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Gaëtan Siew : «Mon île Durable vue de loin… ou l’île Maurice la ville-Etat»

13 avril 2009, 13:50

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L’architecte Gaëtan Siew revient sur le concept de Maurice Ile Durable. Un texte à la première personne où il fait de nombreuses propositions.

Voyager, c’est apprendre. Pendant ces six dernières années, j’ai eu la chance de sillonner les cinq continents me partageant entre Maurice et les contrées les plus reculées. J’ai vu l’homme vivre dans les conditions les plus abjectes comme j’ai vu le luxe le plus scandaleux et inutile. Mais chaque lieu, chaque village m’a appris quelque chose sur moi-même et sur Maurice. Mon esprit n’a jamais quitté notre île. Chaque découverte me permettait de faire une comparaison ou me suggérait l’idée de quelque chose qui saurait être utile à ce pays que j’aime tant.

J’ai rencontré les plus grands, chefs d’Etat, des prix Nobel comme Stieglitz, Yunus ou Gore, des maires, des plus grands gurus du Développement jusqu’au plus humble squatter de rues de Dacca ou le débrouillard marchand du Mercato d’Addis Abeba. Un tel périple ne peut s’entretenir sans complices. Les miens sont des architectes comme moi. Sans eux, sans leurs savoirs, je me serais promené en aveugle sans toujours comprendre. Je vous raconte tout cela pour vous dire que ce que j’ai appris m’a été donné par les personnes et le vécu, dans la réalité de la vie.

Maurice une ville

Et c’est avec ces yeux que je reviens à chaque fois voir et revoir notre île. En ces temps de relance, j’ai retenu trois slogans qui se veulent être notre destinée le Knowledge Hub, la Cyber-île et Maurice Ile Durable. Je voudrais partager avec vous ces quelques réflexions. Il est plus que nécessaire de se mobiliser pour avoir une vision globale et ambitieuse de notre cadre de vie. Tout d’abord, il est utile de nous rappeler que les grandes villes sont les moteurs de toute économie.

De par son échelle, Maurice est une ville, une ville-Etat, si vous préférez. Et c’est autour de la ville que s’organise tout spécialement l’économie de la connaissance. Pour les villes les plus créatives, telles Londres, Paris, New York ou San Francisco être ou ne pas être sur la carte des grands hubs est crucial et elles vivent dans une concurrence permanente avec les autres villes du monde. Du fait de leur haute densité, ces métropoles sont aussi plus écologiques que les grandes étendues résidentielles diffuses ou spontanées qui envahissent bien de paysages, y compris le nôtre. La laideur n’est pas une fatalité. Il est possible de réinjecter du beau dans notre quotidien.

Nous vivons une opportunité historique: celle de réinventer notre île, par un effort important d’investissement, conjuguant un peu de béton et beaucoup d’intelligence. Le jeu pourrait être gagnant à de multiples égards.

Le premier objectif: Consolider notre infrastructure

Le premier objectif est de conforter notre position dans cette compétition mondiale. Trop ambitieux, me diraient certains. Peut-être, mais nous disposons quand même de certains atouts indéniables, une diversité culturelle (vécue ici à tort comme un handicap), un climat agréable, un multilinguisme naturel, une stabilité politique, une sécurité relative et finalement une population d’immigrés qui arrive à s’adapter à la nouvelle vie de chaque génération. Ces éléments devraient être les moteurs de notre croissance et les pivots de notre insertion internationale. Mais si nous voulons devenir une île créative et attractive pour les talents du monde entier, il faut d’abord que nos propres habitants, et pas seulement les riches et les touristes, y trouvent leurs comptes. Des infrastructures obsolètes, des conditions de vie dégradées ne pourraient être que néfastes. Replacer l’homme au centre de nos priorités.

Des investissements sont donc urgents: dans le domaine du logement, d’abord, où le déficit se creuse de 8 000 unités par an sur un retard de 60 000. Dans les transports publics agonisants, ensuite (trafic routier ruinant l’économie du travail). Dans l’énergie (une stratégie claire et objective peut-être?) et l’eau (40% de pertes contre 5% à Singapour)- réseaux au bord de leur durée de vie et de leur capacité. Dans l’accès à l’éducation et à la santé encore précaire et, finalement, dans une infrastructure numérique qui reste encore embryonnaire. De tels investissements sont d’intérêt national. Ces investissements conçus dans une stratégie durable changeraient l’anatomie du pays. Ils seront des drivers de croissance globale et de croissance verte.

Le deuxième enjeu: Une organisation différente du temps

Le deuxième enjeu est de créer une mutation de l’île en laboratoires privilégiés d’innovation et de croissance. La croissance verte consistera en une refonte de notre urbanité comme de nos systèmes. Il ne s’agit pas seulement d’additionner des comportements vertueux, d’économiser de l’énergie et de l’eau, d’établir des normes, de trier ses déchets, d’utiliser le vélo ou le bus plutôt que la voiture.

Mais il s’agit de développer un potentiel ouvert par l’opportunité de la crise et du contexte. Nous parlons de nouvelles manières d’organiser le temps et l’espace, l’entreprise, le travail, l’éducation, le commerce, l’accès aux soins, utilisant massivement les possibilités du numérique. Il est temps de dépasser l’opposition binaire entre l’automobile et transport en commun par le développement:


• de transports à la demande, de covoiturage
• de logements et des lieux de travail et de loisirs très peu consommateurs d’énergie
• des espaces de mixité sociale et de mixité de fonctions (work, live & play) en un même lieu
• du télétravail
• d’un commerce basé sur la fourniture de services et de fonctionnalités
(ex: vente de km v/s vente de voiture)

De telles initiatives, combinant biens et services, feront boule de neige, suscitant des infrastructures, des métiers, des nouvelles PMEs et bien sûr des emplois nouveaux.

Le troisième enjeu: S’ouvrir aux autres pour mieux vivre

Le troisième enjeu est industriel. J’ai encore du mal à comprendre pourquoi avec de tels atouts nous n’avons pas réussi à franchir ce cap psychologique d’ouvrir complètement ce pays, de développer davantage notre melting pot unique, de tester si notre hospitalité est réelle ou superficielle. Je parle encore d’attirer les talents, en commençant par les Mauriciens du monde entier en:


• Offrant un laboratoire d’innovations pour toutes ces technologies nouvelles et toutes ces connaissances
• Développant le génie du recyclage, propre aux cultures d’Asie et d’Afrique.
• Offrant un laboratoire de cultures basé sur notre propre diversité culturelle
• S’associant avec les meilleurs partenaires internationaux pour développer une industrie de services basée sur les innovations et sur les compétences attirées
• Développant de nouveaux modèles de gestion et de gouvernance

Le fait de porter tout notre territoire à la pointe de la nouvelle vague d’innovations techniques et sociales alimentera évidemment la compétitivité de nos entreprises, grandes et petites.

De tous ces voyages, proches ou lointains, de toutes ces choses vues et de toutes ces personnes entrevues, de toutes ces leçons, il me reste un apprentissage de la vie plus intime, mais une connaissance de la planète plus inquiète. Je reste néanmoins un éternel optimiste. Nous pouvons rattraper notre retard à condition de changer nos pratiques. Le durable n’est pas seulement une affaire de spécialistes ou d’initiés, mais le devoir de tous les citoyens. Une obligation de solidarité.

Il nous faut repenser nos solutions, préférer l’invisible au visible, choisir des solutions douces (stratégie de recyclage et d’économie globale) à celles qui offrent l’avantage d’être inaugurées et filmées. Il nous faut comprendre et faire comprendre les enjeux, la différence entre l’intérêt public et les intérêts des particuliers. Et que chacun de nous soient plus actifs et exigeants avec nous pour la qualité de notre cadre de vie et celui de nos enfants.

La première leçon d’un tour du monde est celle-ci: la douceur de vivre existe et elle est ici. Mais elle devient une denrée rare. Que nos enfants n’aient pas à la payer trop chère…»

Gatan Siew