Publicité

Ean-Gabriel Ganascia, directeur de recherche et professeur d’informatique

8 mai 2009, 10:39

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Venu animer des conférences à l’initiative de l’ambassade de France, Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique à l’université Pierre et Marie Curie, travaille sur l’intelligence artificielle. Il déconstruit ici les lieux communs et images erronées qu’on a d’une discipline qu’on raccroche à la fiction.

L’intelligence artificielle (IA) nourrit de nombreux fantasmes, fictions et lieux communs.

Comment vos travaux abordent-ils cela ?

En effet, tout un tas de lieux communs courent autour de l’IA. Il y a un premier malentendu. Les gens pensent que le but est de créer une IA, c’est-à-dire créer un être abstrait à l’aide des technologies informatiques, qui possèderait une intelligence totale et capable de nous surpasser. Au fond, cette crainte est ancienne et ancrée dans le coeur de l’homme.

Rappelez-vous du mythe du golem qui vient de la mythologie yiddish. On est très près des images qu’on a de l’IA. Par exemple, le golem, un jour, a commencé à devenir violent et le maître s’est rendu compte de la dangerosité de son oeuvre.

C’est cela qui nourrit les fantasmes.

Les lieux communs viennent donc de cette peur que l’homme soit dépassé par sa création ?

La mythologie autour du golem est très intéressante. L’un des fondements est d’être capable de casser son oeuvre si nécessaire. Dans le mythe du golem, le créateur avait écrit sur le front de cet être d’argile Emeth, ce qui signifie «vérité» en hébreu. C’est ce qui a animé le golem. Et pour casser l’oeuvre, le créateur n’avait qu’à racler la première lettre laissant le mot Meth qui signifie «mort». On voit dans ce mythe toute l’ambivalence de la technologie. Je reviendrai donc sur la réalité de l’IA, qui est loin de ce genre de scénario. C’est une discipline qui prend en compte tous les aspects de l’intelligence – le raisonnement, la compréhension de la parole, la vision, la reconnaissance des formes, etc. – en se demandant si on peut les décomposer de façon systématique, pour ensuite les reproduire sur un ordinateur. Tous ces aspects particuliers de l’intelligence peuvent être décomposés et modélisés. Il ne s’agit donc pas de créer une intelligence capable de faire tout cela, mais de montrer comment chaque aspect, à l’aide de l’outil informatique, peut aider à une meilleure compréhension.

 La finalité de l’IA est aussi d’apporter de nouveaux outils pour améliorer la qualité de vie des hommes, non ?

Tout à fait, on peut même dire qu’il y a plusieurs objectifs. D’abord, des objectifs spécifiquement scientifiques visant à mieux comprendre l’intelligence en la reproduisant. C’est ce qui va ouvrir la discipline aux sciences cognitives. Ce n’est toutefois pas seulement comprendre les mécanismes physiques, mais aussi répondre à des questions philosophiques sur la nature humaine de l’intelligence. L’autre aspect de l’IA est plus pratique. On peut construire des automates qui sont capables de se substituer à l’homme pour certaines tâches ou pour les faciliter. Par exemple, il y a les outils de reconnaissance des formes, les machines à dicter, de raisonnement automatique, etc.

Revenons sur l’imaginaire collectif. Les romans et films de science-fiction n’ont-ils pas aussi contribué à creuser le fossé entre l’imaginaire de l’IA et la réalité ?

On voit dans une création «intelligente» un alter ego qui va être créé et qui soulève des questions non seulement d’ordre scientifique, mais aussi philosophique. Au plan scientifique, on a pu mieux comprendre l’intelligence, ses mécanismes.

Et les travaux de l’IA, couplés avec la robotique par exemple, permettent d’expliquer des phénomènes naturels comme la motricité animale et humaine. Le tout constitue une foule de données qu’on peut exploiter. Les bases de données alimentent les travaux de l’IA. C’est ce qu’on appelle les fouilles de données qui constituent des avenues de recherches considérables. On parle même d’e-science, ce qui ne signifie pas réduire la pensée à un ordinateur, mais qui permet les fouilles et l’exploitation des données.

Dans l’IA, est-ce l’ordinateur qui est au centre de la recherche et non le chercheur ?

Le chercheur n’est pas remplaçable. On travaille aujourd’hui sur des expériences sur ordinateur. Avant, il fallait, à partir d’une idée, construire un dispositif matériel. Les données récoltées étaient ensuite confrontées avec l’idée de départ. A présent, avec énormément de données, on fait une hypothèse qu’on applique directement aux données. C’est complémentaire de la modélisation. On a là des possibilités d’évolution de la science considérables.

Aujourd’hui, le rapport à la machine a changé à cause de l’image qu’on en a. Mais n’est-ce pas aussi l’un des pans de l’IA que d’humaniser la machine avec la reproduction de sentiments suite à un stimulus ?

C’est très intéressant et on peut lier la question au film A.I. de Steven Spielberg sorti en 2001. Ce film a, comme base, un scénario de Stanley Kubrick, qui n’a pas pu le réaliser, à partir d’une nouvelle de science-fiction. C’est un peu l’histoire d’un Pinocchio des temps modernes. Dans ce film, les machines ont des émotions. L’une d’elles reproduit la physiologie d’un enfant. Elle mime les émotions et, mieux, elle est capable d’en ressentir. Entre l’écriture du scénario par Kubrick dans les années 1960 et la sortie du film en 2001, il y a eu une grande évolution dans le domaine. L’IA en 1965 est mathématique, froide, elle est parfaite d’une certaine façon. En 2000, l’informatique n’est plus sous la forme d’un énorme ordinateur. Elle se localise dans des objets, elle se fond, disparaît. C’est un peu ce qu’on a avec les téléphones portables, les enregistreurs, les montres high-tech…

L’évolution est à prendre en compte. L’ordinateur devient moins parfait. Dans le film, il a des émotions, et s’il n’en a pas, il les mime. Il y a cette recherche qui existe. Ce n’est pas pour nous remplacer mais pour créer une interaction plus compréhensible, un échange plus intuitif avec des objets qui sont entrés dans notre quotidien.

Justement, quand on parle IA, on pense aux robots japonais. Le Japon est-il le foyer international de l’IA ?

C’est curieux qu’on le croie. L’IA est née aux Etats-Unis.

Les principaux centres de recherches y étaient, ainsi qu’en Grande-Bretagne, avec les travaux de Turing. La vision de l’IA y était pragmatique, faite de mesures et de travaux empiriques.

Le Japon a émergé tardivement sur cette scène.

C’est la robotique qui donne du Japon l’image du pionnier de l’IA. Robotique et IA ne sont pas à ce point liées ?

La robotique bénéficie des avancées de l’IA mais ne se limite pas à l’IA. Il y a trois composantes dans la robotique : mécanismes qui apportent le mouvement, perception artificielle avec des capteurs, et les liens entre flux d’impression sensible des capteurs et le traitement des données pour la mise en marche et la réaction du robot. L’IA est une composante importante de la robotique, mais on ne saurait l’y restreindre.

Les Japonais ont fait pas mal de robots et se sont intéressés à la robotique de compagnie. Mais l’une des raisons pour lesquelles on croit qu’ils sont très forts en IA, c’est qu’il se sont lancés dans un ambitieux projet purement politique dans les années 1980 : les ordinateurs de 5e génération, alors qu’on n’en était pas à la 4e. Les «3e génération» concernent les ordinateurs avec circuits intégrés. Cela avait étonné tout le monde. Cela n’empêche que je ne crois pas que ce soit le foyer de l’IA, d’autant que Sony, par exemple, a deux centres de recherches en IA qui sont à Paris et New York.

Concrètement, dans la vie de tous les jours, est on en contact avec de l’IA ?

Il faut savoir qu’Internet au départ est lié aux hypertextes, c’est-à-dire la connexion des réseaux et des communications avec la possibilité d’aller d’un point à un autre d’un texte.

Partant, il faut être conscient que Google, c’est de l’IA. Autre exemple d’IA, les ordinateurs de poche avec un système de reconnaissance de l’écriture manuscrite.

L’écriture automatique quand j’envoie un SMS de mon portable, c’est de l’IA ?

Oui, ça s’y apparente. Il y a aussi la mise au point automatique des appareils photos numériques, etc. L’ordinateur et les recherches en IA se fondent dans des outils du quotidien.

On parlera d’innovations technologiques, mais à la base il y a des recherches en IA.

Il n’empêche que l’image du robot a la peau dure…

Effectivement. Le genre de robot qui est totalement de l’IA, ce sont les petits robots aspirateurs, qui se déplacent de manière aléatoire, qui cherchent de la poussière et qui vont se diriger automatiquement vers la borne de rechargement.

Ce sont des robots réactifs.

Et certains développent même un attachement particulier à ces ma chines, au design attrayant, qui errent dans la maison.

Je parle d’un animisme informatique à la place même d’intelligence artificielle. On projette sur l’objet une attention, parce qu’on n’est pas capable de maîtriser tout ce qu’il y a dedans. On confère à un agent une dimension affective.

Un collègue me racontait l’histoire d’un soldat lors de la guerre d’Irak qui refusait qu’on lui change un robot qui est une machine utile au combat. Il voulait qu’on le répare, car il lui avait sauvé la vie. On voit là clairement la dimension affective qu’on peut conférer à un robot.

Peut-on estimer que l’IA est un secteur réservé aux pays développés capables de mobiliser des investissements en Recherche et Développement ?

Ça dépend. Le monde est en train de changer, avec l’internet. Il se peut que certains créneaux se présentent dans les pays en développement. L’Inde est un foyer technologique qui avance. Je crois qu’il y a des possibilités et des compétences qui peuvent être reconnues, bien entendu, il faut rester connecté à ce qui se fait dans les autres pays, où il y a de grands centres de recherches dans le domaine. Mais on voit aujourd’hui dans les publications scientifiques des Indiens, des Chinois, etc.

L’IA est donc un secteur du futur qui continuera de soutenir des avancées technologiques, loin de l’idée fausse qu’on se fait de la discipline.

Oui bien sûr, la science contemporaine bénéficie grandement des apports de l’IA. Et des axes, en plus de la robotique matérielle, sont à développer. Je parle de la robotique virtuelle, c’est-à-dire tous les programmes qui explorent la

Toile, ce sont des agents intelligents. Les moteurs de recherches fonctionnent avec des robots virtuels. Ce sont d’autres champs d’application. Les champs d’application, en plus, vont de l’économie à la pensée humaine, c’est-à dire les sciences de la culture, de la nature.

 

GillesRIBOUT