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Gerald Lincoln : «Tournons-nous vers l’Afrique pour trouver de nouveaux relais de croissance»

30 mai 2012, 12:39

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Le Managing Partner d’Ernst & Young estime que l’Afrique est en marche vers une démocratie parlante et visible et que sa démographie est très favorable au développement du segment de la grande distribution.

 


? La firme Ernst & Young International vient de rendre public l’Africa Attractiveness Survey, une étude sur les facteurs susceptibles d’attirer les investissements en Afrique. Quelles sont les principales conclusions de ce rapport ?

Ce qui ressort de ce rapport est la capacité du continent africain à créer des conditions objectives pour attirer les investissements étrangers en s’appuyant notamment sur le fonctionnement démocratique de ses institutions, la stabilité politique de la majorité de ses Etats et le degré de confiance qu’il jouit auprès des investisseurs internationaux. Mais, il y a mieux. C’est son positionnement en tant que nouveau pôle de croissance. Car il faut se rendre à l’évidence que la plupart des pays africains enregistrent actuellement un taux de croissance supérieur à 10 %. Des pays comme le Ghana, le Niger, la Tanzanie ou encore la Zambie, sont considérés comme des pays phare qui vont aider le continent noir à franchir un nouveau palier de son développement.

? Pourquoi l’Afrique doit-elle attirer les investisseurs mauriciens et étrangers ?

Tout simplement parce que le potentiel de croissance en Afrique est réel. D’ailleurs, le commerce intra-Afrique est en nette progression, comparé à ce qu’il était il y a quelques années. Le corridor qui relie l’Asie et l’Afrique est, aujourd’hui, emprunté par les Indiens et les Chinois qui souhaitent investir en Afrique. Les investisseurs chinois sont visibles dans de nombreux pays, dont l’Ethiopie. Le moteur de croissance en Afrique demeure les ressources naturelles récemment découvertes dans certains pays. Je pense surtout aux importantes réserves de gaz en Tanzanie, qui attirent des entreprises chinoises et canadiennes à s’y engager en vue de les exploiter.

La démographie de l’Afrique est, par ailleurs, très favorable au développement du segment de la grande distribution. Il ne faut pas oublier que l’Afrique, avec son 1 milliard d’habitants, dispose d’un vaste marché de consommation qui pourrait atteindre les US$ 500 milliards d’ici 2020. Ce sont des opportunités énormes qui s’ouvrent aux investisseurs locaux et étrangers qui souhaitent se lancer dans ce créneau pour satisfaire la demande intérieure à un moment où les marchés européens et américains passent par une phase de stagnation.

? Reste que l’Afrique est perçue comme un continent corrompu où les régimes en place ne sont pas élus démocratiquement ?

C’est une perception qui est loin de la réalité quotidienne. Le continent noir est en marche, aujourd’hui, vers une démocratie qui est parlante, visible à tous les échelons : politique, économique, voire sociale. De nombreux conflits internes entre les Etats sont résolus de manière démocratique. Notre cabinet, qui est présent sur place, y voit bien cette transformation.

? L’Afrique n’est pas un bloc monolithique, qui comprend 52 pays, avec chacun son niveau de développement et ses propres réalités. La stratégie à adopter diffère d’un Etat à l’autre ?

Tout à fait. L’Afrique est un ensemble de pays ayant chacun une histoire, une culture et un niveau de développement. Elle n’est pas un marché intégré. Il y a des Etats considérés comme des Economic Power Houses, d’autres qui ont connu de longues histoires de guerres civiles ou encore ceux qui sont enclavés. L’approche à adopter diffère d’un Etat à l’autre.

? Estimez-vous qu’il y une zone géographique où les possibilités de croissance sont plus importantes ?

Je pense à l’Afrique de l’Est qui est plus proche de nous. Des pays formant partie de cette zone comme le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, la Zambie ou encore le Mozambique, ont atteint des niveaux de développement positifs. Le taux de croissance de ces pays avoisine les 8 à 10 %. De plus, ils connaissent une certaine stabilité et sont habitués à la démocratie. Certes, il y a des risques inhérents qu’un entrepreneur souhaitant s’y installer doit prendre, notamment ceux liés à la politique et aux taux de change.

? Comment l’île Maurice pourrait-elle se positionner pour prendre avantage de la renaissance africaine ?

Maurice a atteint un niveau de croissance estimé cette année à 3,7 % . C’est évidemment loin d’une croissance à double chiffre. Nous estimons que face à l’étroitesse du marché domestique, les entreprises doivent se tourner vers la région pour trouver de nouveaux relais de croissance. Maurice peut se positionner comme une porte d’entrée pour accompagner les investisseurs à s’implanter en Afrique. Notre île dispose déjà des atouts à cet effet, soit d’une stabilité politique, d’une longue tradition démocratique et d’un centre financier avec un cadre juridique moderne.

Il faut dire que certaines entreprises ont déjà fait le saut, notamment au Mozambique, en Tanzanie, au Kenya, en Zambie, en Cote d’Ivoire et au Ghana. Ce sont essentiellement dans les secteurs sucre et services. Il faut souhaiter que d’autres passent à l’offensive. Je dois également ajouter que les cabinets d’experts-comptables, plus particulièrement le Big Four, sont déjà présents en Afrique pour y proposer leurs services. Ernst & Young est d’ailleurs impliqué dans plusieurs projets de restructuration, de gestion des risques opérationnels des entreprises et de l’audit financier dans certains pays africains.

? Peut-on dire que c’est le bon timing d’investir en Afrique actuellement ?

Je dirai que oui. Plus vite débarquons-nous en Afrique, le mieux se sera pour les entrepreneurs car l’Afrique est convoitée d’autres investisseurs dans le monde. Il faut se débarrasser des images associées généralement à l’Afrique comme des coups d’Etats, des régimes sanguinaires ou la dictature. Ayons plutôt un regard neuf sur l’Afrique.

? Revenons à Maurice. Comment analysez-vous le mood des affaires à Maurice ?

Je constate qu’un pessimisme latent s’installe chez les gens depuis quelque temps. J’ai une formation comptable et quand je regarde les chiffres, je vois que le mot «crise» associé au pays est un peu exagéré. Quand on étudie les arrivées touristiques pour le premier trimestre, on ne peut pas dire qu’on est en crise. J’ai le même sentiment pour les chiffres d’exportation car il n’y pas beaucoup de pays dans le monde qui ont vu la valeur de leurs exportations augmenter dans un contexte de crise comme le nôtre.

En revanche, je constate que ce terme est plus approprié pour le secteur des services financiers avec les nuages qui s’installent dans notre secteur offshore suivant la décision des autorités indiennes d’introduire de nouvelles mesures fiscales. Même s’il y a une année de grâce, ce secteur n’est pas sain pour les investisseurs qui doivent réagir dans l’incertitude. Il nous faut plus de clarté et de visibilité.

? Estimez-vous que l’économie est bien gérée à un moment où on est confronté à une grave crise économique à l’échelle planétaire ?

Certes, on peut mieux faire que ce qu’on fait déjà. Mais si on veut passer à un nouveau seuil de développement, il faut se réinventer et mettre en place un Think Tank comprenant des sages pour réfléchir sur les grandes orientations de Maurice d’ici 2030. Il faut se demander ce qui va être notre moteur de croissance dans 15 ou 20 ans. Nous avons besoin d’unThink Tank et non pas d’une fenêtre de cinq ans.

Propos recueillis par Villen ANGANAN