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Dev Virahsawmy: «Duval a peur parce que Ramgoolam a besoin du MMM»

6 février 2011, 05:31

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Le co-concepteur du spectacle du 1er fevrier, au morne fustige ceux qui «n’ont pas l’intelligence de comprendre». Il fait aussi le parallèle entre l’esclavage d’antan et notre politique économique.

Quel était le message que vous vouliez faire passer avec le spectacle inspiré du poème de Maya Angelou ?

Le message était expliqué dans un texte d’introduction que j’ai lu au début du spectacle, en créole et en anglais. En résumé, que l’esclavage a été aboli non pas par bonté et  générosité mais par la réalisation qu’il était un obstacle à la productivité. Je dis que les fers aux pieds ont été remplacés par des chaînes de l’esprit et que la vraie libération serait d’enlever ces verrous que sont la tyrannie, la corruption, cette envie de l’argent facile de même que toutes les formes de dépendances. Et je dis «selman tansion ! Lasenn dan lipie fasil pou kase menot dan lespri, difi sil tire». Voilà le message !


Il semblerait cependant que ce soit la danse qui accompagne le texte qui a fait sourciller ?

Gérard Sullivan et moi avons construit le message et c’est Stéphen Bongarçon et ses danseurs qui ont été sélectionnés pour monter le spectacle. Ils sont excellents. Le problème, j’imagine, c’est qu’ils sont tous des afro-créoles. Des esprits malsains ont seulement vu qu’il y avait sur scène des créoles. Ils n’ont pas vu des artistes. Leur conclusion : le spectacle dit que les créoles sont des drogués, des soûlards et des prostitués. Voilà toute la polémique. Elle est basée sur l’incapacité de certains de comprendre la différence entre la vision artistique et la propagande politique.

 

Expliqué comme cela, ça a l’air très simple. Pensez-vous donc que la colère de Xavier Duval était feinte ?


Je ne sais pas, car je n’ai pas témoigné de sa colère, étant occupé par le spectacle. J’ai juste entendu dire qu’il était furieux et qu’il est parti. Je ne peux que spéculer sur ses raisons et je le fais avec beaucoup de tristesse. Parce que j’ai cru que Xavier Duval était mon ami. Naïf comme je suis, je pensais que, peut-être, Xavier Duval était notre chance à nous d’avoir un jour un Premier ministre qui soit choisi sur la base de la compétence et du travail bien fait, au lieu des considérations identitaires et ethniques. Je le croyais assez intelligent pour le devenir, mais je me suis trompé. Je pense aussi que Xavier Duval a peur parce que Navin Ramgoolam a besoin du MMM pour les changements constitutionnels qu’il compte apporter. Et Xavier Duval a peut-être peur qu’il soit évincé, mis au rencard ou forcé à accepter une position de moindre importance, alors qu’il veut devenir le roi créole.


Vous rejoignez donc ceux qui pensent que c’était peut-être une tentative d’attirer l’attention sur lui ?

Je le pense. Je crois aussi que l’idée était d’essayer d’avoir les créoles de son côté pour qu’il puisse augmenter son pouvoir de marchandage.

Il y aurait un groupe d’individus afro-créoles qui ne voit pas d’un bon oeil votre engagement dans la cause créole. Le saviez-vous ?

J’ai lu que Filip Fanchette a dit que j’étais paternaliste. Je n’y peux rien, si c’est ce qu’il pense. J’ai toujours agi parce que je croyais dans certaines causes. J’ai été parmi les premiers en 1983 à lancer le concept  Afro-Mauricien» et «Afro-créole». Je travaille sur la langue créole depuis 45 ans j’ai commencé à un moment où les Mauriciens disaient que le créole n’était même pas une langue. Je ne fais que continuer mon combat,  mais aujourd’hui, il y a des gens qui veulent s’approprier ce combat. C’est leur droit.

 Ne vous reproche-t-on pas aussi le fait que ce soit un non-Afro-créole qui défende les Afro-créoles ?

Dans la vie, quand on fait des choses parce qu’on y croit, l’on doit aussi être prêt à affronter ce genre de réactions. Depuis un très jeune âge, j’ai senti l’importance de la langue créole dans le développement de Maurice et je n’ai pas lâché. Je le fais aussi parce que je pense que les descendants d’esclaves ont été très souvent induits en erreur par les politiciens qui les ont exploités à leurs fi ns politiques. Pour moi, aussi longtemps que les Afro-créoles ne réalisent pas qui ils sont, ils ne seront jamais respectés.
Je pense que c’est mon devoir d’attirer l’attention sur cela. En le faisant, je
m’aliène des hindous et les dirigeants créoles pensent que je suis un opportuniste qui est en train de chercher so bout !

À quel moment votre combat pour la langue créole s’est-il transformé en combat pour les Créoles ?


Le combat ne s’est pas transformé les deux sont liés. Le créole est notre langue nationale à tous, mais elle est aussi la langue ancestrale des Afr- créoles. Je parle ici des descendants d’esclaves, pas des esclaves ce sont eux que j’appelle les Afrocréoles. Les premiers enfants qui ont utilisé le créole comme langue maternelle étaient les enfants d’esclaves. On ne peut pas gommer cette partie de la réalité.


Toujours est-il que la situation dans laquelle vous vous trouvez aujourd’hui est le résultat de cet amalgame entre la langue créole et la communauté créole !

Non, ce n’est pas un amalgame c’est la nécessité de constater la complexité du problème. J’ai compris depuis longtemps que ce combat est une uphill battle et je savais que j’allais rencontrer de nombreux problèmes. Mais j’admets que j’ai un peu surestimé le niveau d’intelligence de certains de nos politiciens. Je fais mon mea culpa.

Dans votre message, vous demandez aux gens de se libérer de ce qui les emprisonne. Or, nous avons à Maurice un peuple soumis qui subit sans broncher les excès de ses dirigeants. Croyez-vous vraiment que votre message sera entendu ?

Vous savez, souvent la masse ressent des choses mais n’arrive pas à l’exprimer. C’est le rôle des leaders de les éclairer.

En parlant de nos leaders, que pensez-vous de l’affaire MedPoint ?

Quand je parlais de leaders, je faisais référence à des gens comme mahatma Gandhi ou Martin Luther King, des gens qui avaient l’aspiration d’élever le niveau intellectuel, culturel et spirituel des masses. C’est cela le rôle d’un leader. Mais à Maurice, nous avons aujourd’hui une tradition de leaders qui sont bien plus intéressés par leur propre  avancement matériel par le biais de la politique. En ce qui concerne l’affaire MedPoint, je n’ai pas toutes les données, mais si je faisais de la politique, j’aurais été très embarrassé
d’utiliser le pouvoir politique pour que le gouvernement auquel j’appartiens achète un bâtiment qui appartient à ma famille. Mais ce n’est pas nouveau, car on se souvient de la compensation payée au Sun Trust et de la location payée par le gouvernement au Sun Trust !

Mais ce pourrissement à la tête du pays est retrouvé dans la société !

Vous avez entièrement raison et je vais vous dire pourquoi tel est le cas : le néolibéralisme a infi ltré notre société. Le modèle singapourien de notre cher
Premier ministre est le porte-drapeau du néolibéralisme. Là-bas, il n’y a pas de welfare state. C’est une société hautement répressive. On parle de sa propreté, mais on oublie le nombre de gens qui y sont en prison et on oublie qu’il y existe le public caning (fouetter les gens en public). Et je suis écœuré que l’on remette le débat sur la peine de mort sur le tapis. Tout cela pour vous dire que l’on est en train d’enterrer le combat pour la liberté. Je recommande aux intellectuels mauriciens la lecture d’un livre par une grande dame qui s’appelle Naomi Klein, intitulé Shock Doctrine. Le néolibéral
utilise la peur pour passer ses messages. Mais faire peur aux gens marchera peut-être pendant quelques années, mais l’Histoire vient de nous prouver que cela ne peut pas durer éternellement. La Tunisie et l’Égypte démontrent qu’à un certain moment, les gens vont dire «allez vous faire voir, je n’ai plus peur et s’il faut mourir pour la liberté, je vais mourir».

Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN