Publicité

Cyril Monty : « Les producteurs agricoles souffrent des manquements de l’Etat »

31 août 2010, 09:42

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

? Votre contrat comme coordonnateur du Food Security Fund n’a pas été renouvelé à son expiration. Pourquoi ?

J’aurais souhaité pouvoir vous répondre mais je n’ai moi-même pas la réponse.

? Où en est-on avec le Food Security Fund ?

Quand j’ai quitté le ministère, le programme était sur la bonne voie et avait bien avancé. Cependant, il reste encore un bon bout de chemin à parcourir.

? Mais c’est un programme qui a tardé à décoller.

J’ai été nommé responsable du Food Security Fund en février 2009. Il a d’abord fallu travailler sur les différents plans de financement, voir les critères de sélection, la gestion des fonds par les banques, l’aspect légal, etc. Tout cela a pris beaucoup de temps. Aujourd’hui le Food Security Fund est sur la bonne voie, mais le fonds à lui seul ne suffira pas à aider le pays à produire davantage.

? Que voulez-vous dire ?

Le secteur agricole, notamment la diversifi cation agricole, n’a pas un encadrement technique suffisamment solide pour le soutenir dans son développement. La performance de certains services clés laisse grandement à désirer et les producteurs s’en plaignent. Si le ministre ne prend pas rapidement les dispositions qui s’imposent pour restructurer ses services, il va au devant de gros ennuis.

? Quelles sont ces mesures qui méritent une action urgente ?

Le Food Security Fund est une décision courageuse du gouvernement. Il sert de véhicule pour financer les différents plans qui serviront à augmenter la production, permettre aux producteurs de se moderniser et de se professionnaliser. Ainsi, d’ici à deux ans, la production nationale va connaître une augmentation conséquente. D’une part, il faudra pouvoir encadrer les producteurs afin qu’ils puissent opérer dans les meilleures conditions possibles et, d’autre part, il faudra leur assurer un écoulement régulier de leur production à un prix rémunérateur.

? Est-ce là les conditions pour favoriser la production ?

L’Agricultural Research Extension Unit fait un excellent travail mais est aujourd’hui essoufflé en raison d’un manque chronique de techniciens. Au niveau de l’élevage, les services vétérinaires ne sont pratiquement d’aucune aide et font preuve d’un manque de professionnalisme flagrant. Quant au service d’insémination artificielle, c’est un service complètement désorganisé et inefficient.

Nous en arrivons au marketing. C’est un créneau hautement spécialisé qui demande des connaissances et une logistique importantes. Il faut savoir dissocier production et marketing. Prenons le cas du lait frais. Avec les développements en cours, la production augmentera rapidement. Si chaque éleveur devait vendre lui-même sa production, vous voyez un peu ce qui se passerait.

Au niveau de la production de viande, la situation est pire. La commercialisation de la viande fraîche est le monopole d’un groupe de bouchers. Du reste, si la production s’est rétrécie comme une peau de chagrin au cours de ces quinze dernières années, c’est justement en raison de ce monopole.

? Vous brossez un tableau bien noir du secteur. Que faut-il faire pour éviter cette situation cornélienne?

La situation est bien plus compliquée et sérieuse qu’on ne le croît. Au cours des prochains mois, nous aurons à faire face à une aggravation graduelle de la production alimentaire au niveau de la planète. Donc, il nous faut aller vite.

D’un côté, il nous faut produire davantage et en même temps restructurer et moderniser les services ciblés et de l’autre assurer l’écoulement de la production laitière et de viande fraîche.

? Sur quoi vous basezvous pour avancer que la situation alimentaire mondiale va s’aggraver ?

Depuis la crise alimentaire mondiale en 2008, la situation ne s’est jamais vraiment améliorée. Savez-vous qu’entre 1995 et 2009  la production alimentaire mondiale n’a connu une croissance que de 20 % seulement et entre 2007 et 2009 elle a chuté à 9 %. A titre de comparaison, la progression entre 1975 et 1990 a été de 65 %. Par ailleurs, la consommation en Chine a augmenté de 40 % entre 2003 et 2009.

Le réchauffement de la planète se poursuit avec des changements climatiques catastrophiques aux quatre coins du globe. Regardez ce qui se passe actuellement en Chine, au Pakistan, en Inde, en Australie, en Europe, Russie, en Amérique Latine, sans compter le prix élevé du fret et des entrants, et la course aux biocarburants. Nous sommes entrés dans une période de grande instabilité qui perdurera durant laquelle les prix augmenteront de manière substantielle alors que l’approvisionnement se compliquera.

Le cas de l’ail est un exemple flagrant car la Chine, le plus gros producteur mondial, ne peut plus respecter ses commandes à l’exportation. Le prix de vente a été multiplié par quatre en moins d’un an. Actuellement le Marketing Board importe l’ail de la Chine à près de Rs 100 000 la tonne et là aussi il n’a aucune garantie que les fournisseurs respecteront leurs commandes. Ce qui est plus inquiétant c’est qu’aucun autre pays, même pas l’Inde, n’est
capable de nous vendre de l’ail.

Par ailleurs, vous verrez ce qui se passera avec le prix du riz sur le marché mondial lorsque la récolte 2010 sera disponible. Les traders sont ces jours-ci très actifs dans la région et achètent toutes les cultures disponibles au prix fort.

? Le ministre de l’Agroindustrie est-il conscient de ce que vous venez d’avancer ?

Il ne m’a jamais donné l’occasion d’évoquer le sujet avec lui.

Propos recueillis par K. B.

K. B.