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BRUNO MIKALE, ANCIEN SPÉCIALISTE DU 800M

26 avril 2009, 15:20

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Grand espoir du 800 métres au début des années 90, premier coureur mauricien à descendre sous la barre des 1’ 50 sur le double tour de piste, Bruno Mikale avait toutes les qualités pour atteindre les sommets de sa spécialité. Mais une vieille blessure mal soignée et qui se réveillera en France en 1993 l’obligera à mettre un terme prématurément à sa carriére. Retour sur les traces laissées par le passage de ce météore de l’athlétisme.


Quel âge avez- vous aujourd’hui Bruno ?
— J’ai 38 ans.


Vous auriez dû être en ce moment un jeune retraité de l’athlétisme…
— En effet, et un retraité serein.


Et pourtant il n’en est rien. Vous n’avez été qu’un météore, prometteur certes, mais au parcours trop bref…
— J’étais un athléte assez performant mais à un moment j’ai eu des problémes. J’ai été abandonné quand je me suis blessé. Personne ne s’est soucié de savoir ce qui pouvait être entrepris, ni la fédération, ni le ministére de la Jeunesse et des Sports. Personne n’a essayé de trouver la source du probléme.


Comment eut lieu votre rencontre avec l’athlétisme ?
— Comme tous les jeunes, j’aimais courir. Je courais pour me rendre à la boutique, pour aller au bazar. J’aimais courir. Je ne faisais que ça. Un jour, mes amis m’ont invité à aller faire un tour à l’école d’athlétisme de Beau- Bassin- Rose- Hill. C’est là que j’ai découvert le rôle des entraîneurs, que j’ai compris qu’ils pouvaient prendre des jeunes en charge et les aider à s’épanouir. J’ai rencontré Rajen Pillay et Georges Vieillesse. Ils m’ont aidé, m’ont mis sur les rails, dans le bon chemin. Ils m’ont appris la base nécessaire pour progresser. Ils avaient vu que j’avais un potentiel et ils se sont occupés de moi.


Quand est- ce que vous avez récolté vos premiers résultats encourageants ?
— Dés 1988, quelques mois aprés mes débuts.


Vous avez connu une ascension fulgurante…
— Oui, c’est le cas de le dire. J’étais cadet en 1988. En l’espace d’un an, je suis devenu le numéro un sur 800m. Je valais à l’époque 1’ 55- 1’ 56.


Vous êtes devenu le premier coureur mauricien à moins de 1’ 50 sur 800 métres…
— Oui. Cela s’est produit juste avant les Jeux des Iles de Madagascar en 1990. J’étais en stage à Saint- Maur en compagnie de Jacques Dudal ( Ndlr : l’ancien DTN aprés Ron Davis). J’ai réalisé alors 1’ 49” 72.

Cela vous ouvrit les portes du haut niveau et de la gloire
— On peut dire ça. Rajen Pillay et Georges Vieillesse m’ont aiguillé vers Ron Davis qui était le directeur technique national à l’époque. J’ai suivi un entraînement poussé. Je m’étais affirmé comme un athléte confirmé sur 800m. J’avais 19 ans.


Vous avez même intégré une structure spécialisée en France…
— J’ai séjourné à l’INSEP ( Ndlr : Institut National du Sport et de l’Education Physique) pendant quatre mois. Puis je me suis rendu à Bordeaux, au club d’athlétisme SBUC. J’y ai passé quatre ans. J’étais entraîné par Roger Grange, entraîneur spécialisé dans le 800m. J’avais un appartement, je faisais la cuisine, la lessive. Je vivais bien. C’était quelque chose d’extraordinaire pour le petit Mauricien que j’étais.


Comment furent ces années d’abondance ?
— Ce fut une grande expérience pour moi. J’ai appris beaucoup de choses, notamment sur le plan de l’entraînement. Roger Grange était le grand manitou du 800m. J’ai beaucoup appris.


Que valiez- vous alors sur le plan chronométrique ? Quels étaient vos espoirs ?
— Je valais 1’ 50- 1’ 51. Je voulais devenir un grand champion, faire découvrir mon pays grâce à mes performances.


Le fait d’avoir droit à une existence dorée, vous qui étiez issu d’un milieu modeste, a- t- il été facile à gérer ?
— Je n’avais pas la grosse tête. J’étais en mesure de gérer tout ce qui m’arrivait d’extraordinaire. J’étais resté quelqu’un de simple. J’avais les pieds sur terre. Je n’étais pas une star. J’étais toujours Bruno Mikale, l’enfant de Cité Barkly. C’est toujours le cas aujourd’hui. J’aimais rire et faire rire les autres.

Et puis survint la blessure…
— Malheureusement… Une blessure que je traînais depuis quelques années s’est réveillée au niveau des ischiojambiers.


Elle avait été mal soignée à Maurice. C’était dommage car j’arrivais au top niveau à Bordeaux en 1992- 93.
Cette blessure avait provoqué une fibrose, une sorte de petit caillou au milieu d’un muscle.


Une blessure dont vous vous remettiez lentement ?
— Ma vie a changé du tout au tout. J’étais devenu handicapé. Je ne pouvais plus m’entraîner. Roger Grange a fait de son mieux pour que je sois examiné par les meilleurs kinésithérapeutes de France. J’ai été en rééducation. Si je peux marcher et courir aujourd’hui, c’est grâce à lui.


Puis vous avez été incapable de retrouver votre niveau ?
— J’ai commencé à me remettre lentement. Je bénéficiais de soins là- bas. Avec l’aide des kinés, j’avais pu recommencer à courir. Roger Grange était heureux. Il voulait me voir aller plus loin. Et puis il y a eu l’épisode des Sony Games. La fédération m’a demandé de rentrer et d’y participer sans se soucier de ce que je vivais. Et j’ai été battu sur 800m par Désiré Pierre- Louis. Il fut le premier coureur à me battre sur cette distance.


Ce fut la descente aux enfers…
— On m’avait coupé l’herbe sous les pieds. Ma bourse avait été supprimée en 1994. Mon contrat n’a pas été renouvelé. Je me retrouvais à zéro. Je n’ai pas pu retourner en France. Si j’y étais resté, j’aurais emmené Maurice au niveau mondial. Lors d’une compétition au stade Anjalay, je fis deux faux départs sur 400 métres. Puis Jacques Dudal voulut m’aligner sur 200 métres pour essayer de comprendre ce qui n’allait pas. C’est un grand homme que je respecterai toujours. Il a beaucoup fait pour moi. J’ai essayé de maintenir le niveau qui était le mien. Mais je n’y suis pas parvenu. Jacques Dudal était le seul à me soutenir. Il m’aidait même financiérement.


Avez- vous eu le sentiment d’avoir été abandonné ?
— Oui. Tout le monde m’a abandonné. Personne n’a essayé de savoir ce qui m’était arrivé. Ils ont eu l’occasion de m’enfoncer davantage et c’est ce qu’ils ont fait. Jusqu’aujourd’hui, personne n’a essayé de découvrir la vérité. J’ai rencontré Désiré Piere- Louis qui était à Maurice il n’y a pas longtemps. Il m’a demandé aprés toutes ces années : « Dis- moi ce qui s’est réellement passé, j’ai envie de savoir. »


Comment avez- vous survécu aprés l’athlétisme et le haut niveau ?
— J’ai voulu continuer l’athlétisme mais j’ai dû me rendre à l’évidence : je perdais mon temps. Je vieillissais. Je devais savoir que faire de ma vie. J’ai décidé de me lancer dans autre chose. J’ai survécu. J’ai fait plein de petits boulots. J’ai été tour à tour vendeur de boulettes, de dhol pouris. Ce n’est pas une honte que de gagner sa vie. C’était un nouveau chapitre dans le livre de l’expérience. J’ai appris beaucoup de choses. J’ai souffert pour devenir ce que je suis, quelqu’un de responsable.


Que reste- t- il aujourd’hui de ce Bruno Mikale ?
— Beaucoup de choses. J’ai conservé ma dignité, ma liberté de pensée. Mon nom est propre, il n’est pas entaché. Je suis toujours respecté. Ceux qui me croisent me disent toujours qu’ils regrettent que je n’aie pas eu la chance qu’eux ont aujourd’hui.


Que faites- vous dans la vie ?
— Je me suis spécialisé dans le massage. Je suis masseur diplômé et instructeur dans un centre de sport, le Centre d’équilibre et de remise en forme, un des meilleurs à Maurice. Je fais partie d’une équipe soudée composée d’anciens athlétes tels que Clive Parisienne, Clyde Lamport, Lisebeth Curpenen.


Nourrissez- vous des regrets de n’être pas allé jusqu’au bout de vous- même ?
— J’ai un petit regret au fond de moi. Un tout petit regret. Si mon destin était écrit ainsi… Tout le monde ne naît pas sous la même étoile. La chance ne se présente pas de la même façon pour tout le monde.


Quelles leçons retenez- vous de ces années consacrées à l’athlétisme et de ce qui ne sera qu’un demi- succés ?
— Un champion ne demeure pas toujours un champion. On le voit d’ailleurs tous les ans aux Championnats du monde, durant les Jeux olympiques. Il y a un moment de rêve, où on est sur un nuage. Puis le nuage s’en va et c’est la chute brutale. J’ai appris que les promesses des autres ne sont généralement que des promesses. C’est en soi qu’il faut d’abord avoir confiance, pas dans les autres. J’ai appris à ne pas me contenter de ce que les autres disent mais à me battre pour m’offrir ce que je désire.


Envisagez- vous de transmettre votre expérience et votre passion malgré tout aux jeunes ?
— Oui. J’ai une idée que je caresse. Je voudrais, avec la collaboration d’anciens athlétes, créer des champions. Nous aurons besoin du soutien des sponsors. Je voudrais aider les jeunes. J’aimerais préparer la reléve, l’aprés Buckland, Milazar.


Quels conseils donneriez- vous aux jeunes athlétes qui débutent ?
— J’ai remarqué que beaucoup de jeunes aiment l’athlétisme pour son côté frimeur qui consiste à s’afficher avec des équipements griffés. Ce n’est pas ça l’athlétisme. L’athlétisme, c’est une passion que nous vivons au fond de nous, quelle que soit la tenue de sport que nous portons. J’ai commencé l’athlétisme pieds nus. J’ai porté des pointes quand j’avais atteint un bon niveau. Je pense qu’on peut parvenir à un équilibre entre le sport et les études. Pour devenir un grand champion, il faut faire des sacrifices. Une séance d’entraînement ne suffit pas. Il faut une discipline de vie, ne pas penser à s’amuser. L’athlétisme, c’est une présence sur le terrain. L’athlétisme de haut niveau, c’est avant tout la souffrance.
Il faut le faire par amour. Même si la victoire n’est pas au bout de la piste.



 

Robert DARGENT