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Guillaume Hugnin : «Il faut des mesures fiscales pour lutter contre l’inflation»

13 avril 2011, 17:56

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? «Beachcomber» vient de refaire une sortie sur le niveau élevé de la roupie. Partagez-vous les inquiétudes du groupe hôtelier ?

Il faut souligner que la Mauritius Export Association (MEXA) n’a cessé, depuis 2008, de faire part de ses inquiétudes sur la compétitivité de la roupie. Théoriquement, le niveau de la roupie reflète les fondamentaux économiques, soit la santé de notre économie.

A ce jour, tous les secteurs qui opèrent dans le marché d’exportations, et l’hôtellerie en fait partie, sont inquiets, principalement parce que le taux de la roupie ne reflète pas la réalité de la santé économique du pays. Le groupe hôtelier Beachcomber, qui opère dans le secteur fortement concurrentiel du tourisme haut de gamme, subit les fluctuations de la roupie. Il doit avoir une visibilité sur ses ventes à venir, c’est ce qui l’inquiète.

Ses revenus étant principalement en devises étrangères, il est évident que ceux-ci s’amélioreraient avec une roupie plus faible.

Effectivement, je suis inquiet des commentaires de ce groupe, l’un des fleurons de notre pays. Le secteur hôtelier fait face à plusieurs difficultés : les effets de la crise mondiale, mais également, et c’est cela le plus inquiétant, une surabondance de chambres à Maurice, une qualité des prestations qui dégringole, et des coûts d’opération qui ne cessent d’augmenter.

Le secteur hôtelier tire la sonnette d’alarme et aujourd’hui, ce secteur très important de notre économie s’est essoufflé. Il est à noter que des forces spéculatives dérèglent le marché de la monnaie. C’est à cela qu’il faut s’attaquer, de manière à avoir une roupie stable.

? La «Bank of Mauritius» prône un nouveau tour de vis monétaire. Qu’en pensez-vous ?
 
La Banque de Maurice, dans sa sagesse, souhaite freiner les forces inflationnistes c’est un de ses rôles. Ce qui importe, c’est de déterminer les causes réelles de l’inflation, et il ne semble pas établi que dans le contexte actuel, l’inflation soit due à un excès de liquidités dans le pays. Il me semble que nous ayons à faire face à du «cost push inflation» plutôt que «demand pull». Dans ce cas, je privilégierais des mesures fiscales. Que veut dire un nouveau tour de vis ? Il semble que les deux causes principales de l’inflation en ce moment soient le coût des matières premières importées qui flambe – cela cessera ou affectera tout le monde, pareillement, donc, il y aura un ajustement – et deuxièmement, des mesures fiscales qui ont généré une inflation.

Dans les deux cas, la politique monétaire aura de faibles effets, mais les conséquences pourraient être très mauvaises. A quoi aspirent tous les Mauriciens ? A une meilleure qualité de vie, et pour cela, il faut d’abord une croissance forte et soutenue. Nous sommes encore loin du compte. Il n’y a pas pire fléau pour une économie que le chômage il faut donc tout faire pour créer des emplois. Donc, il faut la croissance. Il faut aussi mieux gérer les finances publiques. Le gouverneur de la Banque centrale l’a déjà dit, et le bureau de l’audit ne cesse de le répéter – cela passe par des mesures fiscales.

? Quelle est la parité euro-roupie à partir de laquelle une activité exportatrice est viable ?

Ce n’est pas tellement le taux qui importe, mais la visibilité dans le moyen terme, et tel n’est pas le cas. Je souhaite une politique qui a des règles et des objectifs établis et prévisibles, afin d’éviter de créer des spéculations.

Pour se prévenir des spéculations, les producteurs augmentent leurs coûts cela ne bénéficie à personne. Un différentiel des taux entre ceux pratiqués à Maurice par rapport au reste du monde attire du «hot money», et cela crée une demande excessive de roupies. La roupie s’apprécie, mais cela ne reflète pas la réalité de la santé de notre économie.

Ces tendances spéculatives font que nos exportations sont donc moins rémunérées. Une offre commerciale à l’exportation prend en compte le revenu après change. Si entre le moment de la vente et la rentrée d’argent, la roupie s’est appréciée, l’exportateur aura moins de revenus en roupies.

? On demande désormais aux exportateurs de faire des gains de productivité. Sur quoi doivent-ils travailler ?

Chaque opérateur travaille sans cesse sur des gains de productivité et à Maurice, il devient maintenant très difficile d’améliorer la production pour les produits basiques. Du côté de l’offre, nous devons travailler vers une plus forte valeur ajoutée de nos produits.

Pour y arriver, il faut soutenir une formation qui améliore sans cesse la créativité. Devenir plus productif implique obtenir un revenu supplémentaire pour le même effort. Du côté de la production, les employés doivent accepter plus de responsabilités, se rapprocher du «zéro défaut», avec moins de cadres intermédiaires. Cela implique une baisse de coût pour un même produit. Il ne faut pas non plus écarter le fait que les gains en productivité doivent prendre en compte le coût réel de l’employé et son rendement au travail l’un des facteurs les plus pénalisants en ce moment, c’est la perte de temps due aux aléas du transport routier. Pas seulement le coût des effets secondaires, comme le stress, qui nuisent à la productivité des employés. Il y a non seulement la performance sur le lieu de travail, mais également la vie familiale et sociale qui est grandement perturbée.

? Les exportateurs locaux restent très dépendants du marché européen. La recherche de nouveaux marchés, notamment en Asie, est-elle la panacée ?

Le marché européen demeure le plus rémunérateur pour tous les producteurs de la planète. Tout le monde souhaite exporter vers l’Europe, et les Mauriciens auraient bien tort de ne pas continuer à s’y intéresser, d’autant plus que nous avons acquis beaucoup de connaissance. L’Europe souhaite sans cesse agrandir ses sources d’approvisionnement en signant des accords avec des pays tiers elle cherche donc toujours des approvisionnements.

Maurice doit par ailleurs diversifier son offre vers l’Europe, car aujourd’hui, la gamme de produits exportée est restreinte.

Il y a certainement des opportunités à saisir avec d’autres produits des chaussures ou des bijoux, par exemple. Cela dit, le textile mauricien a fait de gros progrès aux USA et en Afrique du Sud. Il y a certainement des niches à prendre en Asie, mais cela semble très difficile car elle fabrique des produits similaires à l’offre mauricienne et à meilleur marché. Je pense que les nouveaux marchés se trouvent à l’Ouest des marchés que l’on pourrait conquérir d’abord en offrant des produits que nous ne faisons pas traditionnellement, mais également en se tournant vers certains marchés africains et possiblement sud-américains, ces derniers étant dans une zone de forte croissance.

? En matière d’infrastructures, quels sont les progrès à réaliser ?

Notre infrastructure souffre en ce moment. Il y a beaucoup de problèmes au niveau du transport routier, ce qui affecte tout le monde. Vous me parliez du tourisme au début les difficultés logistiques affectent lourdement ce secteur, avec des coûts qui montent, mais surtout des délais en transit routier désagréables, sans compter que les bordures de nos routes «cartes postales» sont détruites.

Nous souhaitons être une destination haut de gamme. Pour cela, le pays – et pas seulement au niveau de quelques hôtels – doit être un bijou. Il n’y a pas assez d’eau disponible pour subvenir aux besoins de la population et le réseau électrique approche aussi ses limites.

Il faut donc à tout prix rattraper le retard dans ces secteurs. Il faut en même temps inciter les Mauriciens à changer leurs habitudes.

Par exemple, on ne peut continuer à construire des routes qui ne sont utilisées qu’aux heures de pointe. Certains utilisateurs doivent décaler leurs horaires. Il faut également un transport public agréable et qui répond aux attentes de la nouvelle île Maurice, pas seulement pour le «commuter trafic» vers et à partir de Port-Louis, mais également au niveau du transport scolaire qui est la cause de beaucoup d’embouteillages dans toutes les régions. De même, pour l’eau, il faut inciter à l’économiser et à la recycler. Le challenge est de continuer dans la voie du «welfare state» tout en gérant mieux les finances publiques. Il faut faire plus avec moins, sans accroître les taxes.

Propos recuellis par Pierrick Pédel

Pierrick Pdel