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Feroz Dahoo : «Les gains perçus sur les taux de change n’ont pas bénéficié aux consommateurs»
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Feroz Dahoo : «Les gains perçus sur les taux de change n’ont pas bénéficié aux consommateurs»
Le Chief Executive Officer de Thomas Cook (Mauritius) estime que nos dirigeants doivent démontrer « leur capacité à maintenir la stabilité sociale et politique » et « éviter des pertes d’emplois ».
? Alors que l’inflation emprunte une tendance baissière (5,2 % en 2012) depuis la fin de l’année dernière, on s’étonne que les prix de certains articles de consommation courante prennent l’ascenseur. Comment expliquez-vous cette problématique ?
Il faut comprendre que les prix d’un grand nombre de produits sont influencés par plusieurs facteurs. Il n’est un secret pour personne que la spéculation à sa part de responsabilité dans cet exercice de volatilité. Le taux d’inflation a été bas l’année dernière et la probabilité qu’il poursuive cette tendance baissière s’explique par le fait que les prix de certains articles de consommation courante dépendent, dans une grande mesure, du cours auquel on achète nos produits pétroliers sur le marché international. Il a tourné autour de 100 dollars américains le baril durant une bonne partie de l’année. La politique monétaire adoptée pour contrôler le niveau de l’inflation a été particulièrement visible, ainsi que celle liée aux taux de change. Toutefois, force est de constater que les gains perçus sur les taux de change n’ont pas été répercutés positivement sur les consommateurs. Au contraire, nous avons assisté, récemment, à une hausse de prix de certaines denrées de base. Une situation liée aux spéculations massives pratiquées sur ces produits durant toute l’année. Ce qui m’amène à dire qu’il est primordial de mettre en place un mécanisme pour s’assurer que les gains relevant des taux de change soient passés correctement aux consommateurs et que nos dirigeants politiques mondiaux aient suffisamment de courage pour contrer toute tentative de pure spéculation à l’égard de certains produits vitaux relatifs à l’alimentation et à l’énergie.
? Tout laisse croire que la reprise économique n’est pas pour demain et que la crise dans la zone euro va encore perdurer, fragilisant davantage notre secteur d’exportation. Estimez-vous que, face à ce danger, le gouvernement doit prendre une nouvelle série de mesures pour rendre notre économie résiliente ?
La crise sera toujours là dans quelques mois, voire dans quelques années. Elle a engendré une nouvelle manière de vivre et de faire du business, et nous devons nous y adapter pour survivre dans ce nouveau contexte. Nous ne devons pas nous attendre à ce que les conditions changent, au contraire, nous devons construire sur ce dont l’on dispose déjà, en prévoyant le fait que les conditions seront plus rudes demain. Il ne fait pas de doute que les pays comme Maurice sont appelés à lutter pour se hisser au sommet, afin de pouvoir concurrencer les autres, dans ce nouveau paysage. Les perspectives de croissance sont sombres, alors qu’il y a des pays émergents en Afrique et en Asie qui sortent de longues guerres et qui se positionnent sérieusement comme nos compétiteurs.
? Que proposez-vous ?
Nos décideurs politiques doivent s’inspirer des expériences du passé, mais aussi de celles des pays semblables, quand ils sont passés du statut de «sous développé» à celui de «développé» ou qu’ils ont acquis celui de pays «en voie de développement». Cela, afin d’éviter les erreurs qu’ils ont commises. Notre stabilité sociale demeure une condition indispensable pour réussir. Le gouvernement s’est engagé à développer des projets majeurs à travers le pays pour maintenir son dynamisme. Du reste, en l’absence de nouveaux secteurs, le pays s’essoufflera. Il y a, néanmoins, la Land-based Ocean Industry qui demeure un secteur porteur. Je souhaite que le gouvernement vienne de l’avant et facilite la mise en place des projets à cet effet. Idem pour les projets concernant l’énergie renouvelable sous la bannière Maurice île durable, qui doivent être mis en route rapidement afin de maintenir les perspectives de croissance. L’investissement dans des industries appelées à disparaître peut également soulager le pays à court terme, notamment pour éviter des pertes d’emplois. Mais une telle démarche ne peut être soutenue dans le temps. Les mesures d’austérité adoptées dans certains pays ont déjà montré des signes d’échec et Maurice ne peut s’engager dans cette voie. D’ailleurs, nous avons beaucoup à gagner en termes d’efficience dans les secteurs existants pour améliorer notre compétitivité.
? Estimez-vous que nos décideurs économiques sont aptes à faire face aux véritables menaces qui guettent le pays ?
Les décideurs économiques font face à la même problématique à travers la planète et ce n’est pas du jour au lendemain que les pays vont pouvoir surmonter les défis imposés par la crise. Pour ce qui est de nos dirigeants, il leur faut, avant tout, une bonne dose de concentration. Ils doivent pouvoir adopter la bonne attitude. C’est leur capacité à maintenir la stabilité sociale et politique qui va prouver si l’on est sur la bonne voie. Un autre indicateur de réussite est la capacité à éviter des pertes d’emplois dans les entreprises. On relèvera que les gens n’ont pas été licenciés, comme cela a été le cas dans d’autres pays. Dans le même temps, nous avons pu maintenir le niveau de prix à un certain seuil, alors même que l’inflation a été supérieure à 5 % dans un contexte économique difficile. Cependant, ces statistiques relèvent du passé. Nous devons apporter de nouvelles mesures au niveau de nos institutions existantes et les doter de structures appropriées pour qu’elles puissent opérer dans les meilleures conditions de bonne gouvernance. Il nous faut absolument mettre fin à ce syndrome de nominations politiques à la tête des institutions clés du pays et y poster des gens compétents pour faire avancer le pays en ces périodes difficiles. Mais, il faut dire que ces changements n’apporteront qu’une force de levier en faveur d’une croissance organique à court terme et ne devraient pas entraîner l’avènement de nouveaux piliers économiques.
? La crise dans la zone euro est venue démontrer les risques liés à une trop forte dépendance du secteur d’exportation sur le marché européen. N’estimez-vous pas nécessaire d’engager une véritable diversification du secteur d’exportation en se tournant vers l’Afrique qui émerge aujourd’hui comme un nouveau pôle de croissance ?
C’est facile de parler de diversification, mais où faut-il diversifier ? Est-ce que nous exportons nos produits vers des pays où le pouvoir d’achat est élevé ou vers des Etats où les niveaux de revenus sont faibles ? Il est aussi facile de dire que nous devons exporter vers l’Afrique. Mais il faut se demander quels sont les types de produits que nous allons écouler. Est-ce qu’on est en mesure de concurrencer la Chine et l’Inde, en fournissant des produits d’une certaine qualité à bas prix ? Est-ce que Maurice doit adopter la même stratégie commerciale que l’Allemagne, où les prix sont basés sur la valeur de produits et se positionner comme un fournisseur de produits de qualité ? Je pense que tout dépendra du positionnement du pays sur le marché d’exportation. Nous avons certainement des marchés niche en Afrique et dans des pays asiatiques, comme la Chine et l’Inde. Des opportunités énormes s’ouvrent dans ces pays où la taille de la main d’œuvre à revenus supérieurs et moyens se développe rapidement.
? Et le secteur textile ?
Le secteur textile a été pendant longtemps une industrie à forte intensité de capitaux. Il offre généralement des emplois non qualifiés dans beaucoup de pays. Maurice a délaissé ce concept de travail à bon marché pour se lancer dans de nouveaux créneaux privilégiant le type de produits qu’elle souhaite commercialiser et à quel prix. Une manière de se démarquer de la Chine et de l’Inde. La croissance mondiale est appelée à augmenter en moyenne de 3,2 % jusqu’en 2015. Maurice connaîtra, de son côté, une croissance supérieure à la moyenne. La diversification du marché n’est pas forcément nécessaire. Nous pouvons, en revanche, nous diversifier en termes de produits, notamment au niveau de la pharmaceutique, en nous appuyant sur l’expertise indienne dans ce domaine, afin de devenir, éventuellement, un fournisseur auprès du marché africain. À mon avis, la diversification de notre base industrielle reste la clé de notre réussite. Le gouvernement doit s’y mettre pour développer un pilier économique autour de ce nouveau pôle d’activité.
? La balance commerciale se dégrade, avec un déficit du courant qui a atteint 10,3 % du PIB. Faut-il être inquiet ?
Alors que ces indicateurs sont à l’orange à Maurice, pour d’autres pays en revanche, ils virent au rouge. On ne cessera de le dire : la voie du succès demeure la croissance. Maurice, doit-on le rappeler, est un importateur net de produits et on ne peut s’attendre à ce que cette tendance soit renversée du jour au lendemain. La crise mondiale a mis à genoux des puissances économiques, avec un niveau record d’endettement. Le Royaume-Uni et la France sont de bons exemples à citer, sans compter la Grèce. Il y a un ‘shift’ économique qui s’opère actuellement en faveur d’une économie tournée vers les services. Des dettes accumulées dans le pays vont certainement avoir des répercussions. Toutefois, compte tenu du contexte actuel, on peut se demander si le pays dispose d’autres alternatives si ce n’est d’avoir recours à l’endettement comme un effet de levier sur la croissance économique.
Propos recueillis par Villen ANGANAN
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