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Dominique Dherve : «Ces plantes qui reviennent sont des porte-drapeaux»
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Dominique Dherve : «Ces plantes qui reviennent sont des porte-drapeaux»
C’est un projet tout à fait exceptionnel : ramener des espèces endémiques disparues à la vie et les réintroduire dans nos forêts. L’une de ses chevilles ouvrières nous raconte comment quelques cellules d’une graine peuvent sauvegarder une espèce toute entière et bien plus encore. Le Directeur du Conservatoire botanique national de Brest nous en parle.
Vous êtes à Maurice dans le cadre d’un projet visant à réintroduire dans la nature une trentaine d’espèces de plantes endémiques disparues ou menacées de disparition. Ce pari, très osé, ne date pas d’hier.
C’est une longue histoire. Elle a démarré vers la fin des années 1970. Jean-Yves Lesouëf, un des botanistes du Conservatoire botanique national (CBN) présents sur l’île, avait effectué des repérages sur des plantes, particulièrement rares et menacées, et prélevé des graines ou des boutures de manière à en assurer la conservation. L’espoir était qu’un jour elles puissent revenir à l’île Maurice. Mais il n’y avait aucune certitude. Son idée initiale était de sauver ce qui pouvait l’être, ne sachant pas effectivement s’il serait possible de les réintroduire, mais en l’espérant.
Il a fallu attendre plus d’une trentaine d’années pour voir cet espoir se matérialiser. En plus de la persévérance, le CBN a du faire preuve de beaucoup d’innovation pour sauver ces espèces, en particulier en ce qu’il s’agit de «Cylindrocline lorencei» et «Dombeya mauritiana».
Les années ont passé et certaines plantes ont connu des difficultés de conservation. Il a fallu mettre en place des techniques particulières, tirées des biotechnologies, pour les sauvegarder. Ces techniques ont été testées dans les années 1990 et ont eu des effets positifs. Lorsque le Conservatoire a vraiment pu avoir les moyens financiers pour mener un travail à plus grande échelle, c’est-à-dire à partir de 2007, quand un partenariat a été établi avec le groupe Lafarge, on a pu engager, avec un laboratoire spécialisé, la multiplication à grande échelle de Cylindrocline lorencei. Il n’en restait de vivant que quelques amas de cellules dans une graine. Il fallait passer par la multiplication in vitro de ces cellules. Pour ce qui est du Dombeya mauritiana, il a fallu «féminiser» un mâle pour obtenir une fleur femelle et permettre la production d’autres plants. C’était deux cas extrêmement limites de plantes au bord de l’extinction.
En attendant d’être réintroduites, les plantes ont étés placées dans les pépinières du «National Parks and Conservation Services» (NPCS). Etait-il important pour vous d’avoir leur collaboration ?
Tout à fait. Ce projet n’avait pas de sens sans la présence d’acteurs organisés à Maurice, ce qui était le cas avec le NPCS qui fait un énorme travail de collecte, de multiplication, de gestion de sites naturels… C’est donc également avec ce partenaire que nous apprenons beaucoup. Il a fallu que deux conditions soient réunies – le travail technologique à Brest et le travail technique à Maurice – pour mettre en place cette opération, exemplaire à l’échelle internationale, et qui plus est, dans un haut lieu de la biodiversité. Maurice est un des pays du monde avec le plus fort taux d’endémisme.
L’objectif est désormais de réintroduire ces plantes dans les «Conservation Management Areas» (CMA) du NPCS. Dans combien de temps pensez-vous que cela sera fait ?
C’est vrai qu’à Maurice, vous avez de la chance d’avoir ces CMA. Elles sont une initiative très originale du NPCS, visant à créer les conditions d’un redéveloppement de la végétation originelle dans des espaces limités. Le travail est engagé. Il faut maintenant que les plantes s’acclimatent. Dès 2013, il se pourrait qu’on commence à procéder à la réintroduction.
Et ce sera justement l’étape la plus critique de tout le projet. Combien d’individus faut-il pour donner les meilleures chances à la réintroduction ?
C’est très variable. Pour le Cylindrocline lorencei, qui est l’espèce la plus délicate, on a ramené le plus grand nombre d’individus. Les équipes du NPCS se chargeront de multiplier les autres espèces. L’enjeu, c’est qu’une fois réintroduites dans la nature, ces espèces retrouvent leur équilibre et se multiplient naturellement. Une opération de réintroduction ne s’improvise pas. C’est un long processus qui repose sur la maîtrise technique ainsi que la maîtrise et le suivi des sites. Le NPCS va suivre ce qui se passe dans la durée, voir comment les plantes se comportent, s’assurer qu’elle ne sont pas étouffées par des rivales pendant la phase de développement, etc.
Au final, cette réintroduction sert-elle vraiment à quelque chose ?
D’une part, toute plante a sa place dans l’écosystème et d’autre part on est en train de tester quelque chose ici, et si ça fonctionne, c’est quelque chose qu’on peut imaginer ailleurs. On est malheureusement amené à mener des opérations de reconquête de ce type à cause du très grand recul des milieux naturels. Ce qu’on teste ici, peut avoir une valeur pédagogique importante. Ce qui est bien, c’est que c’est un projet positif et audacieux qu’il faut tenter dans un contexte qui est parfois trop sinistre.
Mais ne faut-il pas que ce genre de projet fasse partie d’un plan global de conservation de la biodiversité pour qu’il puisse vraiment avoir un impact durable?
C’est vrai. Le NPCS et nous sommes de petites institutions. Nous faisons ce que nous pouvons. L’enjeu survient quand d’autres agissent de la même manière. Ce qui se fait ici, avec les CMA notamment, est exemplaire. C’est également vrai que Maurice fait face à des défis. Le pays est densément peuplé par exemple, mais les conditions sont réunies pour faire quelque chose de très positif. Les Mauriciens savent qu’ils ont un patrimoine de grande valeur, mais c’est une nouvelle occasion de le dire.
Justement, en ce qu’il s’agit de la conservation, n’est-il pas aussi important de gagner la bataille de l’opinion publique que de remporter le pari de la réintroduction ?
Dans le monde entier. Et ce n’est pas évident. C’est par des opérations de ce type – exemplaires et originales – qu’on fait passer des messages. Ces plantes qui reviennent sont aussi des porte-drapeaux. La beauté de projet peut concourir à faire passer un message. Que cela se passe ici, dans une petite île au milieu de l’océan Indien, haut lieu de la biodiversité, est un symbole extrêmement fort.
Est-ce que cela vous a posé un dilemme éthique d’avoir recours à la multiplication in vitro de cellules vivantes comme cela a été fait avec le «Cylindrocline lorencei»?
Dans beaucoup de questions touchant à la conservation, il y a des dilemmes car on touche au plus profond du vivant. Dans le cas de Cylindrocline lorencei, il faut préciser qu’il n’y a pas eu de manipulation des cellules, on n’a pas modifié le patrimoine génétique. Mais c’est vrai que quand on se dit que les plantes ont voyagé naturellement – la question des espèces invasives n’est pas non plus simple à traiter – on peut éventuellement avoir des interrogations. Mais à un certain moment, il faut faire un choix. Maurice a une végétation dont une grande partie ne se voit nulle part ailleurs, non seulement en termes d’espèces mais aussi de formations, de paysages… On était dans les forêts de Magenta et il y a vraiment quelque chose de particulier. Si cette végétation disparaît d’ici, on ne la retrouvera nulle part ailleurs. Il faut regarder les choses ainsi.
Propos recueillis par Nicholas Rainer
(Rubrique OSMOSE, l’express ID, mardi 22 mai)
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