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Gaëtan Siew : «Notre modèle de société occulte les problèmes de base»
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Gaëtan Siew : «Notre modèle de société occulte les problèmes de base»
A la tête du groupe pluridisciplinaire de réflexion «vision et stratégie» de l’Association internationale des architectes, Gaetan Siew suit avec attention les balbutiements du nouveau modèle durable mauricien et s’étonne de décisions paradoxales. Appelé à faire une allocution à Amsterdam en avril sur les constructions durables, l’architecte voit plus large et questionne le développement durable, la soutenabilité de notre modèle de développement. Des idées, des critiques, de l’optimisme, pour cet entretien qui cale bien au thème retenu de ce 12 mars : la République durable.
¦ La fête nationale a pour thème «la République durable». C’est de bon augure ?
Le projet Maurice île durable (MID) est louable. Mais on a fragmenté la problématique au risque d’oublier l’approche systémique du début. En définissant 5 E (ndlr: Environnement, Energie, Emploi, Education, Equité), les interdépendances entre ces thèmes se diluent. Récemment, 84 % des internautes de lexpress.mu disaient que le changement climatique devait figurer parmi les priorités du gouvernement. Est-ce le cas ? Le changement climatique est le symptôme d’un mal plus grand et le développement durable ou quelques projets spécifiques risquent de n’être que des pansements.
¦ Pour vous, ce plus grand mal, c’est ?
Notre mode de vie, notre modèle de développement.
¦ Vous questionnez donc la pertinence d’un modèle basé sur la croissance, la productivité, la consommation ?
On se contente de données chiffrées : arrivées touristiques, taux de croissance, indices de consommation, investissement direct étranger... Or, la richesse n’est pas nécessairement matérielle.
¦ N’est-ce pas légitime d’aspirer à plus ?
Oui, mais on en vient à une société du paraître, de l’endettement. Quelle est la finalité ? Une île Maurice riche et consommatrice ou une population heureuse ?
¦ On créé des besoins, c’est ce que vous déplorez...
Tout à fait.
¦ A vous entendre, on n’est pas loin d’un objecteur de croissance...
La décroissance est une idée intéressante. C’est un mouvement qui prend de l’ampleur. Il n’y a pas qu’un modèle de développement basé sur les gains de productivité, le taux de croissance, les investissements, le «plus-toujours- plus». Le royaume du Bhoutan, à ce titre, est peut-être un îlot utopique mais, néanmoins, un exemple intéressant.
¦ Les décideurs ne semblent pas vouloir aller dans ce sens...
Qui décide ? Les gouvernants ? Le pouvoir se divise, il n’est pas qu’entre les mains de la classe politique. Il y a la société civile, les élites, les chefs d’entreprises, les financiers, les institutions financières internationales, les agences de notation, etc. Ces pouvoirs sont internes et externes, ils s’imbriquent ou s’opposent, ils promeuvent des modèles de développement similaires ou contraires.
¦ Et vous pensez qu’il y a une chance qu’on change de modèle de société, de modèle économique ?
C’est peut-être un virage à 180° qu’il faudra prendre. Pas facile. Dans son livre The Great Disruption, l’Australien Paul Gilding rappelle une chose qui a de quoi interpeller dans notre contexte : «Yes, there is life after shopping » et invite à «less stuff, more quality». L’addiction à la croissance peut être remplacée par un autre développement, plus éthique, moins gaspilleur, et c’est une chance pour les opérateurs économiques.
¦ Tenter à tout prix de soutenir le taux de croissance ou de l’améliorer, ça vous dépasse...
D’un point de vue global, si on s’en tient aux chiffres, la croissance n’est pas soutenable. Si on s’en tient à la population et ses besoins, l’humanité pompe déjà 140 % de la capacité de production de la Terre. Comment supporter deux milliards de Terriens supplémentaires en 2050 ? A ce rythme, c’est impensable !
¦ D’autant que les salles de marché créent parfois des pénuries virtuelles aux conséquences très concrètes...
La course aux matières premières est alarmante. Elle nourrit des inégalités. On achète et on revend des denrées qui ne sont pas encore sorties de terre. La spéculation est aberrante. En fait, pour sauver la planète il faut sauver l’humanité, les civilisations, corriger leurs dérives, changer les mentalités.
¦ A Maurice, MID se propose, sur le papier, de le faire...
On ne s’attaque pas aux problèmes de base. Parce qu’on ne vise que la croissance, on finance les insfrastructures, routes et aéroports à coup de milliards. Or, un citoyen lambda que préfèrerait-il : l’accès à l’eau potable ou à une route bitumée ?
¦ On vous répondra que ce sont les bases nécessaires au développement initié...
Une conférence se penchait récemment sur l’état réel de l’économie. Par exemple, pour le mesurer, on devrait évaluer le coût du temps perdu, du stress enduré, de la fatigue emmagasinée, de la pollution émise par les 200 000 personnes qui subissent les embouteillages quotidiens. Autre exemple, il y a un exode des compétences. Dans l’atelier MID sur l’Education, aucune mention sur ce phénomène. Or, retenir nos compétences s’inscrit dans une logique durable. L’homme est au centre du développement durable. C’est lui qui peut changer de modèle.
¦ Vous êtes un déçu de MID ? Sceptique quant à son application et sa portée ?
Restons optimiste. L’initiative est louable et potentiellement salvatrice. Les gens sont plus conscients même si des travers persistent. Les600 recommandations issues des ateliers de travail MID doivent être discutées, pesées et concrétisées. La question n’est pas tant «comment ?» que «quand ?». Peut-être faudrait-il imposer des choses pour le bien de tous.
¦ Quand on impose, des voix s’élèvent et certains lobbies pèsent...
Nous sommes une petite île, on peut donc obtenir le consensus et contrôler l’échelle. Le financement pour ces programmes ne doivent pas forcément venir des bailleurs de fonds ou de l’Etat. Le secteur privé a tout intérêt à financer. Selon la HSBC, l’économie verte représente un marché mondial de 2 trillions de $ et neuf fois plus d’ici 2030 ! Ce sera à l’agenda de Rio+20 avec l’économie bleue , dont nous devons tirer partie aussi.
¦ Pour le moment, on continue sur la même lancée avec quelques garanties «vertes», c’est ça ?
Toute chose à une capacité, à trop puiser on entame le capital.
¦ Comme le littoral ?
Le capital côtier est déjà dépassé. Or, le secteur privé continue de lorgner sur les derniers kilomètres de plage. On est en panne d’idées.
¦ Quelles sont les vôtres ?
N’ayons pas peur des compétences étrangères et surtout retenir et valoriser nos compétences locales. Maurice est un monde en miniature, il y a donc des opportunités dans le tourisme ou les industries créatives. Mais plus que tout, il faut investir dans la Recherche & Développement (R&D). Notre échelle ne nous offre que des niches. On peut en trouver des porteuses à l’emprunte écologique la plus faible possible. La transition peut être douloureuse, mais elle sera sans doute profitable.
Entretien réalisé par Gilles Ribouet
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