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Eric Ng, économiste : « La faible baisse du taux repo ne satisfait personne »

14 décembre 2011, 11:51

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Le comité de politique monétaire de la Bank of Mauritius a décidé de baisser le taux repo de 10 points de base à 5,40%. Que pensez-vous de cette décision ?

Je me demande si les banques commerciales vont suivre et modifier la structure de leurs taux d’intérêt. La question est de savoir si elles vont encourir des frais commerciaux et administratifs supplémentaires pour juste 10 points de base. D’autant que, comme l’a annoncé le gouverneur de la banque centrale, des changements peuvent encore intervenir. Ces 10 points de base de baisse ne satisfont personne. Les épargnants voulaient un maintien. A noter que le taux à l’épargne net, c''''est-à-dire défalqué de l’inflation, reste toujours négatif actuellement. Pour les emprunteurs c’est la déception car la baisse du loyer de l’argent est minime. Le signal est brouillé. On ne sait plus trop sur quel pied le comité de politique monétaire est en train de danser. Il fallait prendre une décision plus claire. La dernière décision apporte plus d’incertitude que de visibilité. On aurait dû maintenir et puis baisser de 25 points de base en janvier ou février en fonction de l’évolution de la situation en Europe. Force est de constater que la banque centrale a cassé la psychologie des 100 points de base. Pour rappel, dans le passé, elle avait baissé le taux repo de 100 points de base à trois reprises. Désormais on peut s’attendre à tout. Si le comité décide de procéder à coups de 10 points de base, il va falloir qu’il se réunisse tous les mois et non plus tous les trois mois. Si le signal consiste à dire que désormais il faut s’attendre à des baisses de 10 points de base, je ne pense pas que cela soit favorable au secteur privé.

Justement quel est l’impact sur l’économie d’une baisse de 10 points de base sur le taux repo ?

Cette détente n’aura aucun impact sur le niveau de l’emprunt. Ce n’est pas ça qui va stimuler l’investissement. Cela ne va pas non plus relancer la consommation. Il y a un certain paradoxe : le comité de politique monétaire constate que la confiance des entreprises et des consommateurs est en berne et il ne baisse le taux repo que de 10 points de base. Cela n’aura aucun effet sur la restructuration des entreprises. Par ailleurs, il est difficile de procéder à un « fine tuning » à Maurice à coups de 10 points de base car l’inflation en glissement annuel (year on year inflation) est très volatile. Je suis d’accord pour une politique monétaire gradualiste mais il faut procéder par 25 points de base afin de donner aux entreprises le temps de s’adapter. Un peu à la manière de la politique des petits pas de l’ancien président de la Réserve Fédérale américaine Alan Greenspan au lendemain des attentats du 11 septembre.        

L’inflation en glissement annuel (year on year) est violemment repartie à la hausse en novembre Pourquoi ?

Comme je le disais cet indicateur de l’inflation est très volatil. Sur le dernier taux d’inflation qui est passé de 6% à 7%, il y a eu un effet budget avec la hausse des prix alimentaires et des taxes sur les tabacs et les alcools. Tout cela a eu un impact sur les prix dans l’hôtellerie et la restauration. L’inflation grimpe de 1,7% en un mois et l’indice des prix à la consommation a augmenté de 2,2 points. Le budget n’est pas inflationniste en lui-même mais il est clair que le budget a eu un impact sur le dernier taux d’inflation.

La banque centrale a un objectif d’inflation de 5,1% pour 2011. Est-ce réaliste ?

Cet objectif ne n’apparaît pas réaliste. Il sera pratiquement impossible à atteindre. Soit la Bank of Mauritius s’est trompée, soit la year on year inflation est encore plus volatile qu’on ne le pensait. On se demande d’ailleurs comment la banque centrale va pouvoir faire de l’ « inflation targeting ». Par ailleurs il y a un vrai problème du choix d’un indicateur unique de l’inflation. Soit on choisi la year on year et on doit faire face à de la volatilité. Soit on prend la « headline inflation » qui a l’avantage de lisser les effets exceptionnels. Sur le plan international on travaille avec la year on year inflation mais à Maurice on utilise les deux indicateurs.    

On parle beaucoup d’une dégradation de l’environnement économique. Faites vous le même constat ?

Il est vrai que la situation est difficile. Au niveau domestique, le budget a donné un signal clair et a procuré un peu de sérénité au secteur privé. Il y a une meilleure visibilité de la politique fiscale. Le secteur privé semble désormais plus à l’aise avec le ministère des Finances qu’auparavant. Il faut désormais trouver les opportunités pour créer de nouveaux secteurs et développer l’emploi. Mais tout ne va pas si mal. On constate une hausse de 11% des exportations depuis le début de l’année. Et ce malgré la roupie forte. Dans la grande distribution, l’ouverture de nouveaux centres commerciaux comme Bagatelle ou Cascavelle a apporté de l’animation. Dans la construction, à part les grands projets publics d’infrastructure, la tendance est plutôt morose. Quant aux services financiers et bancaires, ils ne s’en tirent pas mal. En fait la dégradation de l’environnement à Maurice provient de l’extérieur avec la crise de la zone euro. Avant la crise concernait la périphérie maintenant on touche le cœur même de la zone avec la France et l’Allemagne avec la menace de dégradation de la note de tous les pays par les agences de rating. La zone euro pourrait ainsi éclater en 2012.

Quel serait l’impact de cette explosion de la zone euro sur l’économie mauricienne ?

Il ne faut pas paniquer. Il faut attendre avant de baisser les taux d’intérêt. Nous exportons vers l’Allemagne et la France. Il est fort probable que l’euro va continuer à baisser. Si tous les pays reprennent leur monnaie nationale, il peut y avoir un effet positif de relance économique de ces pays. Avec un impact favorable de ce redémarrage de la croissance sur nos exportations.

Que pensez-vous du débat autour des profits exorbitants de banques ?

Les banques font en effet beaucoup de profit. La question c’est l’écart entre les taux à l’épargne et à l’emprunt. La banque centrale annonce un écart de 500 points de base, c’est énorme. Sur le plan international, la norme est de 200 points de base. Quand les établissements répondent qu’ils ont des coûts, on peut s’interroger sur la qualité de leur management. Cet écart de 500 points de base reflète le manque d’efficience des banques. Même sur les changes, il y a 600 points de base entre le cours acheteur et vendeur. Les revenus générés par les frais et les commissions prennent des proportions énormes. C’est comme cela que les banques compensent la faible hausse du crédit et de la marge d’intérêt. Mais il n’y a pas de véritable justification à cette hausse des frais et des commissions bancaires. La banque centrale devrait pouvoir réglementer en la matière.             

(Business Magazine)