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Chandan Jankee, professeur associé en économie à l’université de Maurice

11 août 2010, 10:54

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? On dit souvent que l’économie mauricienne a bien résisté à la crise. Quelle est votre opinion sur cette assertion ?

Je ne suis pas d’accord. Il s’agit d’un slogan économique et politique pour enrichir quelques secteurs, des entreprises et certains consultants. Le ministre des Finances de l’époque a pris des mauvaises décisions et «quick fixes» et a en partie mal géré l’économie en se servant de la crise comme paravent. Nous devons nous interroger sur la stratégie qui a été mise en place et l’évaluer en termes de coûts et de ressources utilisées.

Où sont passés les financements fournis par l’Union européenne, les arriérés de la Mauritius Revenue Authority et les ressources de la Bank of Mauritius ? Le «early harvest» était «expenditure driven». Si on avait bien géré la crise, l’économie mauricienne serait beaucoup plus résiliente aujourd’hui. En fait l’économie du pays est mal gérée depuis les années 90. Nos décideurs auraient dû diversifier nos exportations en réalisant que la compétition mondiale devenait féroce. Ils auraient dû anticiper la baisse des prix du sucre et s’attaquer aux problèmes de productivité que connaît le pays. Ils n’ont trouvé que des solutions temporaires, qui n’on pas généré de véritable croissance. Tout a été fait pour développer l’Integrated Resort Scheme (IRS). Mais l’IRS n’est qu’un secteur parallèle qui n’est pas intégré dans le «main stream» de l’économie mauricienne.

Aujourd’hui, si le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires, il va être confronté à une crise sociale majeure. Je sens que le gouvernement travaille dans cette direction. Il faut mettre l’emphase sur la qualité de l’investissement et de la croissance et non sur la quantité .

? Quelles sont les forces et les faiblesses du modèle économique local ?

D’un point de vue général, la force de notre économie réside dans sa faculté d’adaptation. Nous n’avons pas gardé le même modèle depuis l’indépendance.

Nous disposons en outre d’un secteur financier performant. Ce qui devrait nous permettre de bâtir une véritable plateforme économique pour lier l’Asie à l’Afrique. Notre modèle est basé sur la diplomatie économique, et nous profitons bien de nos liens économiques avec la Chine et l’Inde. Mais nous avons également nos faiblesses. Nous avons raté l’opportunité de transformer notre pays pour passer d’une économie basée sur le «labour incentive» à une économie de «capital incentive». Le secteur privé n’est pas assez créatif et reste dépendant des marchés préférentiels et des subventions de l’Etat. Nos institutions parapubliques ne sont pas performantes. Nous ne sommes pas assez compétitifs sur le plan mondial.

Malgré le développement économique des années 80, nous n’avons pas réussi à nous hisser à un niveau plus élevé de croissance. Tout le monde pensait que nous allions devenir, comme Singapour, un tigre dans l’océan Indien c’est raté.

? Que pensez-vous du débat sur la nécessité de baisser les taux d’intérêt pour retrouver une roupie compétitive à l’exportation ?

Je ne vois pas de relation significative entre le niveau des taux d’intérêt, l’épargne et l’investissement.

A mon avis, une baisse du taux repo de la banque centrale serait un bon signal agents économiques, car cela aurait un effet psychologique bénéfique. Mais pour augmenter la compétitivité de nos exportations, il y a d’autres facteurs à prendre en considération. Il faut revoir les coûts de production par exemple de l’électricité et les coûts administratifs . La politique fiscale doit être réformée. Il faut développer une approche sectorielle. Par ailleurs, on ne peut pas continuer à subventionner des secteurs qui ne sont pas compétitifs sur le plan mondial. Donc, dans le contexte actuel, il faut faire baisser le coût de l’investissement et pas seulement le taux repo.

? Faut-il craindre une résurgence de l’inflation à moyen terme ?

Nous sommes trop obsédés par l’inflation. Le fait que nous soyons un petit pays importateur fait que nous devons vivre avec l’inflation, sans sacrifier la croissance. L’inflation doit être une résultante de la croissance il ne faut donc pas créer un goulot d’étranglement en ne visant que la lutte contre l’inflation. Il s’agit au contraire de relancer la machine économique.

? La crise a mis en évidence le fait que nous dépendions grandement de l’Europe. Une réorientation de notre économie est-elle possible ? Dans quels secteurs et vers quelles régions géographiques ?

On en parle depuis 20 ans, avec la coopération économqiue régionale et nos liens avec l’Inde et la Chine. Mais une nouvelle fois, une réorientation de notre économie ne sera possible que si nous sommes compétitifs. D’un point de vue sectoriel, il faut revoir la pêche et le tourisme. Il faut également développer de nouveaux secteurs, mais je ne crois pas que ça doit être dans le secteur des IRS. Et c’est une chose qu’on ne pourra pas faire seul. Un développement de partenariats avec des multinationales sera nécessaire.

Nous devons revoir notre stratégie de fond en comble.

Il faut mettre en place un ajustement structurel, avec une gouvernance extérieure du type Fonds monétaire international ou Banque mondiale, afin d’atteindre un nouveau palier et relancer la croissance. On ne peut pas se contenter d’une gouvernance interne, car il y a trop de lobbies et de corruption à Maurice. E nous manquerions de crédibilité.

? L’île Maurice connaît-elle un problème d’endettement ?

C’est évident. Nous avons un problème d’endettement public. Sans une croissance soutenue, une rigueur de gestion et une réorientation de nos ressources, il sera très difficile de nous désendetter. A moins d’augmenter les taxes et la TVA. L’épargne a baissé et les exportations ont reculé, ce qui a abouti à une hausse de l’endettement. Mais nous ne sommes pas la Grèce. Si nous prenons les bonnes décisions, nous pouvons nous en sortir. A noter aussi qu’il existe un problème de la dette privée. La population est trop endettée, ce qui pose le problème de la pauvreté.

? Il existe un excédent de liquidités permanent sur le marché monétaire. Est-ce un danger ?

Avec l’augmentation des investissements directs étrangers, il y a un excédent récurrent de liquidités.

Mais il n’y a pas de véritable danger, car il n’y a pas d’inflation. Mais pour relancer la croissance, il faudrait transférer cet excédent de liquidités aux investisseurs. Il s’agirait d’utiliser cet argent à des fins productives.

Les banques mauriciennes ne prennent pas assez de risques pour financer l’économie. Le ministre des Finances actuel devrait les pousser à prendre plus de risques. Il faudrait même les taxer, car tous les secteurs profitables devraient contribuer au développement économique. On pourrait également songer à une taxe différentielle sectorielle qui frapperait les secteurs en situation d’oligopole. Car on a bien vu que le Corporate Social Responsibility et le Stimulus Package ne marchaient pas. On a essayé de copier les étrangers, mais ça ne marche pas à Maurice.