vous des « jours Kaya » ?
Dans ma tête, l’histoire commence le jeudi, deux jours après le concert. Ce matinlà, mon père dormait quand je suis parti à l’école. Je suis allé dans sa chambre, je l’ai embrassé sur le front et je lui ai dit « au revoir ». Ma mère, comme chaque matin, nous a accompagnés au bus stop, Lumia et moi. En chemin, tout près de la maison, on a croisé une voiture de police. Normalement, ma mère attendait le bus avec nous, mais là, elle nous a dit qu’elle devait rentrer.
 
Aviez-vous compris pourquoi ?
Non. Ce n’est qu’en rentrant de l’école que j’ai su : « Papa inn ferme, li pa pou vini zordi », m’a expliqué ma mère. Je n’étais pas inquiet, je me suis dit que je le retrouverai dans un jour ou deux.
 
Trois jours plus tard, le dimanche à l’aube, il est retrouvé mort au fond de sa cellule…
Ce matin-là, ma mère nous avait emmenés nous baigner à Flic-en-Flac pour nous changer les idées. Je venais à peine d’entrer dans l’eau quand un cousin est arrivé à mobylette. Il était paniqué : « Bizin al Beau-Songes, degaze ! » On le suit jusque chez mon oncle, des draps recouvrent les miroirs, je ne comprends rien, tonton Reynald [le frère aîné de Kaya, ndlr] est en pleurs, il me regarde et me dit : « Azaria, bez sa, to papa inn mor. » Sur le moment, je n’y crois pas. Je pleure mais je garde espoir, ça ne peut pas être définitif, non, je refuse, mon père va sortir, il a au moins une petite chance. L’après-midi, je vois le corps exposé dans une salle à Rose-Hill. Je comprends. C’est fini. Mon père ne se réveillera plus.
 
C’est le début des émeutes…
J’étais terrorisé. De Rose-Hill, toute la famille descend à Roche-Bois où un autre frère de mon père nous attend. Un musicien de Racinetatane est au volant, je suis à l’arrière. Au rond-point de Roche-Bois, c’est l’apocalypse. La foule, le feu, les bâtons, les pierres, ça me faisait penser aux images de guerre que je voyais à la télé. La première nuit, je n’ai pas dormi. Boum… boum… ça n’arrêtait pas, j’étais mort de peur. Pour moi, c’était la guerre, les grands, les enfants, tout le monde allait mourir. On est restés là, chez tonton, barricadés jusqu’au retour au calme.
 
La mort de votre père reste sujette à caution. Avez-vous des certitudes ?
Non. Je sais ce que ma mère m’a dit, li gayn bate ar la polis. On en a souvent parlé mais elle ne me dit pas tout.
 
C’est-à-dire ?
Li dir mwa enn de, apre li arete.
 
Doutez-vous de sa version ?
Non, mais je n’ai pas non plus de certitudes. Je n’étais pas dans cette cellule, comment pourrais-je être sûr ?
 
Avez-vous cherché à l’être ?
Je n’ai posé des questions qu’à ma mère. Les autres, je n’ai pas confiance.
 
Comment avez-vous géré l’absence ?
Les premières années, cette absence était étouffante. Il m’a fallu du temps pour guérir. Après la tristesse, il y a eu la colère, des conneries m’ont traversé l’esprit, j’ai pensé à me venger. Heureusement, mo tire sa dan mo latet. Ma chance, c’est d’avoir une valise remplie de photos et d’affaires qui ont appartenu à mon père. Kan mo anvi retrouv li, mo rant dan valiz la, mo ekout so lamizik, et il revit.
 
Cette figure paternelle estelle lourde à porter ?
Non, plus maintenant. Etre le fils de Kaya est devenu facile. C’est mon frère aujourd’hui : mon père est aussi mon frère. Je pense à lui tous les jours. Sa musique accompagne mon quotidien.
 
Quand avez-vous rencontré sa musique ?
Ça s’est fait progressivement, depuis tout petit. Quand j’avais 6 ans, il nous a emmenés, toute la famille, en tournée à La Réunion. Plus tard, après sa mort, j’ai fait un blocage, je ne pouvais plus rien écouter sans me mettre à pleurer. Ma mère le savait, elle écoutait Kaya en cachette pour me préserver. A 13 ans, je me suis mis à la guitare, deux heures de cours de classique le samedi, c’est à partir de là que j’ai redécouvert la musique de mon père.
 
A 18 ans, vous disiez n’être « pas encore prêt à prolonger l’oeuvre de Kaya ». A 23 ans, l’êtes-vous ?
C’est mieux. Musicalement et vocalement, j’ai grandi. J’ai quelques compositions - j’en jouerai une samedi - et un album en projet. Je suis surtout plus détendu. Mes premières scènes, j’étais paralysé par le trac !
 
Vivre de la musique, est-ce un objectif ?
Oui, mais pas à n’importe quel prix. Je veux être Azaria, pas une copie de Kaya. L’imiter ne m’intéresse pas, je préfère chercher mon propre chemin, et son répertoire est un point de départ.
 
Quelles sont vos autres inspirations musicales ?
Le blues, le jazz, Carlos Santana, Eric Clapton, Ray Charles, des choses comme ça.
 
Vous sentez-vous investi d’une mission ?
Non. Faire de la musique pour faire de la musique ne m’intéresse pas. Si ça ne marche pas, je ne m’obstinerai pas. J’ai d’autres passions, d’autres projets, la sculpture sur bois, le modélisme.
 
Dans deux semaines, vous participerez à un énième concert-hommage, à Paris. Ne craignez-vous pas d’être emprisonné dans l’image du « fils de » ?
Non, parce que j’y suis attentif. Il arrivera un moment où je dirai « non » à ce genre de sollicitations - ça m’est déjà arrivé. Pour l’instant, ces concerts font partie de mon apprentissage de musicien.
 
Pourquoi portez-vous des locks ?
(Sourire) Comme ça, par commodité, je n’ai pas la patience de me coiffer.
 
Votre père n’était pas très bien vu des rastas…
Je sais, à cause de l’alcool.
 
Ça vous dérange ?
Mo pa kas latet ar sa, les rastas n’ont aucun problème avec moi.
 
Le mot Kaya désigne la marijuana en jamaïcain. La dépénalisation de l’herbe est-elle une cause importante pour vous ?
Oui, par rapport aux violences et aux discriminations que subissent les rastas. Cela dit, je refuse de défendre cette cause publiquement. Signer des pétitions, c’est OK, mais ça s’arrête là.
 
Au-delà de son immense talent, le personnage de Kaya était ambigu. Sa vie privée ne reflétait pas toujours son discours…
Je sais. Plusieurs personnes ont tissé autour de sa mort une légende de saint et de martyr. Moi, ce n’est pas ce que je retiens de mon père. C’était un homme, pas un saint. C’était un poète, pas un prophète.
 
Son passé de toxicomane est-il tabou ?
(Direct) Non. Si enn dimoun ki konn sa rakont mwa dan enn bon fason, mo ekout li. J’ai un principe : bann zafer ki mo pa trouve, mo pa kone. Je sais qu’il buvait de l’alcool, oui. Le reste, je ne sais pas. Kaya kontan met nisa, j’ai déjà entendu ça, mais je ne l’ai jamais vu se droguer, je n’en sais rien et je n’ai pas envie d’écouter tout ce qui se dit à droite à gauche.
 
Pour vous protéger ?
(Il réfléchit) Peut-être… Non, c’est juste que ça ne m’intéresse pas, mo pa kas latet ar sa. Toxicomane ou pas, il ne méritait pas une fin comme ça.
 
Vous avez la pression pour samedi ?
Ouais ! Je suis à fond, je répète tous les jours !
 
Quand vous reprenez Kaya sur scène, vous demandez-vous ce qu’il en penserait?
Pas vraiment, je suis trop concentré. Mais je sais qu’il serait très heureux d’avoir un fils musicien.
 
Ses dates
1990. Naissance à Roche-Bois. 1996. Son père l’emmène en tournée à La Réunion.
1999. Mort de Kaya en prison.
2003. Débute l’apprentissage de la guitare.
2004. Première scène à La Citadelle, comme guitariste.
2009. Chante Kaya lors de la « Nuit du Seggae » à Bambous.
 
On a tissé une légende de saint et de martyr autour de sa mort. Ce n’est pas ce que je retiens de mon père. C’était un homme, pas un saint. Un poète, pas un prophète.
 
Je veux être Azaria, pas une copie de Kaya. L’imiter ne m’intéresse pas, je préfère chercher mon propre chemin, et son répertoire est un point de départ.
 

Omaz Kaya. Samedi 22 février, de 18h à 1h au stade Nelson-Mandela, à Cité-Vallijee. Avec Azaria, Racinetatane, Bruno Raya, Natir Samarel, Blakkayo… Des extraits de concerts de Kaya seront diffusés. Entrée : Rs 250. Infos au 208.15.50 ou 52.55.09.59