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Francis Rocard, astrophysicien planétologue: «Les Martiens sont peut-être nos ancêtres»

14 octobre 2013, 11:49

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Francis Rocard, astrophysicien planétologue: «Les Martiens sont peut-être nos ancêtres»

Il vit dans un monde de pierre et de poussières. Son bureau est à Paris mais son esprit est à plus de 50 millions de kilomètres de la Terre, sur la planète qui intrigue les chercheurs depuis toujours. Alors, comment ça Mars ?

 

Depuis quand sait-on que les petits hommes verts n’existent pas ? 


Leur histoire commence avec le mythe des canaux. Dans les années 1870, des astronomes croient distinguer des canaux à la surface de Mars. Lowell en dénombre plus de quatre cents. Sa thèse, c’est  que les Martiens vivent une catastrophe climatique et qu’ils sont obligés de faire fondre les glaces des pôles pour irriguer les cultures des plaines de l'équateur. Cette idée va perdurer une cinquantaine d’années. En 1909, Antoniadi utilise la plus puissante lunette astronomique de l’époque. Il a alors cette phrase assassine, restée célèbre : « Plus l’instrument est performant, plus les canaux se désagrègent ». Les canaux de Mars étaient une illusion d’optique, mais le mythe de la vie martienne, lui, est resté.

 

Cette planète n’est pourtant guère outillée pour la joie… 


C’est vrai. La température moyenne est de -53°C, ça descend jusqu’à -140°C l'hiver aux pôles. L'atmosphère affiche 95% de CO2 et seulement 0,13% d'oxygène. Les vents dépassent souvent les 200 km/h et soulèvent des nuées de poussière.

 

Pourquoi une planète si peu hospitalière intéresse-t-elle tant les scientifiques ?
Sur Mars, on essaie de répondre à une question qu’on se pose depuis 5000 ans : sommes-nous seuls dans l’Univers ? La recherche de la vie est le moteur de l’exploration martienne. Cette vie, on ne l’a pas encore trouvée, on la cherche. Dans l’enfance de Mars, on sait que de l’eau liquide coulait, un élément indispensable à la vie. Mais on ignore combien de temps cette eau est restée à l’état liquide ; c’est la grande question. Sur Terre, il a fallu des centaines de millions d’années, après la formation des océans, pour que des êtres vivants apparaissent. Mars a donc été potentiellement habitable, mais on ne sait pas si elle a été habitée. Il y a eu des conditions favorables à la vie, ce qui ne veut pas dire que la vie est apparue.

 

Est-on sûr que la vie sur Mars, aujourd’hui, n’existe pas ?


Nous n’avons pas de certitudes. La vie existe peut-être dans le sous-sol. Le retour sur Terre d’échantillons de Mars, d’ici une vingtaine d’années peut-être, sera déterminant. 

 

Vous participez au pilotage du rover américain Curiosity, qui étudie la surface de Mars depuis un an. Les fameuses « 7 minutes de terreur », comment les avez-vous vécues ?


J’étais au centre de contrôle de Pasadena, en Californie. Une tension énorme, l’un des moments les plus forts de ma carrière. Piloter un robot sur Mars n’est pas le plus compliqué, c’est l’atterrissage qui est délicat. En 50 ans d’exploration martienne, seuls six objets, tous Américains, ont réussi à se poser. Pour apprendre à Curiosity à le faire, il a fallu des millions de lignes de code.

 

Sa balade martienne s’avère-t-elle fructueuse ?


Oui et non. Les caméras de Curiosity ont détecté des tas de choses intéressantes. Elles ont vu le lit d’une ancienne rivière, de l’argile qui s’est formée au contact de l’eau, un sous-sol semble-t-il favorable à la vie, mais toujours pas de carbone.  Or, c’est précisément ce que Curiosity est venu chercher : des molécules organiques nécessaire pour fabriquer la vie.

 

Pourquoi est-ce plus facile d’envoyer un robot sur Mars que de rapporter des échantillons ?


C’est surtout moins cher ! Le retour d’échantillons, c’est dix milliards de dollars, quatre fois le prix de Curiosity. Il faudra trois ou quatre fusées, c’est très compliqué.

 

Quel est votre rêve de scientifique le plus fou ?


Trouver la vie sur Mars et surtout, la comprendre. La vie martienne, si elle existe, est-elle la même que la nôtre, basée sur l’ADN ? La grande question est là. Trouver de l’ADN sur Mars remettrait en cause l’unicité de l’Homme, ça nous banaliserait, les religions détesterait. En 1600, le philosophe Giordano Bruno a été brûlé à Rome pour avoir dit qu’il existait des planètes autour des étoiles. Mettre au jour de l’ADN ailleurs que sur Terre serait un tournant dans l’histoire de l’humanité. 

 

A quel horizon l'homme pourra-t-il aller sur Mars ?


En 2040 au plus tôt. Tout dépend des Américains, c’est eux qui sont allés sur la Lune et qui peuvent mettre l’argent sur la table. L’Europe ne le fera pas, la Russie c’est fini, la Chine c’est trop tôt. Technologiquement, aujourd’hui, nous sommes limités. Il faudrait passer huit mois dans une capsule. Des chercheurs travaillent sur une nouvelle propulsion permettant de réduire le voyage à une quarantaine de jours. La colonisation de Mars sera le projet-phare du 21e siècle, mais pour les scientifiques, le Graal, c’est le retour d’échantillons.

 

L’homme sur Mars est-il un objectif plus politique ?


Evidemment. Le moteur de l’exploration martienne n’est pas la science mais la politique. L’homme sur la Lune, c’était pareil. Souvenez-vous du discours de Kennedy en 1961: les Soviétiques ont gagné deux fois avec Spoutnik et Gagarine, la troisième manche sera pour nous, d’où Apollo.

 

Mars One, une société hollandaise parrainée par un ancien prix Nobel de physique, propose à des volontaires de partir vivre sur Mars en 2022. Un aller simple sans retour prévu, qui a déjà séduit 200 000 personnes. On est dans la science-fiction ?


Totalement. Chaque candidat a payé 30 euros, bravo Mars One, six millions dans les caisses, joli coup médiatique ! Mais ils n’ont ni l’argent ni la technologie. Les fusées en Hollande, c’est rare (sourire).

 

Des travaux plus sérieux creusent l’idée que la vie sur Terre a pu naître grâce à une météorite martienne. Nos ancêtres seraient-ils des Martiens ?


C’est possible, le retour d’échantillons, là encore, nous aidera à comprendre. Des travaux récents, effectivement, apportent de l’eau au moulin de la panspermie [théorie selon laquelle  la Terre aurait été ensemencée par des formes de vie dérivant dans l'espace, ndlr]. Pour faire simple, quand une grosse météorite frappe Mars, de petites météorites martiennes se répandent dans l’espace. Elles flottent quelques millions d’années dans le système solaire avant de retomber sur Terre - on en a retrouvé une centaine. Des bactéries venues de Mars ont donc pu contaminer la Terre. Nous pourrions, nous, Terriens, avoir été ensemencés par ces bactéries, autrement dit être les descendants des Martiens. L’inverse est vrai aussi : la Terre pourrait avoir ensemencé Mars, ce qui ferait de nous  les ancêtres des Martiens.

 

Dans ce même registre, le site curiositywatch.com a révélé tout récemment que Curiosity avait emmené sur Mars des bactéries terriennes…


Oui, mais très peu. Un foret dont se sert le robot n'aurait pas été bien stérilisé...

 

Ne devrait-on pas retaper notre pauvre planète avant d'aller bousiller celle des autres ?


Les risques de contamination sont extrêmement faibles. Mars est bien trop hostile pour que des bactéries terriennes prolifèrent. Elles vont très probablement mourir.

 

Est-ce que les extra-terrestres croient aux Terriens, selon vous ?


C’est possible. Pour cela, il leur faudrait un radiotélescope similaire à celui de Maurice. S’ils ont la bonne fréquence - celle de la télévision - et s’ils arrivent à pointer une antenne vers le soleil, ils découvriront un émetteur radio assez intéressant : la Terre, qui émet en ondes radio du fait de la télévision. Ça fait 50 ans que ça dure. Cela veut dire qu’à 50 années-lumière de nous, ces gens-là, s’ils existent, pourraient éventuellement capter un signal radio anormal et se dire « tiens, là-bas il se passe quelque chose ». Nous, les Terriens, nous cherchons un signal radio du même type. Sans succès pour l’instant.

 

Si les extra-terrestres peuvent nous entendre, peuvent-ils aussi nous rendre visite ?


Non, une soucoupe volante ne peut pas visiter la Terre. Les extra-terrestres ont le même problème que nous. Avec la technologie moderne, depuis la Terre, il faut 40 000 ans pour atteindre l’étoile la plus proche, Alpha du Centaure. Même si une civilisation extra-terrestre possédait une super technologie pour faire le trajet en six mois, la vitesse de cette improbable soucoupe serait si vertigineuse qu’elle ne pourrait plus s’arrêter.

 

Depuis l’aube des temps, sur toutes les planètes, combien de civilisations ont pu naître, se poser les questions que vous posez, puis s’évanouir ?


Ça, je n’en sais strictement rien ! Ce qui est intéressant de comprendre, c’est qu’il y a deux paramètres-clés. Le premier, l’espace, on maîtrise plutôt bien. On sait que l’Univers est trop grand pour une rencontre du troisième type. Check hand avec les extra-terrestres, c’est impossible. Le deuxième paramètre, le temps, nous l’appréhendons mal. La Terre a 4,6 milliards d’années. Mais la technologie pour explorer sa toute proche banlieue n’a que cinquante ans, c’est rien. Alors oui, d’autres civilisations ont pu exister. Mais pour le savoir, encore faudrait-il pouvoir dialoguer avec elles au moment où nous sommes en phase de technologie avancée. Si eux ou nous en sommes au stade de Neandertal, on s’ignorera superbement. 

A force d’arpenter Mars au quotidien, vivez-vous un peu sur cette planète ?


J’essaie de faire la part des choses. Une fois rentré chez moi, je fais des efforts pour laisser Mars derrière la porte, parce que même mes enfants saturent (rire) et ma femme me demande de garder les pieds sur Terre.

C’est difficile ?


Oui. Chaque jour ou presque, une information importante tombe. Il se passe tout le temps quelque chose sur Mars.


 

Repères

Mission :responsable de l’exploration du système solaire au Cnes, le Centre national d’études spatiales, la Nasa française.

Invité à Maurice par :l’Institut français de Maurice (IFM), où il a donné une conférence jeudi.

Signe particulier :il est le fils de Michel Rocard, ancien Premier ministre français, et le petit fils d’Yves Rocard, grand physicien français de l’après-guerre.

Dernier ouvrage publié :Mars, une exploration photographique (éditions Xavier Barral, 2013)