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Cité Anoska : Des familles à la recherche de repères

16 août 2013, 00:00

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Cité Anoska : Des familles à la recherche de repères

Nostalgie, tristesse, déchirement… C’est en pensant à leur vie d’avant que les anciens habitants de La Pipe, décident, il y a 14 ans, de nommer leur nouveau lieu d’habitation : Cité Anoska, en souvenir de la rivière du même nom qui coulait au milieu de leur localité. Nous sommes en 1999 ; des familles entières sont forcées à plier bagage dans le sillage de la construction du barrage de Midlands. Elles sont relogées, certes, mais plus de dix ans après, le sentiment d’avoir été déracinées, d’avoir perdu leurs repères – géographiques ou autres – perdure.

 

La plaie se cicatrise, pourtant. Très lentement. Si la route vers une vie meilleure reste encore longue à parcourir, c’est sans doute parce que l’adaptation a été difficile. Leur arrivée à 16e Mille avait déclenché l’hostilité des habitants du village et des manifestations avaient même été organisées en guise de protestation contre leur intégration. Une stigmatisation qui ne s’est que très peu estompée depuis…

Les maisons sont constituées d’une ou deux pièces faisant à la fois office de cuisine et de chambre à coucher.

 

Guylaine Sanspeur, 53 ans, s’inquiète encore de ces étiquettes qu’on pourrait lui coller : malgré une santé fragile qui l’empêche de travailler, elle s’acharne, armée d’une pioche, à nettoyer les bordures de route, aux alentours de sa maison. «Mo pe trouv sa sal, mo pa kapav les sa koumsa, mo bizin netoye tansyon dimoun krwar mwa ki malpropr».

 

Vivant dans une maison de deux pièces avec ses deux filles, elle raconte comment elle a trimé pour pouvoir trouver des lits. «Kan nou ti fek ariv la, nou ti pe dormi anba. Pena okened istraksion dan lendrwa, mobann tifi leve al lekol, manze dormi. Mo sagrin zot.»

 

Claudette Perrine, elle, a tout sacrifié pour ses petits-enfants, qu’elle a pris sous son aile protectrice lorsque ses enfants ont connu des difficultés matrimoniales. Ce sont six enfants, âgés entre 5 et 13 ans, qui sont aujourd’hui à sa charge. Ils vivent au jour le jour, car ce que gagne son mari ne suffit qu’à «gagn manze pou zordi». Plusieurs autres familles connaissent le même sort, vivant recluses, sans jamais essayer de faire entendre leur voix. Elles vivent encore avec la crainte d’être rejetées.

 

Il y a encore deux ans, lorsqu’on demandait à un résident de Cité Anoska où il habitait, son adresse se résumait à ces deux mots : «Cité Anoska», car il n’existait aucun nom de rue. IBL Foundation s’en est chargée, depuis. Les organisations non gouvernementales (ONG) essayent de trouver des solutions aux soucis, petits et grands, de ces familles, aidées en cela par quelques individus qui ont réalisé que le problème doit être pris à sa source et que la solution réside dans l’aide communautaire. Exemple : Anderson Azie, un habitant de la localité, qui accompagne les familles, car il connaît «la situation de chacune d’entre elles».

 

Frustration

Avec ses balançoires et toboggans déglingués, le jardin d’enfants a triste mine.

 

 

Le manque d’infrastructures reste un problème majeur. Le seul lieu d’activités est un centre abritant une bibliothèque, avec quelques tables et chaises. La National Empowerment Foundation a entrepris des travaux d’aménagement d’une salle informatique. Ce n’est pas l’espace qui manque autour pour agrandir et améliorer le centre ; plusieurs projets ont été soumis par des ONG mais ils n’ont jamais abouti.

 

Quant au jardin d’enfants, il fait peine à voir. Entre les herbes folles et les balançoires déglinguées, ce lieu est devenu un danger pour les enfants. Leur nouveau territoire n’est guère plus attrayant : ils tentent de s’occuper en errant dans les rues et en fabriquant des fusils avec des tiges de bambou… histoire de faire la guerre à l’ennui.

Géré par un syndic, ce bâtiment abrite une bibliothèque. Des projets d’amélioration du centre sont restés lettre morte.

 

Entre la frustration qu’ils traînent comme un fardeau et le poids du regard des autres, les habitants de Cité Anoska font face à un profond mal-être. Habitués aux promesses – celles des politiciens au moment des élections, et même de certaines associations –, ils ont du mal à faire confiance aux autres.

 

«Anoska n’est pas un dumping ground, les habitants ont surtout besoin d’accompagnement», proteste Viken Vadeevaloo, de la Commission Solidarité et Justice. Ils ont besoin de temps, non seulement pour trouver leurs repères mais aussi pour construire leur avenir. Car à Cité Anoska, l’on se refuse à être «une génération d’assistés», préférant se battre à la sueur de son front pour sortir du gouffre.

 

PHOTOS : YANCE TAN YAN