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Chand Bhadain : «Produire du haut de gamme devrait être une obsession nationale»

25 janvier 2013, 08:22

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Fin observateur du développement de Maurice, ancien «Executive Chairman» de «Business Park of Mauritius Ltd» (BPML), il a aussi mis sur pied le parc informatique, à La-Tour-Koenig, et a été, dans les années 80, à la tête de la «Mauritius Export Development and Investment.

Après 40 ans, le secteur manufacturier a-t-il encore des années de gloire devant lui?

Bien sûr, à condition de prendre les décisions qui lui permettront d’évoluer dans la bonne direction. Je pense à ses objectifs en matière d’effectif, notamment la formation, la montée en gamme, la technologie, l’innovation, l’installation à Maurice d’autres créneaux porteurs et le climat d’investissement. Celui-ci a, certes, évolué de façon positive, mais il y a encore beaucoup à faire.

Après plus de 40 ans d’existence, il est, par exemple, hasardeux d’envisager le secteur textile avec un effectif d’environ 90 000 personnes comme dans les années 90. Son effectif ne devrait pas dépasser les 20 000 personnes. L’ancien Premier ministre de Singapour, Lee Kwan Yew, avait déjà donné le ton pour son pays dans les années 80. «Singapore is not going to become a pyjama republic», avec les résultats que l’on connaît. Et, maintenant, grâce à notre frottement avec ce pays pour la CWA et la carte d’identité, je pense que l’on peut aussi imiter Singapour en ce qui concerne la transparence, le contrôle de la corruption et des scandales, notamment. Cela pourra donner un coup de fouet au développement économique du pays. Des services et des produits haut de gamme devraient être une obsession nationale à tous les niveaux.

Vous avez, avec vos associés au niveau de l’ex-MEDIA, jeté les bases de ce qui allait devenir le secteur des TIC. Comment tout cela a-t-il démarré ?

Notre idée était d’encourager les investisseurs dans le domaine des centres d’appels à s’installer à Maurice. Une équipe a été déléguée dans des pays, dont la République dominicaine, la Jamaïque et la Barbade, pour un état des lieux. Parallèlement, une autre équipe s’est, elle, rendue en Inde, à Taïwan et à Singapour pour en faire autant au niveau des entreprises engagées dans le secteur des TIC. En 1990/91, nous nous sommes lancés de plain-pied dans ce nouveau secteur d’activité, avec la mise en place d’un parc informatique à La-Tour-Koenig.

Plus de 20 ans après, quelle est votre évaluation de l’évolution du secteur des TIC ?

La clé du succès de tout nouveau secteur d’activité économique réside dans le souci de se spécialiser dans une prestation de services des plus sophistiqués et dans la fabrication de produits haut de gamme. Nous avons, certes, progressé en nous positionnant dans la catégorie intermédiaire. Il nous faut viser le haut de gamme, toujours et toujours.

Qu’est-ce qui pourrait nous empêcher d’atteindre un niveau de compétitivité comparable à celui des pays en haut du tableau sur le marché mondial ?

Notre manque d’agressivité à tous les niveaux. Il nous faut, à la tête du pays, des dirigeants de la trempe de Lee Kwan Yew, c’est-à-dire de véritables visionnaires qui ont de l’audace, qui inspirent confiance et qui peuvent susciter l’adhésion de toute la population. Une progression constante de son avantage sur ses plus proches concurrents passe obligatoirement par la mise en place de structures animées par des têtes pensantes respectées, ayant une expertise reconnue dans un domaine spécifique.

La mise en application de leurs recommandations ne devrait faire l’objet d’aucune contestation. Leur mission sera d’engager des analyses et effectuer des études approfondies, intensives et pointues sur des aspects spécifiques, soit pour rectifier le tir après l’émergence d’une faiblesse, soit pour repérer l’élément qui permettra aux pays d’être à l’avant-plan du progrès.
Dommage que le parcours de Maurice ait été caractérisé par un manque de vision. Divers projets d’envergure sont restés lettres mortes ou ont progressé à pas de tortue. Parmi, celui de Highlands, de Neo Town, de la cybercité de Rose-Belle, de Jin Fei, de la construction de réservoirs, de la diversification de la base de développement de l’industrie et de la production d’électricité.

En tant qu’économiste de formation, quel est votre avis sur les possibilités pour le pays d’améliorer son taux de croissance ?

Pour y parvenir, il faut être convaincu des potentiels des secteurs traditionnels à accroître la croissance. Je pense tout particulièrement au secteur agricole. Nous sommes passés d’une industrie qui favorise l’exploitation de la canne pour son sucre à une autre qui favorise celle de la canne. Nous avons négligé les potentiels de la production agricole dans le domaine de la sécurité alimentaire. Après la récolte de la canne, la culture d’autres produits alimentaires peut être engagée. A l’instar du maïs, du tournesol, de la cacahuète, de la pomme de terre, de la tomate et des petits pois. Nous avons plus ou moins atteint l’autosuffisance pour ce qui est de la production de pommes de terre. Serait-il utopique d’imaginer en faire autant avec d’autres produits ?

Avec l’appui de la biotechnologie, il est possible de repérer des variétés de produits qui peuvent évoluer à l’ombre des repousses de la canne à sucre (la production interligne). Surtout avec l’utilisation judicieuse de notre seule ressource naturelle : la terre. Avec la mécanisation de l’industrie sucrière et l’épierrage des terres, combinés à un stimulus package bien orchestré, et sans mentionner les terrains abandonnés par les petits planteurs, l’on peut facilement augmenter la production des denrées alimentaires. L’industrie de la pêche peut également contribuer à une augmentation du taux de croissance, avec un stimulus package pour l’acquisition de bateaux de pêche au lieu de peaux de pistaches. Le mot d’ordre de ce stimulus package doit être «augmenter la production pour la consommation locale». Je suis convaincu qu’avec une certaine vision, on peut augmenter le taux de croissance à 5 % ou 6 % en 2013.

Partagez-vous l’idée de ceux qui estiment que notre avenir se trouve en grande partie en Afrique ?

L’avenir de Maurice se trouve en Afrique. La conquête du potentiel africain passe par une implantation sur le marché que l’on lorgne. Au temps de la MEDIA, nous avons installé huit bureaux sur le continent, notamment en Zambie, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda, Kenya, Zimbabwe et Malawi. Cela permet de s’adapter aux spécificités des marchés que l’on veut atteindre. Ceux qui ont su prendre le train à temps en récoltent les fruits aujourd’hui, à l’instar du visionnaire que fut Jean Marc Harel, du cabinet d’experts-comptables De Chazal Du Mée.

Près de Rs 12 milliards en termes d’investissement étranger à Maurice pour 2012. Un chiffre qui ne peut vous laisser indifférent, n’est-ce pas ?

C’est trop beau pour être vrai, économiquement parlant. Pour moi, toute forme d’investissement digne de ce nom débouche obligatoirement sur une croissance qui bénéficie à l’ensemble de la population dans la durée. Je doute que derrière ces milliards, mis à part la construction de villas, qui n’est qu’une activité temporaire, et quelques emplois de part et d’autre, se cache une véritable course aux bénéfices découlant du jeu des plus values. Je crains, à tort peut-être, que les investissements directs étrangers ne se limitent qu’à acheter, vendre et revendre plus cher de l’immobilier de luxe. Je crains aussi qu’à ce rythme, même la classe moyenne devienne, un jour, une étrangère dans son pays natal.

Propos recueillis par Lindsay Prosper