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Christian Némorin : «Le politique doit instruire le peuple, mais ce n’est pas le cas»

21 juillet 2011, 11:39

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Représentativité et absence de pluralisme. C’est ainsi que Christian Némorin perçoit l’omniprésence de l’oligarchie politique.

Le titre de votre essai, «L’île Maurice et le Market Socialism, à quand la démocratie?» interpelle. Pourquoi «market socialism» ?

Le market socialism est le concept utilisé par les politiciens peu après 1982 en opposition à l’austérité de gauche, et ce jusqu’aujourd’hui. En une phrase, c’est l’économie de marché d’abord et la répartition sociale après. Ce qui peut être perçu comme une forme d’opportunisme. On ne peut toutefois le traduire en français et, comme je m’interroge dans l’essai, est-ce le centrisme qui a cours à Maurice ? En tout cas, la démocratie s’est retrouvée broyée, comme j’en fais la démonstration dans l’ouvrage, entre market et socialism.

Votre propos ratisse large. Néanmoins, une constante semble sous-tendre l’ouvrage : l’apathie de la conscience citoyenne... L’objectif est-il de revigorer la citoyenneté mauricienne ?

La politique a le devoir d’instruire le peuple, ce qui n’est pas le cas à Maurice. La mesure de l’éducation politique fonctionne en parallèle avec la qualité de l’opinion et la conscience citoyenne. Si la conscience est endormie, c’est que la qualité de la politique pratiquée est moindre, non instructive. De plus, la perpétuelle quête des uns et des autres visant à se trouver une place dans une chambre supérieure, à savoir un mode de vie bourgeois, diminue et endort la pensée et l’action citoyennes. Pour se revigorer, l’être social peut passer à un palier supérieur mais l’esprit, lui, doit rester en ébullition.

Vous écrivez : «L’oligarchie politique, par sa seule gourmandise, []...] montre une incapacité à faire des Mauriciens un peuple». L’île Maurice que vous faites grandir dans votre essai n’atteint pas véritablement l’âge adulte à cause du politique. Qu’est-ce qui, selon vous, dans l’action politique post-indépendance, fait pâlir notre démocratie ?

D’abord, en cause, le système électoral, où il y a représentativité et non pluralisme. D’où deux blocs au Parlement, et pas cinq ou six entités. Ensuite, il faut comprendre que l’intérieur d’un parti politique est une chose publique. Dès lors, comment peuton parler de méritocratie quand on pense à Navin Ramgoolam, Xavier-Luc Duval, et Pravind Jugnauth, qui ont reçu un parti gratuitement, et à Paul Bérenger là depuis 40 ans ? Où se trouve cette condition essentielle de la vertu politique qu’est le renouvellement, souhaitée par les pères et les penseurs de la politique ?

Diriez-vous qu’on a sacrifié certains de nos idéaux, de nos engagements, certaines de nos valeurs sociales, culturelles et politiques au profit de l’effort, de l’économie, de la rentabilité, bref de toutes ces composantes qu’on juge essentielles au développement ?

C’est surtout parce que la vie repose, hélas, aujourd’hui, sur la recherche de la valeur ajoutée. Mais, ce n’est pas le cas de l’humanité, heureusement. Pour retrouver l’humanité et son apprentissage, ces valeurs que vous citez, il suffi t de savoir ne pas être gourmand. La gourmandise rend cupide, immoral, voire imbécile, et fait donc reculer les valeurs et la morale.

Le Blok 104 des dernières législatives, la lutte de «Rezistans ek Alternativ» pour qu’on en finisse avec la catégorisation communautaire et religieuse, ou encore le «Muvman premye me» sont-ils «des actions» qui donnent corps à la démocratie ?

On est d’accord pour dire qu’il faut en finir avec la catégorisation, surtout pour ce que sera une future réelle République. Mais la structure réelle qui doit être visée, celle où le communautarisme, l’ethnicité et la religion sont utilisés afin de catégoriser, c’est bien le recensement décennal. Je montre d’ailleurs la ligne fi ne entre les deux espaces, public et privé, qui s’entremêlent dans le chapitre du même nom. L’action, c’est de faire en sorte que toutes les composantes issues de l’espace privé n’influencent pas, n’orientent pas et ne se prononcent pas dans l’espace public. Pour cela, il faut être aux affaires.

Disons-le, l’ouvrage n’est pas d’une lecture aisée. Ne craignez-vous pas que des lecteurs passent à côté du message essentiel ?

Je pense que le lecteur doit se mettre à «disposition» quand il pénètre dans un essai. Au-delà, dans l’histoire mondiale des livres de philosophie politique, il y a toujours eu quelqu’un qui s’est approprié des textes et est entré dans l’action.

Entretien réalisé par Gilles Ribouet
(l’express iD, jeudi 22 juillet)