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Dynasties politiques :Le pouvoir confisqué ?

28 mars 2010, 15:32

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« Les dynasties sont une insulte à la méritocratie », analyse Sateeanunb Peerthum. (Historien) « Il s’agit aussi d’un phénomène classique de reproduction des élites », nuance Ibrahim Koodoruth.( Sociologue)


Ramgoolam, Jugnauth, Duval, Boolell et les autres. Comment les dynasties sont-elles devenues ne constante de la vie démocratique mauricienne ?

Sateeanunb Peerthum. Autant le dire d’emblée, je suis allergique aux dynasties politiques, ça sent la République bananière. Au fond, c’est un phénomène assez nouveau. Sewoosagur Ramgoolam n’avait jamais évoqué la possibilité que son fils lui succède. Sookdeo Bissoondoyal, pendant la campagne électorale de 1963, avait dit : « Mes fils ont terminé leur études, je peux proposer quatre candidats sous le même patronyme ! ». Avant d’ajouter : « Mais je ne le ferai pas pour ne pas transformer mon parti en business familial ».

Ibrahim Koodoruth. Aujourd’hui, c’est un peu ça, malheureusement.

S.P. Savez-vous ce qui a tout changé ? L’argent. (Il fait mine de  palper des billets.) C’est la monnaie qui a enfanté la pulsion dynastique. Le Parti travailliste, le MSM et le MMM sont assis sur un énorme pactole. Ce trésor de guerre, les chefs ne veulent pas le léguer à n’importe qui. Il y a donc une relation de cause à effet entre la puissance financière des partis et les lignées politiques, l’une a entraîné l’autre. Le tournant, c’est l’élection de 1982. A partir de là, l’argent a commencé à couler à fl ot. Je sais de quoi je
parle, j’étais candidat.

I.K. Je dirais plutôt que ça s’est joué après 1982. Quand le MMM arrive au pouvoir, il fait ce fameux adeau fi scal de Rs 57 millions à l’industrie sucrière, suite à quoi le secteur privé commence à investir ans ce parti. A mon avis, tout est parti de là. Mais il ne faudrait pas croire que les dynasties sont une pécialité mauricienne. Elles existent partout : aux Etats-Unis, au Japon, au Pakistan, en Afrique, c’est n phénomène mondial.


Leur poids à Maurice a quand même de quoi surprendre. Les Ramgoolam et Jugnauth cumuleront bientôt un demi-siècle de pouvoir.

S.P. Les dynasties sont la négation de la démocratie, une insulte à la méritocratie. J’ai vécu à l’intérieur d’un parti où le leader, un jour, a décidé que sa progéniture lui succéderait (il fait référence au MSM, Ndlr). Hériter d’un siège familial, ça s’appelle une monarchie ! Ceux qui ont permis cela, ceux qui étaient membres de l’exécutif à l’époque, se sont montrés indignes de leur fonction.

I.K. Les dynasties relèvent aussi d’un phénomène classique de reproduction des élites. Certaines |28 mars 2010 amilles ont développé une culture politique qui se transmet de père en fils, comme le sens des affaires.

Dès leur enfance, les héritiers fréquentent les réseaux sociaux de leurs parents, ils rencontrent des gens d’infl uence et sont poussés par leur milieu familial.

S.P. Il n’y a pas seulement le réseau, mais l’argent. Prenez l’exemple de l’Inde : après la mort de Rajiv Gandhi, tous les hommes politiques se sont précipités chez sa veuve. Sonia Gandhi, c’était qui ? Zéro, une
ménagère, mais elle contrôlait les caisses du Parti du Congrès. Je connais même des Mauriciens ui ont frappé à sa porte. Bon, parenthèse refermée. Les lignées ne sont pas éternelles : Navin amgoolam n’a pas d’enfant, Pravind Jugnauth n’a pas de fils. Le seul héritier possible, c’est
Emmanuel Bérenger.

I.K. Ashok Jugnauth n’a pas de fils ? Et Xavier-Luc Duval ?

S.P. Je ne sais pas. (Xavier-Luc Duval a un fils, mais pas Ashok Jugnauth, Ndlr.)

I.K. Une dynastie Bérenger est en route, je le sens. Emmanuel est très engagé dans le social, beaucoup de gens souhaitent le voir s’imposer en politique. Le MMM va certainement le pousser à reprendre le flambeau.

M.P. Emmanuel est déjà un activiste au niveau des régions. I.K. A Curepipe, oui.

M.P. Cette circonscription lui convient bien. Ce n’est peut être pas pour rien que Bérenger conserve Guimbeau là-bas : une façon de préparer le terrain pour son fils. Je pense même qu’une des raisons pour laquelle Bérenger père souhaite, à ce stade de sa carrière, faire une alliance avec Ramgoolam, c’est Emmanuel. Vous l’avez entendu comme moi, Bérenger a précisé qu’il ne voulait pas faire un mandat entier. A mon avis, c’est pour ouvrir la voie à Emmanuel, dans une élection partielle.

I.K. Hou là ! Je ne m’aventurerais pas sur ce terrain-là…

M.P. De toute façon, Bérenger n’a pas d’autre porte de sortie. Je reviens à mon idée de départ : au moment de léguer le magot du parti, un chef politique pense à qui ? A la famille, c’est naturel.

I.K. Autrement dit, tant que l’on ne fera pas le ménage au niveau du financement des partis, les dynasties perdureront.

M.P. Personne ne touchera au financement des partis, c’est un sujet tabou.

Les« fils de » portés au pouvoir ont-ils le cuir moins endurci que ceux qui ont dû e battre pour s’imposer ?

MP. C’est inévitable. Mais Ramgoolam a eu le temps de s’endurcir depuis qu’il est au pouvoir.

I.K. Ne mettons pas tout le monde dans le même panier. Navin Ramgoolam n’est pas son père qui l’a poussé en politique. Par contre, Pravind Jugnauth a reçu le pouvoir sur un plateau.

M.P. Idem pour Xavier-Luc Duval. Pravind et Xavier, c’est la même chose : ils ont reçu le pouvoir sur un plateau en or 24 carats, j’en ai été témoin. A l’époque, je faisais campagne pour le PMSD. Xavier débarque au beau milieu d’une réunion et après cinq minutes : « Bon, c’est l’heure, je fi le aux courses ». « Eta! Nou pe casse cote, nou pe travay pou toi, et to bizin al les courses ! ».

Au final, l’électeur est juge. Cette pulsion dynastique, que nous révèle-t-elle sur nous-mêmes ?

M.P. Nous avons sans doute un peu perdu notre faculté d’indignation, c’est dangereux pour le fonctionnement démocratique. Mais je ne dis pas qu’un « fils de » doit être disqualifié d’office, non, ce serait tomber dans l’excès inverse.

I.K. On est bien d’accord là-dessus. Reste que la présence constante en première ligne de quelques familles est une confiscation des leviers du pouvoir.

M.P. Nos ancêtres les Marrons, ces esclaves qui vivaient dans les forêts de Maurice, étaient plus démocratiques que nous. Savez-vous comment ils choisissaient leur chef ? Ils en élisaient deux : un chef et un assistant. Mais si le chef était capturé, son second ne le remplaçait pas automatiquement, c’était la règle. Les esclaves se disaient qu’entre-temps, quelqu’un de plus compétent s’était peut-être échappé, et qu’il devait avoir sa chance. Cette leçon de démocratie, nos ancêtres les esclaves nous l’ont transmise, mais nous ne l’avons toujours pas apprise.

Fabrice Acquilina(Express Dimanche)