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Campagne électorale :Ton univers impitoyable ?

18 avril 2010, 08:31

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« Des pourris, il y en a partout, pas plus en politique qu’ailleurs », met les points sur les « i » Alain Gordon-Gentil. « Comme nous tous, les politiciens pensent d’abord à eux et à leurs proches », relativise Joseph Cardella.

Entre coups tordus et traîtrises, emprise de l’argent et règne de la médiocrité, les élections restent-elles un temps fort de la démocratie ?

Alain Gordon-Gentil. Lorsque les citoyens s’expriment par le vote, c’est forcément un temps fort, mais avec ses défauts. Comme disait Churchill, la démocratie est un mauvais système, mais le moins mauvais de tous. Après, on peut philosopher des heures sur le niveau de la campagne, mais les urnes restent l’épreuve du feu, l’expression même de la démocratie.

Joseph Cardella. Une élection reste évidemment un temps fort, mais un temps faible aussi.Les coups bas pleuvent, il n’y a pas de débat, aucun projet n’est mis en avant, ou très peu. Les campagnes électorales me font penser à une tribune de supporters de foot surexcités.Je ne suis pas un fana du débat mais je me souviens en 1995 d’un face-à-face télévisé entre Chirac et Jospin. Lorsque les candidats se battent sur le terrain des idées, là oui, une campagne est un vrai temps fort de la démocratie.

A.G.-G. Tout le monde réclame un débat d’idées, mais il faudrait peut-être se poser la questionde savoir s’il y a encore des idées ! Prenez l’économie : depuis 35 ans, pas une seule idée  nouvelle, tous les ministres ont fait la même chose. S’il n’y a pas de débats, c’est parce que les idées neuves sont en voie de disparition.

J.C. Il y a de ça, c’est vrai. Néanmoins, cette campagne peine à porter les préoccupations des Mauriciens et à expliquer en quoi le scrutin est un enjeu pour leur quotidien. Jusqu’ici, je n’entends que des hurlements partisans, un leader qui en insulte un autre, des candidats qui s’autoproclament meilleurs que ceux d’en face et qu’il faudrait croire sur parole. Qu’ils
argumentent, qu’ils m’expliquent comment ils comptent s’y prendre.

Si la campagne était un outil, ce serait une tenaille dont les deux mâchoires s’appelleraient populisme et communalisme. D’accord ou pas ?

A.G.-G. Là où du pouvoir est en jeu, il y a des coups tordus, c’est comme ça depuis la nuit des temps. La lutte pour le pouvoir  toutes les formes de pouvoir réveille les plus bas instincts de l’être humain. Cela dit, les journalistes, les éditorialistes et tous les grands prêtres de la raison bien-pensante sont injustes de focaliser à ce point sur les travers des politiciens. Ce que l’on reproche aux puissants de la politique, on pourrait le reprocher aux puissants du monde des affaires, or la presse est plus indulgente, plus docile à leur égard. Eux, pourtant, ne se soumettent pas au choix du peuple. Personne ne peut virer un géant de la finance ou le pape. Par contre, le 5 mai, les électeurs peuvent virer Ramgoolam.

J.C. A bien y réfléchir, l’exercice démocratique par excellence, c’est la page forum des journaux.Les citoyens y expriment leur point de vue, ils argumentent et on retrouve toutes les tonalités de pensées. C’est ça la démocratie.

A.G.-G. Non, ça c’est la démocratie bourgeoise.

J.C. La démocratie lettrée, je l’admets.

Les candidats ne sont ils pas le reflet des attentes de l’électorat ? Quelque part, n’a-t-on pas la campagne que l’on mérite ?

A.G.-G. Absolument. Le malaise vient du fait que les politiciens, dans leurs bons comme dans leurs mauvais côtés, nous ressemblent. Et c’est bien pour cela qu’ils se présentent !

J.-C. Oui, ils nous ressemblent, leurs petits et gros travers ressemblent aux nôtres. Comme nous tous, les politiciens pensent d’abord à eux et à leurs proches. D’ailleurs, ils semblent l’assumer puisqu’ils changent de parti comme de chemise. Tout cela est parfaitement humain et  compréhensible. Ils jouent le jeu que nous jouons, même s’il faut toujours se méfier des généralisations.

La politique en campagne peut-elle être morale ?

A.G.-G. Sur le papier, je ne vois rien d’immoral à vouloir s’occuper des affaires de la cité, au contraire, cette démarche est louable. C’est dans la pratique que les choses peuvent déraper.

J.C. Pour ne pas redécouvrir la Lune, rouvrons Nicolas Machiavel []le penseur qui a fondé la philosophie politique moderne, ndlr]. Dans « Le Prince », Machiavel réfute toute conception morale du pouvoir. Il montre que le chef ne doit pas obéir à une morale, mais s’adapter aux circonstances. Cela ne veut pas dire qu’il doit être immoral, mais qu’il peut s’affranchir de la morale si c’est nécessaire. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui le pragmatisme. La politique n’a pas pour fin la morale mais la réussite, c’est-à-dire obtenir et conserver le pouvoir.

Ceux qui disent « voter pour moi ! » sont donc des Machiavel ou des Sun Tzu (L’Art de la guerre) modernes ?

A.G.-G. C’est difficile de généraliser, chaque homme politique a sa manière d’agir. Ce dont je suis convaincu, c’est que la perspective du pouvoir réveille nos vieux démons. J’aimerais revenir sur cette question de la morale et de la politique. Un jour, Jawaharlal Nehru vient voir Gandhi.  C’est au moment de l’indépendance, Nehru ne sait plus quoi faire et Gandhi lui dit à peu près ceci : quand tu as une décision importante à prendre, pense à la personne la plus pauvre que tu connaisses. Si ce que tu décides fait avancer cette personne, alors ta décision est la bonne. S’il faut penser une morale de la politique, elle doit être élaborée au sein du travail pour le progrès.

J.C. Sauf qu’en politique, tu crois faire le bien et tu reçois une claque : il n’y a pas de morale. Et puis, tout pouvoir qui se prétend bon, qui veut dicter le bien et le mal, agir au nom de la morale ou de la religion, est dangereux. Aucun tyran n’a jamais conduit son action au nom du mal, du vice, ou de l’injustice. Il prétend toujours agir au nom du bien. Méfions-nous des moralistes en politique.

A.G.-G. Au fond, la politique n’est peut-être pas morale parce que le monde ne l’est pas.

Quelle différence y-a-t-il entre un épisode de « Dallas » et le feuilleton Sithanen ou un meeting qui dérape à Centre de Flacq ?

A.G.-G. C’est le même univers impitoyable, mais Dallas est plus feutré, il y a plus d’argent en jeu, plus d’hypocrisie. Sur une estrade on s’insulte, dans un board on se sourit mais juste après on se poignarde dans le dos. Des pourris, il y en a partout, pas plus en politique qu’ailleurs. Mais au moins les politiciens osent se présenter devant le peuple. Le père Churchill fait gagner la guerre à l’Angleterre, de Gaulle libère la France, le père Ramgoolam emmène Maurice vers l’Indépendance, et tous les trois finissent par être éjectés du pouvoir.

J.C. Le couperet des urnes, c’est aussi cela le caractère impitoyable de la politique. Dallas glorifie la loi du plus fort, comme dit le générique, mais les élections glorifient la loi des urnes, c’est-à-dire le choix du peuple.

Fabrice Acquilina (LExpress Dimanche)