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Eric Ng : «Ne pas céder au populisme économique»
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Eric Ng : «Ne pas céder au populisme économique»
Eric Ng Ping Cheun, économiste et directeur de PluriConseil, dresse un tableau de l’économie mauricienne et propose de nouvelles avenues de développement pour les années à venir.
¦ Comment se porte l’économie mauricienne en cette période de crise financière mondiale ?
Elle se porte bien. Maurice a pu surmonter la crise financière mondiale. On avait craint le pire. Cependant, on constate qu’avec une croissance de 3,1% en 2009, on a fait mieux que prévu. On n’a ainsi pas eu de licenciements massifs. Cela fait que le taux de chômage n’est pas très élevé, passant de 7,2% en 2008 à 7,9% en 2009.
L’inflation a considérablement baissé, profitant de la baisse du prix du pétrole. A mars dernier, l’inflation, pour la période de mars 2009 à mars 2010, était à moins de 2%, soit le taux le plus bas de ces 18 dernières années.
Nous avons également bien géré nos réserves. Vers le milieu de 2009, nous avions craint qu’elles ne baissent drastiquement.
Or, c’est le contraire qui s’est produit. Nous n’avons ainsi pas eu de problème pour payer nos importations.
Autre fait marquant, les investissements privés directs ont continué à affluer dans le pays.
En 2009, ils représentaient Rs 9 milliards. Cela a pu soutenir la roupie. Les finances publiques sont, elles, dans une situation tout à fait raisonnable malgré le fait que le gouvernement a dû intervenir dans l’économie à travers le Stimulus Package et les mesures budgétaires de mai 2009. Le déficit budgétaire n’a pas dérapé, demeurant autour de 4% du produit intérieur brut. La Mauritius Revenue Authority a fait un excellent travail pour faire entrer de l’argent dans les coffres de l’Etat. De moins en moins d’hommes d’affaires échappent au fi let fiscal.
¦ Comment voyez-vous la situation pour 2010 ?
Selon les chiffres du Bureau central des statistiques, en termes de croissance économique, aucun secteur ne sera en récession. En outre, la croissance moyenne devrait être de 4,6%. Je pense que la situation s’améliore. Evidemment, il y a des impondérables, comme on peut le constater actuellement avec le nuage de cendres islandais qui a des effets sur le tourisme et l’aviation. Etant une économie ouverte, Maurice restera toujours vulnérable aux chocs extérieurs.
D’ailleurs, on voit que le prix des produits et même celui du pétrole tendent à prendre l’ascenseur. La seule chose qui peut atténuer l’impact de ces augmentations, c’est une roupie forte. Toutefois, une roupie forte peut affecter les exportations et le secteur sucrier.
Il faudra, donc, trouver un juste équilibre entre les intérêts des industriels et ceux de la population.
¦ Quels sont les principaux défis du pays pour les années à venir ?
La modernisation de l’infrastructure économique doit être un processus continu parce que précisément l’économie est en croissance constante. Il faut donc améliorer les services aéroportuaires et portuaires. Il faut améliorer aussi nos services de fourniture en eau et électricité, surtout avec la construction de nouvelles zones industrielles. Enfin, la congestion routière continue à coûter énormément à l’économie. Beaucoup de projets ont été annoncés. Maintenant, il faut les mettre en pratique.
Personnellement, je ne suis pas pour le métro-léger. Je pense qu’il faut plusieurs projets pour décongestionner nos routes et pour parvenir à une décentralisation de nos services administratifs.
Le service public et les corps paraétatiques doivent souffrir de moins de bureaucratie. Il faut également que l’Etat continue à jouer son rôle de facilitateur pour les investissements privés. Le combat contre la corruption demeure aussi une priorité. Je mentionnerai enfin la formation qui est très importante lorsqu’on évolue vers une économie de services. Parallèlement, il faut développer d’autres formations pour ceux qui ne sont pas doués académiquement.
¦ Quels sont, selon vous, les principaux enjeux du nouveau gouvernement qui sortira des urnes le 5 mai prochain ?
Il s’agit de maintenir un climat favorable aux affaires et surtout ne pas effaroucher les investisseurs.
On ne peut qu’espérer que le nouveau gouvernement ne cédera pas au populisme économique. On fait déjà beaucoup en termes de subventions, de dépenses publiques et de gratuité. Il lui faudra aussi démocratiser davantage l’économie.
Après le secteur sucrier, il faut s’attaquer au tourisme désormais. Il faut permettre au touriste de sortir de l’hôtel afin que les petites entreprises arrivent à en profiter.
¦ Quels sont les secteurs économiques sur lesquels il faut mettre plus d’accent ?
On ne peut pas laisser mourir le secteur du textile. Il passe par des moments difficiles avec la roupie forte. A défaut d’une dépréciation de la roupie volontairement, il faut le soutenir à travers des mesures fiscales.
Le tourisme, c’est la poule aux oeufs d’or. En conséquence, il s’agit de le diversifier. Nous ouvrir aux pays de l’Asie est un exemple.
Il faudra, parallèlement, libéraliser progressivement l’espace aérien. Je constate aussi que le secteur de l’externalisation va progresser rapidement. Au cours des cinq dernières années, on est passé de 5 000 à 10 000 emplois dans ce secteur. Il faut viser les 20 000 d’ici cinq ans. Il faut aussi faire baisser le coût de l’internet pour rendre ce secteur plus compétitif. Diversifier en même temps l’offre. Il ne faut pas se limiter aux centres d’appels mais proposer aussi des services conseils, des services de traduction de documents légaux… Tout cela nécessite la formation de nos jeunes.
Dans le même ordre d’idées, je relève que le secteur financier est trop concentré sur le secteur bancaire. Il faudrait développer des services de gestion de fortune et de portefeuilles d’investissements collectifs et, dans le secteur offshore, développer des activités ayant plus de substance. Je dirai aussi que l’offshore financier est trop dépendant de l’Inde. Il faudra s’ouvrir à la Chine.
¦ Le combat contre la pauvreté est un enjeu majeur. Comment le rendre plus effectif et plus efficace ?
Il faut poursuivre ce combat à travers l’Empowerment Fund. Selon les critères de la Banque mondiale, quelque 9% de la population se trouve dans la pauvreté à Maurice. Il y a des poches de pauvreté et des poches d’extrême pauvreté.
Le développement doit profiter à tout le monde. Il s’agira de doter en outils les gens afin qu’ils acquièrent des compétences qui leur permettent de trouver un emploi et donc de retrouver de la dignité.
Il importe également d’encourager et d’encadrer la petite entreprise. Je dis bien petite entreprise et non petite et moyenne entreprise. Soit des entreprises à une ou deux personnes.
Propos recueillis par Nazim ESOOF
 
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