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Brian Glover, président de l’Equal Opportunities Commission : « J’ai envie de me lancer en politique »

5 août 2013, 09:28

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 Brian Glover, président de l’Equal Opportunities Commission : « J’ai envie de me lancer en politique »

En avril 2012, le moins connu des Glover a mis entre parenthèses sa carrière d’avocat pour devenir Monsieur égalité des chances. Sept cent plaintes plus tard, cet empêcheur de discriminer en rond a pris de l’assurance. Il regarde désormais du côté du Parlement.

 

Ce matin (vendredi, Ndlr), un politicien vous a posé un lapin. C'était un lapin, qui...
Qui n’avait pas de fusil et qui s’appelleMichael Sik Yuen (rires). Mais bon, ce n’était pas un vrai lapin. Ses avocats n’étaient pas libres, ils ont demandé un renvoi de l’affaire. La semaine prochaine, la Commission pour l’égalité des chances siège à Rodrigues, l’audition de Michael Sik Yuen est donc reportée à la semaine suivante (le ministre du Tourisme fait l’objet d’une enquête pour des propos discriminatoires qu’il aurait tenus pendant la campagne des élections municipales de 2012, NdlR).

 

C'est votre plus gros poisson, Michael Sik Yuen ?
Pour l’instant, oui. Mais d’autres gros poissons se dirigent vers la nasse.

 

Qui ?
Vasant Bunwaree. Les plaintes en provenance du MITD (Mauritius Institute of Training and Development, NdlR) s’accumulent. Il y a une forte probabilité que le ministre de l’Éducation soit convoqué.

 

Dans quel but ?
Pour situer les responsabilités dans une série d’affaires. Le MITD est en tête du hit-parade des plaintes pour discrimination. D’autres institutions placées sous la tutelle du ministère de l’Éducation nous ont également saisis. Ça commence à faire beaucoup. Quelques explications du ministre Bunwaree seraient les bienvenues.

 

Les ministères sont-ils les champions de la discrimination ?
Les corps paraétatiques sont pires ! Le CEB nous mène en bateau depuis des mois. La direction avait accepté de régler à l’amiable une plainte pour discrimination ethnique déposé par un employé, mais rien n’a été fait. J’en ai eu assez, une date butoir a été fixée au 8 août. Ils ont jusqu’à jeudi prochain pour trouver une solution.

 

Sinon ?
Le cas sera référé à l’Equal Opportunities Tribunal.

 

Fichtre ! Et il fait peur à qui, votre tribunal fantôme ?
(Tranchant)Ce n’est pas « mon » tribunal. Sa mise sur pied dépend du bon vouloir de la Public Service Commission et du Bureau du Premier ministre. L’an dernier, le travail a été fait à moitié. Le Conseil des ministres a nommé un président mais la PSC, elle, n’a pas désigné d’assesseurs, donc juridiquement, ce tribunal n’existe pas.

 

En même temps, sur 500 plaintes examinées, une seule a été envoyée au tribunal…
C’est là que tout le monde se trompe, y compris le Premier ministre qui a donné cet argument au Parlement. Effectivement, une seule affaire a été déférée à l’Equal Opportunities Tribunal et cinq autres le seront très bientôt, mais l’urgence n’est pas là. Faute de tribunal, je ne peux demander d’ordre intérimaire, et ça, c’est pénalisant pour les victimes. Prenons un cas concret : un salarié estime être victime d’un licenciement discriminatoire. Son dossier est sérieux. La loi me permet de saisir le tribunal pour demander le gel du licenciement jusqu’à la fin de l’enquête. Or là, je ne peux pas le faire. Entre-temps, le préjudice de la victime s’aggrave.

 

Ce tribunal était censé être opérationnel il y a plus d'un an. Qui se moque de vous ?
Si l'on se moquait de moi, j'aurais fait déjà mes valises.

 

La faute à qui alors ? Pensez-vous que le Premier ministre regrette cette idée de tribunal ?
Je ne pense pas. Par contre, pour d’autres ministres, je ne mettrais pas ma main à couper.

 

Un doigt ?
Même pas.

 

Une phalange ?
Non plus. Ni même un ongle.

 

Résumons-nous : la commission a un pouvoir d'enquête mais son tribunal ne sanctionne personne puisqu'il n'existe pas. En gros, vous avez entre les mains une arme sans munition.
Bouledogue sans dent, voilà ce que disent les gens.

 

Teckel, vous le prenez mal ?
(Ferme) Écoutez, mon travail ne se résume pas à référer des affaires au tribunal. On ne change pas une société en distribuant des amendes. Si c’était le cas, la juridiction existante suffisait. Ma commission a dix attributions, dix leviers pour promouvoir l’égalité des chances. Une trentaine de plaintes sont examinées tous les mois. On cherche des conciliations à l’amiable, on propose des amendements aux lois existantes, etc., tout ça, c’est du boulot. Mais ma première mission est pédagogique : je veux inscrire dans nos mœurs le principe d’égalité des chances. C’est un travail de fourmis. Voilà pourquoi Glover aboie, ça fait partie du job.

 

Et quand le Glover aboie, la caravane fait quoi ?
Elle passe. Mais un jour, à force d’aboyer, elle finira par s’arrêter. Je le répète, c’est un travail de longue haleine. Les meilleures choses ont besoin de patience, d’abnégation, de volonté. De toutes les volontés : institutionnelle, populaire et politique.

 

Quel est le maillon faible ?
La volonté politique.

 

Vous pensez qu’il n’y a pas de réelle volonté politique de lutter contre les discriminations ?
Ce n’est pas ce que j’ai dit. La volonté politique est là, la création de cette commission le prouve. Ce qui fait défaut, c’est l’action. Le politique veut faire, mais à son rythme, tranquille, et les lourdeurs bureaucratiques ne l’aident pas. Dans le privé, le rythme est différent.

 

Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un avocat qui envoie valdinguer des honoraires à Rs 20 000 de l’heure ?
Ce qui se pass ? J’ai été boursier de l’État, je veux rendre à mon pays ce qu’il m’a donné. M’impliquer dans une mission publique fait sens. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais regretté un jour. Et puis, je commençais à avoir une sensation étrange, comme l’impression de me gaspiller. Je n’aimais pas ce que j’étais en train de devenir. M’asseoir dans un bureau, éplucher du matin au soir des dossiers commerciaux, des montages offshore… O.K., ça met du beurre dans les épinards, parfois même du cholestérol, je n’avais plus envie de ça. Quand l’opportunité de me retrousser les manches pour mon pays s’est présentée, je l’ai saisi et je ne le regrette pas. Je ne veux pas être ce citoyen qui s’éloigne des centres de décisions pour se recroqueviller sur son petit confort.

 

En somme, vous êtes la branche CSR de « Glover Ltd » ?
(Rires) Il y en a eu d’autres ! Tous les Glover ont travaillé dans le public, les six générations, sauf la dernière (son frère Gavin est également avocat, NdlR). Le premier Glover était gardien de prison au début du XIXe siècle, puis il y a eu un maître d’école, un magistrat, un juge, etc., jusqu’à mon père, qui a été chef juge.

 

Les centaines de plaintes que vous avez examinées, que disent-elles de notre société ?
Ah, elles sont effectivement très bavardes. Elles disent que Maurice est malade de ses passions claniques. Nous ne sommes pas encore une Nation, nous peinons à nous émanciper de l’Histoire, à couper le cordon colonial. Parfois, je me dis que nous sommes un pays d’otages, de prisonniers. Certains sont otages du passé, d’autres du pessimisme ambiant, d’autres encore d’un complexe d’épiderme. Le pays a besoin d’une jeunesse qui rompt ces liens. Je rêve de voir émerger une jeunesse décomplexée.

 

Des saisines vous ont-elles mis en colère ?
C’est arrivé. Par exemple, en découvrant le traitement abject réservé à une hôtesse d’accueil qui avait eu le malheur de tomber enceinte.

 

Vous avez ri aussi ?
Beaucoup au début, avec une belle brochette de plaintes farfelues. La moindre injustice de la vie quotidienne devenait une discrimination. Je me suis retrouvé plus d’une fois face à un plaignant qui prenait la commission pour une boutique. « Mo vinn get ou parski monn gayn diskriminasyon / Ki diskriminasyon ? / Pa kone, ki ou ena ? / (Il cite les douze critères définis par la loi) / Abe pran kast alor. » L’année dernière, une plainte sur deux était irrecevable. On est passé à une sur quatre : on progresse mais il reste du boulot.

 

Certaines plaintes sont-elles plus fréquentes que d’autres ?
Près d’une sur deux concerne soit l’origine ethnique, soit l’opinion politique. C’est un bon miroir de la société mauricienne. Par contre, à Rodrigues, le ratio est totalement différent : 95 % des plaintes sont liées à l’opinion politique, l’origine ethnique n’est pas un problème. Là-dessus, les Rodriguais ont des leçons à nous donner.

 

Dix conciliations à l’amiable en quinze mois, est-ce suffisant ?
Non. Le problème, c’est que le secteur public ne joue pas le jeu des conciliations. Souvent, j’ai lu du mépris dans le regard des fonctionnaires que j’avais convoqués, du genre : « Ki to pou kapav fer mwa ? » Ces gens-là sont des arbres qui ont mal poussé, je préfère ne pas relever et me concentrer sur la jeunesse. Le milieu scolaire est sans doute le terrain le plus propice pour faire évoluer les mentalités. Je vais dans les écoles, j’envoie mes officiers dans les centres de jeunesse. En fait, on va partout où l’on nous donne une plate-forme.

 

Cette vie-là vous emmènera jusqu'en 2016. Et après ?
La politique m’intéresse, j’ai envie de me lancer. Il se peut que je n’aille pas au terme de mon mandat à la commission.

 

Cela dépend de quoi ?
Si je considère que la politique est plus efficace pour changer les mentalités, c’est en politique que j’irai.

 

Vous vous voyez sérieusement candidat en 2015 ?
C'est une forte possiblité (il regarde la fenêtre en direction du Parlement).

 
Êtes-vous proche d’un parti ?
Il n'y a plus de différences idéologiques entre les les partis dits "nationaux", donc le choix se fait sur la personnalité des leaders. Je ne crois pas qu'on adhère au MMM ou au Parti travailliste, on adhère à Bérenger ou à Ramgoolam.
 
Le choix est-il si restreint ?
Pravind Jugnauth n’existe que par sa caste. Quant à Xavier Luc Duval, l’histoire de son parti me dérange. Les Glover ont toujours été pro-indépendantistes.

 

Donc, où va votre préférence ?
Pour l’instant, je n’ai pas le droit de le dire.

 

On ne le répétera pas, promis.
(En aparté)Vous allez me faire des ennuis… J’ai longtemps eu de l’admiration pour Bérenger. Aujourd’hui, je n’ai plus que du respect. Il a raté son rendez-vous avec l’Histoire à cause de son complexe d’épiderme. Je me sens plus d’affinités avec la personnalité de Ramgoolam. Ce n’est pas l’homme sectaire que les journaux décrivent parfois. Il est tempéré, peut-être même trop, au point de donner dans le dilettantisme.

 

C’est vrai que vous êtes dans les petits papiers du dilettant pour le poste d’Attorney General ?
(Silence)

 

Vous auriez préféré le ministère du Silence ?
(Sourire)Le poste d’Attorney General m’intéresse. À la Justice, on peut vraiment faire bouger les choses. Mais je ne suis pas candidat pour le moment.

 

Vous l’avez eu, vous, ce complexe d’épiderme que vous reprochiez à Paul Bérenger ?
Non, parce que je sais qui je suis : un métis. Mon père est le fruit d’une union entre un Créole bourgeois de couleur et une Irlandaise. Cela donne ma tronche de métis, pas une tronche de Blanc.

 

Sinon, on parlera de quoi, ce dimanche, au déjeuner familial des Glover ?
Si Gavin est là, ce sera compliqué d'en placer une, c'est lui qui tiendra le crachoir ! (rires)