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Dheeruj Seetulsingh : « Des policiers ne pourront plus enquêter sur la police »

5 août 2012, 12:20

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Le président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) de Maurice nous parle des prérogatives de sa commission, suite à l’adoption de trois textes de loi visant à améliorer le respect des droits de l’homme.


Pouvez-vous nous rappeler brièvement ce qu’est la CNDH et quelles sont ses fonctions ?

La Commission nationale des droits de l’homme a pour mission de protéger et de promouvoir les droits de l’homme à Maurice. La promotion se fait à travers des campagnes d’éducation et de sensibilisation destinées aux policiers, incluant les nouvelles recrues et ceux suivant une formation dans les training schools, de même qu’aux étudiants, enseignants, syndicalistes, employeurs, travailleurs et autres membres de la société civile.

Quelle est la nature des plaintes reçues par la Commission ?

La plupart des plaintes, cependant, sont formulées contre la police, à savoir les allégations de brutalité physique, d’aveux obtenus de force, d’agression verbale, de contraventions injustifiées ou même d’enquêtes qui tardent. Heureusement, nous avons peu de problèmes à Maurice concernant les libertés fondamentales (d’expression, de conscience, de mouvement etc.) qui sont inscrits et garantis dans le chapitre 2 de la Constitution.

Le Protection of Human Rights (Amendment) Bill, le Police Complaints Bill et le National Preventive Mechanism Bill, ont été votés à l’Assemblée nationale. En quoi les nouveaux textes de loi présentent-ils une amélioration dans les cas d’atteinte que vous avez mentionnés ?

Les nouvelles lois préconisent une refonte des institutions qui devront être dotées du personnel et des ressources nécessaires pour mener à bien leur tâche. Ce qui change avec le Police Complaints Act, c’est que des policiers ne pourront plus enquêter sur les plaintes contre la police. Remarquez que dans d’autres pays ils le font, sauf dans les cas majeurs. Par exemple, en Angleterre les cas les plus sérieux sont référés à l’Independent Police Complaints Commission. En France, l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) enquête sur les plaintes contre la gendarmerie. Puisque Maurice est un petit pays où les policiers se connaissent et se croisent, il y a cette perception de parti pris.

Deuxièmement, dorénavant les témoignages des plaignants et des policiers pourront être utilisés en cour. En même temps, les témoins peuvent refuser de répondre aux questions qui les incrimineraient. Tel n’était pas le cas auparavant. Mais on ne pouvait pas utiliser les témoignages et le DPP était obligé de recommencer l’enquête à zéro et de la confier à la police. Toutefois, la décision finale de poursuivre ou non reste toujours la prérogative du DPP, poste qui est protégé par la Constitution.

A un moment où on parle de moderniser les interrogatoires, avec les enregistrements vidéo notamment, la commission sera-t-elle mise à contribution ?

C’est le nouveau projet d’un Police and Criminal Evidence Bill qui mettra en place un système où les aveux seront enregistrés sur vidéo et seront faits en présence d’un avocat. La Police Complaints Division veillera à ce que cette nouvelle loi soit respectée et mise en application. Par ailleurs, la police est tenue d’informer les suspects de leurs droits constitutionnels avant de les interroger.

Des lois suffisent-elles pour rassurer ceux qui allèguent que des aveux sont parfois arrachés aux suspects ?

A chaque fois qu’il y a une allégation, les policiers nient les faits. La police récuse l’accusation qu’elle considère « normal » d’user de la force pour obtenir des aveux. D’ailleurs, c’est proscrit par la Constitution et les règles de preuve. Si vous regardez les jugements de la Cour Suprême (que ce soit en première instance ou en appel), de la Cour Intermédiaire et des Cours de district, vous constaterez que les juges et les magistrats acceptent en général que les aveux ont été obtenus volontairement. L’admissibilité des aveux est une prérogative de la Cour dans les cas où ces aveux sont contestés. Dans le cas Harte, la défense n’a pas contesté l’admissibilité mais le poids à être accordé aux aveux.

N’était-ce pas une occasion de tenir compte de la déliquescence du monde carcéral à Maurice, davantage synonyme d’abandon de droits et d’éloignement d’une vie « normale » ?

Je suis sûr que Jean Bruneau, le Commissaire des Prisons, ne sera pas d’accord avec l’expression « déliquescence » car il fait beaucoup d’efforts pour améliorer les conditions de détention. De nos jours, on porte aussi plus d’attention à la réhabilitation et à la réinsertion des détenus dans la société. Il est vrai que la privation de liberté est une punition très grave. Mais comment expliquer le taux de 85 % de récidivisme ? Beaucoup d’efforts sont faits pour que les conditions de détention soient humaines et soient conformes aux normes internationales. Nous ne pouvons prétendre atteindre les normes qui prévalent dans les pays scandinaves mais il faut dire que les conditions dans plusieurs pays européens sont pires qu’à Maurice.

Que changera le National Preventive Mechanism (NPM) dans ce domaine ?

Il aura pour tâche de faire une inspection régulière des prisons pour s’assurer que ceux qui sont privés de liberté mènent quand même une vie décente en prison et sont protégés des abus. Le NPM pourra recevoir des plaintes en toute confidence. L’accent sera aussi mis sur les projets de réhabilitation. La CNDH a déjà recommandé que plus de détenus soient transférés à l’Open Prison de Richelieu et qu’il y ait une ‘Open Prison’pour les femmes aussi. Les autorités ont prévu d’en construire une. La population carcérale se compose d’environ 70 à 80 % de personnes condamnées pour des délits de drogue. Des efforts sont entrepris pour qu’ils suivent des cures de désintoxication. La NPM veillera également à cela. La commission a recommandé, depuis plusieurs années déjà, que ces derniers puissent bénéficier de remises de peine pour bon comportement en prison. Malheureusement, de tout temps, les autorités ont rejeté ces propositions, ce qui rend la vie carcérale plus difficile car les détenus n’ont pas de motivation pour bien se tenir en prison.

Propos recueillis par Ludovic Agathe