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Guy Hugnin : «Notre destination passe inaperçue»

8 août 2011, 12:03

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Guy Hugnin, ancien président de la MTPA, est un professionnel du tourisme depuis 1955. Il est actuellement président de «Sky Flyers».

? La recette «sea, sun and sand» c’est terminé ?

Je ne crois que pas que ce soit terminé. Les donnes ont changé et il faut réaligner, je pense, les campagnes de publicité et de promotion en mettant les bouchées doubles. La concurrence n’est pas qu’au niveau des îles de la région mais en Europe aussi, qui reste notre principal marché. Des destinations comme la Roumanie, l’Albanie, la Croatie, la Hongrie, en plus des traditionnelles Italie, Espagne et Portugal, constituent aussi une concurrence. Or, ces destinations sont plus proches et plus agressives en matière de promotion. Il y a aussi les croisières qui attirent des touristes qui auraient pu venir à Maurice. Je persiste à croire que les grandes campagnes de promotion sur les quatre principaux marchés, la France, la Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, porteront leur fruit. En plus c’est là qu’Air Mauritius se pose.


? D’un côté les hôteliers demandent un accès aérien élargi et de l’autre «Air Mauritius» dit jouer le jeu en mettant autant de sièges que possible. C’est un dialogue de sourds ?

Air Mauritius a joué un rôle extraordinaire dans le développement du tourisme et du pays en général. J’en suis d’ailleurs un petit actionnaire parce que je crois dans cette compagnie. Je ne peux me permettre de juger si c’est un dialogue de sourd entre hôteliers et le transporteur national. Le moment est venu, s’il y a des transporteurs de renom qui veulent desservir Maurice, de les y autoriser ou plutôt de les y inviter. Il n’y a qu’à voir l’apport d’Emirates qui draine des visiteurs de pays très différents. Rappelons-nous tout de même qu’Air Mauritius a rouvert des lignes qui ont été abandonnées par Qantas, Cathay Pacific, Lufthansa et Kenya Airways. Quant aux hôteliers, n’oublions pas qu’ils participent grandement à la renommée et à l’image du pays.

? Il y a néanmoins un problème...

En mai et juin je suis allé en Europe, soit deux allers-retours ou quatre vols. Chacun de ces vols était complet. Ce que j’ai constaté, en regardant les voyageurs, c’était beaucoup de passager en short et basket. Vont-ils dans les hôtels quatre ou cinq étoiles ou dans les logements informels ? La question est, je crois, celle-là. Près de la moitié de nos visiteurs ne va pas dans les hôtels, encore moins de luxe.

? Faut-il donc revoir notre stratégie et viser des segments moins haut de gamme ?

Non, descendre d’un cran n’est pas la solution. On doit préserver l’image d’une destination chic. C’est ce qui attire même ceux qui ne logent pas dans les hôtels de luxe. C’est plus durable pour l’industrie de rester sur le haut-de-gamme. D’ailleurs, je crois plutôt qu’il faut s’intéresser plus aux activités informelles pour préserver la qualité à tous les niveaux et soutenir les petits opérateurs du secteur pour les aider à améliorer leurs services.

? La promotion de Maurice à l’étranger est-elle bonne ?

Que je sache, les grands groupes disposent de budget marketing et publicitaire conséquents. Ils font de gros efforts pour remplir leurs hôtels. Mais comme une bonne part des touristes ne descend pas dans les grands hôtels, c’est aux autorités de travailler l’image du pays, qui doit être une image de marque. On devrait remettre une bonne antenne de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) à Paris et être plus visible dans les petits salons de province. C’est notre principal marché et n’être présent que dans les grands salons ce n’est pas suffisant.

? Le produit à vendre ce serait le pays plus que les services, dont l’hôtellerie ?

Vendre le pays, oui, c’est ce qu’il faut. Mais posons-nous la question : est-ce que le secteur touristique informel, notamment les locations, emploie beaucoup ? Combien est-ce que ce marché rapporte ? Les hôtels de prestige donnent une image à laquelle le pays lui-même doit correspondre un tant soit peu. Or, quand on voit l’état des villes ou le laisser-aller de Grand-Baie, qui est la plus connue de nos stations balnéaires, on est loin du compte. C’est l’image carte postale qui en prend un coup. Je crois toujours que l’objectif de Maurice, de tous les acteurs du tourisme, est de vendre du rêve. Un rêve de qualité.

? «Mauritius, c’est un plaisir», c’était la bonne formule pour le vendre ce rêve ?

On a dépensé une fortune pour ce branding. On ne le voit pas beaucoup que ce soit à Maurice ou à l’étranger. Du coup, notre destination passe inaperçue notamment dans les capitales européennes. L’Inde avec son «Incredible India» accompagnée de belles campagnes publicitaires ou la Croatie qui parie sur son lien intime avec la Méditerranée, c’est vendeur et vendu. Je ne vois pas de telles campagnes, aussi attirantes, pour Maurice.

? On compte plus de 12 000 chambres et on devrait dépasser les 14 000 en 2013. Parallèlement, l’offre non-hôtelière augmente. L’offre n’est-elle pas trop forte par rapport à une demande plus molle qu’avant ?

Le nombre de chambre a grimpé de 10 % et les arrivées touristiques de 5 %. Il y a un bien un décalage. Si on ajoute à notre capacité d’accueil les guest houses et bungalow, au nombre de 4 000 disposant en moyenne de deux à trois chambres, soit 8 000 à 12 000 chambres supplémentaires, ce sont plus de 20 000 chambres dont nous disposons. Ces chiffres sont conséquents. L’offre est peut-être trop importante par rapport au marché existant.

? Et pourtant, on imaginait accueillir 2 millions de touristes en 2015 soit deux fois plus que les prévisions de cette année (NdlR, 980,000 visiteurs attendus en 2011)...

Aux assises du tourisme en 2006, il y a eu ce message qui a causé de la confusion. A l’annonce d’une prévision de 2 millions de touristes en 2015, soit en l’espace de neuf ans alors qu’on recevait 700 000 touristes, on voyait dès le départ que c’était impossible compte tenu des infrastructures, de la pression sur l’eau etc. A mon sens, c’est un message pernicieux qu’on a passé. Cette projection a favorisé la construction d’hôtels additionnels. Je ne sais pas si c’était la meilleure chose à faire.

? Les cibles asiatiques, russes et moyen-orientales, attisent nos convoitises. La démarche est la bonne, non ?

Ce sont des marchés qui seront porteurs, c’est certain. Mais cela prendra du temps. Pour les touristes chinois, il faut ajuster notre offre. En termes de cuisine, il faut de la grande gastronomie chinoise. Il faut coller aux habitudes de ces marchés émergents et ce n’est pas facile. Quelles visites pour des touristes chinois ? Je pense, en fait, que le tourisme en provenance d’Inde se développera plus vite que celui en provenance de Chine. Quoi qu’il en soit, cette réorientation est bonne parce qu’elle est accompagnée d’une consolidation des marchés traditionnels sur lesquels on doit être plus visible.

? Maurice paradis du shopping, voire «Duty free island», c’est en mesure d’attirer les touristes des pays émergents ?

Les Shopping Malls qui se construisent peuvent éventuellement placer Maurice comme une destination de shopping. Mais avec la concurrence de Dubayy, de l’Europe pendant les soldes, de Singapour ou Hong Kong, quelles compétitivités ? Et si on veut se placer sur ce créneau, il faut communiquer dessus. On parle d’un concept alors que le message ne passe pas encore. Toutes les idées méritent qu’on s’y attarde puis que l’on communique dessus.

Propos recueillis par Gilles RIBOUET