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Carl de Souza : « La société nous formate »

26 avril 2011, 15:46

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Samedi dernier était célébrée la 16e Journée internationale du livre. Dans ce contexte, l’écrivain Carl de Souza analyse nos habitudes de lecture face à la progression des nouvelles technologies.

Que représente le livre à une époque où on dit d’elle qu’elle n’appartient pas au livre ?

Il faudrait voir ce que le livre représentait avant. Il y avait tout un rapport au livre qui relevait d’une certaine intimité. Ce n’est pas la même relation qu’on a avec un film, par exemple. Avec le livre, il y a une intimité qui peut être renouvelée à tout moment. Utilisant un terme aujourd’hui à la mode, on pourrait dire que c’était une relation durable. Une sorte de fréquentation inscrite dans le temps.

Il y a toute cette dimension physique du livre – une texture, une odeur, du papier sur lequel on peut gribouiller – qui était très importante. Le livre, c’est aussi un rapport au temps alors que maintenant, le rapport au temps, c’est celui de la vitesse. On a désormais une relation exagérée avec la réalité.

Cela explique que les télé-réalités occupent une grande place dans notre vie. Cette espèce de voyeurisme me pose problème. Par contre, le livre, qui est une fiction, est quand même une vérité, même si c’est la vérité subjective d’une personne.

Le livre est-il menacé par un monde dirigé par la logique digitale ?

Je ne crois pas qu’il faille blâmer la technologie. Celle-ci semble même être plus utile aux ringards que nous sommes qu’aux jeunes. Nous, nous avons connu la difficulté de collecter des informations et de faire des recherches. Mais, je dois aussi ajouter qu’il n’y avait pas plus de lecteurs à notre époque. Et qu’on trouve encore, dans cette période contemporaine, des gens qui n’ont pas de téléviseur et passent une bonne partie de leur temps à lire.

Nous vivons dans un monde où les sms, les «mails», le chat relèvent des lectures les plus courantes. De quelle manière ces moyens de communication structurent-ils la pensée des contemporains ?

Je relève qu’il y a un nouveau rapport à l’espace et au temps. Alors qu’on communique plus, il y a, d’un autre côté, moins de proximité avec ses interlocuteurs. La relation à l’autre est saccadée, abrégée. Rédiger une lettre, voire un courriel, c’est une chose. En revanche, sur les outils de communication actuels, on est dans le mode de
l’abréviation des mots. C’est une autre communication. Mais, elle ne peut pas remplacer la lettre dans le sens que celle-ci est une pensée plus aboutie.

Vers quel type de lecture la société nous pousse-t-elle aujourd’hui ?

La question à se poser est de savoir si elle nous pousse vers une lecture quelconque. Vers quel film ou livre nous pousse-t-elle sinon tout ce qui présente les caractéristiques d’un succès populaire ? Ce sont des productions très schématisées et des façons d’être taillées à la hache. J’éviterai d’émettre un jugement de valeur. Mais, c’est désormais une tendance. La société nous formate. Elle nous demande de tout voir en termes économiques. Ce formatage nous vient des pays à forte puissance économique.

Aujourd’hui, nous sommes livrés à des lectures qui appellent à moins de liberté de pensée. Il y a de moins en moins de personnes qui osent une pensée singulière.

Entretien réalisé par Nazim ESOOF