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Ghislain Gomart : « Cessez de penser que les étrangers sont meilleurs ! »

12 mars 2012, 14:27

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Monsieur développement durable du PMO, c’est lui. Ou plutôt, c’était lui. Après une mission d’un an à Maurice, ce haut fonctionnaire français a plié bagage le week-end dernier. L’occasion d’un discours frais, en cravate verte s’il vous plaît.

Début 2011, vous rejoignez le Prime Minister’s Office pour travailler sur le projet Maurice île durable (MID). Un an plus tard, ciao. Pourquoi un engagement si peu durable ?

Parce que j’avais « signé » pour une année. C’était une mission d’accompagnement, pas pour faire à la place de. Finalement, bonne ou mauvaise nouvelle, je vais prolonger un peu et revenir une dernière fois le mois prochain. C’est tout frais, ça vient de se décider. Je serai là le 20 avril pour la présentation de la stratégie MID. Ce projet me passionne, j’ai envie de finir l’histoire.

Quand vous faites le bilan de votre mission, que retenez-vous ?

Maurice a réussi son Grenelle de l’environnement. En juin dernier, la société civile a pris la main. Trois cents personnes réparties en six groupes de travail ont formulé des propositions pour une île plus durable. Le processus de démocratie participative, malgré les inquiétudes de départ, a fonctionné. Aujourd’hui, j’ai envie de dire aux Mauriciens : « Ayez confiance en vous ! Cessez de penser que les étrangers sont meilleurs, que les consultants extérieurs font du meilleur boulot. »

C’est vrai, pourquoi s’en remettre à des Gomart ?

Je ne suis pas consultant ! Je ne suis pas payé à la prestation, mon employeur est le ministère français de l’Economie. S’entourer d’expertise extérieure n’est pas idiot, mais pendant ce temps, Maurice sous-exploite ses talents. J’ai l’impression que le système ne permet pas aux jeunes d’apporter toutes leurs compétences au pays. Maurice en a sous la pédale et on ne l’optimise pas, c’est dommage. « Non, on ne sait pas faire, mieux vaut s’en remettre à l’expertise étrangère » : cette attitude m’a marqué. En gros, tout l’effort de l’administration consiste à produire des Terms of reference pour recruter des étrangers. Et ces messieurs sont censés dire aux Mauriciens ce qu’ils doivent faire. Pourtant, je vous garantit que les Mauriciens savent faire !

Et d’après vous, pourquoi ne se font-ils pas confiance ?

C’est la bonne question. Je pense que l’histoire y est pour beaucoup. L’indépendance est récente. Se dire qu’il n’y a pas si longtemps le pays était encore une colonie peut brider certains élans.

En parlant d’élan, que vont devenir les centaines de propositions formulées par la société civile ?

Le consultant Mott McDonald va les articuler pour rédiger une stratégie MID à dix ans. Le 20 avril, une ébauche sera présentée. Les groupes de travail se reformeront pour l’occasion et donneront leurs impressions. Les ministères seront également consultés. Cela débouchera sur le document final, qui devra être validé en dernier instance par le Cabinet. En mai, Maurice aura donc sa « MID Policy and Strategy 2012-2022 ». Il ne s’agit pas de se louper car le 20 juin, c’est Rio+20 []le sommet des Nations unies sur le développement durable, ndlr]. C’est important que le Premier ministre aille présenter au monde la stratégie de l’île Maurice.

Une stratégie, pour quoi faire ?

Pour fixer un cap. Pour que chaque ministère se mette au diapason. Pour que chaque décision politique soit en adéquation avec MID. En août, cette stratégie débouchera sur un MID Action Plan. Du concret : il s’agira d’engager des actions pour 2013, 2014 et 2015. Si nous ratons cette marche-là, les ministères feront leur budget 2013 comme les précédents et nous aurons perdu un an.

Pourquoi avoir confié cette stratégie à des étrangers ? Ce n’est pas cohérent avec vos propos précédents…

Nous n’avons pas eu le choix. Vu les budgets mis en oeuvre, nous étions obligés de passer par un appel d’offres international. Dans nos économies ouvertes, vous ne pouvez pas réserver vos marchés à vos compatriotes alors que l’argent est mis à disposition par l’Agence française de développement. Cependant, le cabinet britannique qui a remporté ce marché a l’obligation d’impliquer des équipes locales. Lux Consult est ainsi associé à Mott McDonald. Et puis, le fait de confier cette mission à des étrangers présente ici un avantage. Plus le pays est petit, plus les acteurs se connaissent, et plus il est difficile de faire des choix sans que le public ne soupçonne des connivences.

Durant votre mission, avez-vous repéré des écueils que la bienséance vous oblige à taire ?

Bien sûr. Comme dans toute organisation, il y a des contradictions, des incohérences autour du projet MID. Ce qui me dérange le plus, c’est peut-être le déficit de communication. MID n’est pas doté d’un site Internet digne de ce nom. Je crois qu’il est essentiel de dire ce que l’on fait, d’expliquer les obstacles que nous rencontrons. On ne rend pas service à ce projet en négligeant à ce point la communication.

Résultat, pour beaucoup de Mauriciens, MID sonne creux. L’expression même de « développement durable » est devenue une camomille mielleuse pour vendre des pneus ou du ciment. Comment lui redonner du sens ?

Par la preuve. Avec des réalisations concrètes. Effectivement, chacun met ce qu’il veut derrière ce concept, c’est parfois fumeux. L’idée de base, c’est quoi ? C’est de dire que l’on ne peut pas préempter les ressources naturelles de la planète sans considérer les besoins des générations futures. Cette idée-là est très forte. Maintenant, il faut la matérialiser. Ne pas se décourager. MID est un tableau pointilliste. Si une pastille tombe, votre tableau est encore complet. Plus on porte l’ambition loin, plus on engendre des déceptions, mais elles sont souvent disproportionnées. Un caillou qui tombe de la montagne, ce n’est pas grave.

Il y a des cailloux plus gros que d’autres. Les énergies vertes qui ne décollent pas, par exemple.

Les procédures prennent du temps. Trois projets d’éoliennes sont dans le pipeline. C’est nouveau, il faut tout apprendre. Une réflexion est en cours au gouvernement sur la voiture électrique. Là aussi, ce ne sera pas pour demain. En matière d’énergie, les incitations sont déterminantes.
Pour qu’il y ait des projets, il faut que les investisseurs y trouvent leur compte. Tout se jouera donc sur le tarif de rachat pratiqué par le CEB. La question à se poser est celle-ci : est-ce que le gouvernement est prêt à payer l’énergie plus chère pour que des investisseurs se lancent dans des filières nouvelles ? En France, quand EDF rachète de l’énergie photovoltaïque ou éolienne, elle paie plus cher. C’est une décision de l’actionnaire majoritaire qui est l’Etat. Ce prix de rachat est une subvention déguisée à la production. C’est une façon d’aider ceux qui font des choix vertueux.

Une fiscalité écologique, en somme.

C’est ce que je défends. Vous favorisez certains produits, vous en défavorisez d’autres. Vous encouragez ainsi les bons comportements et vous suscitez la créativité industrielle. Maintenant, comme toujours, il y a des gens qui y gagnent, d’autres qui y perdent. Ce ne sont pas des décisions faciles à prendre. C’est pour cela qu’un processus participatif de type MID peut aider le politique à trancher.

Nos décideurs politiques procèdent dans des cadres temporels qui ne conviennent pas au développement durable. Sont-ils capables d’accepter que ce qu’ils sèment aujourd’hui puisse germer dans une autre échelle de temps ?

Non. Il existe des hommes d’Etat qui ont une vision et qui prennent des décisions courageuses, mais la majorité des décideurs politiques sont obsédés par leur réélection. C’est humain et légitime. Le résultat, c’est que les décisions pour le bien commun ne sont pas prises.

Ne pensez-vous pas que le changement viendra des entreprises ? Celles qui comprennent les aspirations d’une société civile en avance sur ses responsables politiques.

Ça me paraît une excellente analyse. Le secteur privé a un rôle fondamental dans nos économies ouvertes. C’est lui qui mène le monde, pasle politique. Lui, il le régule, il cherche des équilibres. J’étais récemment invité au Joint Economic Council. Les patrons que j’ai rencontrés m’ont tous dit la même chose. Ils ont longtemps hésité à plonger dans MID, mais aujourd’hui ils savent que ce processus est irréversible.

Demain, s’en sortiront le mieux les entreprises qui sauront déceler les opportunités dans ce bouillonnement de la société civile ?

Exactement. En France, nous avons un mot pour cela : consomm’acteur. Des chefs d’entreprise décèlent les tendances du marché pour devancer la concurrence. Ceux-là, quel que soit leur secteur, seront dans le green business, ils survivront. Négliger l’aspect social et environnemental, aujourd’hui, c’est très risqué. Le durable va sélectionner les entreprises. Pour ne pas être déclassées, elles devront être socialement et écologiquement responsables. Après, certains peuvent faire le choix de maximiser les profits en restant dans le modèle ancien. A très court terme, ça peut payer. Mais à moyen et long termes, c’est mortel. J’aime bien cette phrase d’un ancien président d’Exxon qui disait que le communisme est mort pour avoir ignoré la vérité économique et que le capitalisme mourra s’il omet la vérité écologique.

La guerre des modèles, néolibéral d’un côté, « durable » de l’autre, est donc engagée ?

Oui. Si néolibéral signifie compétition à outrance, individualisme forcené, profit maximal, ce n’est clairement pas le modèle durable.

Du Bossuet en dessert, ça vous botte ?

Et comment !

Il disait : nous sommes des créatures étranges, on s’afflige des effets…

(Il coupe)… et on continue d’adorer les causes. Mon ami Nicolas Hulot cite souvent cette leçon de sagesse. Elle date du 17e siècle et n’a toujours pas été méditée, ou pas suffisamment. Elle nous renvoie à notre responsabilité en matière de développement durable. Nous continuons, collectivement, à être dans l’erreur. A demander trop à la Nature. A chérir notre modèle de consommation à outrance tout en sachant que nos ressources sont limitées. En clair, nous allons à la catastrophe. Mais je suis un optimiste. Je crois qu’il est encore temps de rectifier le tir. Je crois à l’action. Je crois que si le processus MID va au bout, alors Maurice sera un exemple pour le monde.

Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
(l’express-dimanche, 11 mars 2012)


Ses dates :

1960. Naissance à La Roche-sur-Yon (France)
1982-96. Carrière d’offi cier dans l’armée de terre
1997-1999. Ecole nationale d’administration (ENA)
2004-2007. Travaille à la Fondation Nicolas Hulot
2007-2010. Conseiller du ministre d’Etat Jean-Louis Borloo
2007. Coorganisateur du Grenelle de l’environnement
2011-2012. Conseiller pour MID auprès du PMO