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Inondations du 30 mars : les faits nouveaux révélés par l’express-dimanche
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Inondations du 30 mars : les faits nouveaux révélés par l’express-dimanche
L’hebdomadaire a publié, durant le week-end, une enquête sur ce qui a pu déclencher ces inondations meurtrières à Port-Louis. Et il en ressort que les travaux de la troisième voie de l’autoroute ne sont pas la vraie explication. Voici la version intégrale des faits avancés par l’express-dimanche…
Imaginons qu’un sondage demande aux Mauriciens ce qui, selon eux, a provoqué les inondations meurtrières du 30 mars. Ils répondraient probablement à plus de 75 % que ce sont les travaux du pont de la troisième voie de l’autoroute, en construction au moment de la catastrophe. Qu’est ce qui mène à cette conclusion ? C’est sans doute la perception créée par des photos initialement publiées par deux journaux puis largement reproduites par le reste de la presse, y compris par l’express (pas plus tard que dimanche dernier). Ces clichés montrent, semble-t-il, des encombrements dans le lit du canal du Pouce au niveau du pont. Ceux-ci auraient bloqué les flots déchaînés cet après-midi-là, causant le refoulement des eaux qui ont rempli la «baignoire» de la place d’Armes, avant de tuer dans des parkings souterrains et dans le «tunnel de la mort».
L’impression de départ a été renforcée rapidement quand l’inspecteur Tuyau, de la police du port, a rédigé un rapport après avoir interrogé «under warning» des responsables du chantier. Ce rapport court - donc forcément partiel - des événements, s’est vite retrouvé aux mains de l’opposition avant d’être utilisé au Parlement. Le point de vue d’Hector Tuyau, peut-être de bonne foi mais occultant la «bigger picture», a alimenté les journalistes et l’inspecteur a bénéficié de leur sympathie parce qu’il était perçu comme une «victime» de plus d’un système bancal qui semble vouloir faire taire ceux qui parlent «vrai».
Dans tout cela, General Construction, maître d’œuvre du pont au moment des faits, a été, à n’en point douter, coupable ! Pas de ce que l’on croit, mais plutôt d’avoir été tétanisée dans son bon droit en voulant respecter les protocoles, la loi, le libre arbitre des enquêteurs, au point que les faits disculpant la compagnie ne sont jamais remontés à la surface autrement qu’à travers deux communiqués laconiques (en date du 5 avril et 12 avril), dans lesquels l’entreprise de construction disait qu’elle n’était «en aucune façon» responsable. L’express révèle aujourd’hui pourquoi General Construction s’est permis cette affirmation. Nous avons pris connaissance d’un vaste dossier d’experts, constitué d’analyses, de vidéos, de simulations, de mesures de niveau d’une bonne partie du bassin port-louisien, de photos, de faits hydrauliques indéniables et de témoignages qui confirment que le problème est complexe et que le coupable est ailleurs. Nous nous focaliserons sur l’essentiel en nous réservant la possibilité de revenir à la charge subséquemment. Le but du jour est d’éclairer le plus simplement possible. L’opinion publique condamne, depuis le 31 mars, à partir des faits non réfutés qui lui ont été présentés. Cependant, les journalistes ne relaient depuis cette datelà qu’une seule version des faits parce que c’est la seule qui lui ait été communiquée ! Les coupables de n’avoir pas rendu publics les faits réels, ce sont d’une part General Construction, et de l’autre les autorités, qui prennent leur temps pour exposer les causes des inondations. L’express tente aujourd’hui d’aider à mieux cerner la vérité.
FAIT N°1 - L’ENTONNOIR INVERSÉ
Si le volume d’eau qui alimente une baignoire est plus important que celui qui en sort, la baignoire, évidemment, se remplit. C’est la réalité qui est observée sur le front de mer de Port-Louis. Autre règle élémentaire de physique : la quantité d’eau qui sort d’un tuyau ne peut pas être supérieure à celle qui y entre. Le problème du pont de la troisième voie peut aussi se résumer à cette analyse : au niveau des ponts en amont, le passage disponible sous la rue John Kennedy est de 2 m² dans le canal de La Poudrière et de 11 m2 dans le ruisseau du Pouce, pour un total de 13 m² d’ouverture. Les eaux qui en sortent convergent et sont canalisées sous le pont en construction qui a une ouverture de 36 m². Pour le chantier du pont, General Construction suit un protocole, approuvé quotidiennement par la RDA, qui limite la quantité d’équipements et de matériaux dans le lit du canal du Pouce. Le 30 mars, il y avait un batardeau faisant 7 m² (en section verticale) dans le lit du canal, permettant de travailler le «piling» (une colonne) à sec.
Ce dispositif est indispensable pour construire le pont et en cas de pluies exceptionnelles, il n’est pas possible de l’enlever sans un préavis de plusieurs heures. La sortie du pont construit pour la troisième voie, seule responsabilité de General Construction, était donc ce jour-là de 29 m², soit plus de deux fois la superficie de l’ouverture des ponts en amont. Il semble clair qu’à pleine capacité, le pont controversé ne peut pas décharger plus d’eau qu’il en reçoit ! De plus, fait indéniable au vu des documents vidéo, à aucun moment lors de cette journée, l’eau ne déborde au-dessus du pont, ce qui aurait dû être le cas si le pont avait été bloqué comme les ponts en amont (voir fait n°3 plus loin). Aucune trace de boue n’était d’ailleurs visible sur le pont le lendemain (contrairement à la place d’Armes), ce qui aurait été le cas si l’eau, refoulée, était passée au-dessus.
FAIT N° 2-UNE PLUIE D’EXCEPTION
La pluie qui s’abat sur la capitale ce 30 mars est exceptionnelle. Selon les relevés de la météo, il en tombe 136 mm dans les 120 minutes entre 13 heures et 15 heures. C’est presque un ballon d’eau qui crève au dessus de Port-Louis. Un tel déluge n’arrive qu’une fois tous les 100 ans, selon les relevés historiques de la météo. Dans ces circonstances, le temps imparti aux drains pour évacuer et au sol pour absorber, est évidemment réduit par rapport à des circonstances plus normales. Le filet d’eau photographié à 13h03 ce jour là, «preuve» apparemment accablante que le pont est bloqué, montre simplement que la pluie qui est tombée avant ce moment-là (seulement 0.8mm entre 12:00 et 13:00) est absorbée et ne court pas encore dans les drains …. Il faut environ 32 minutes à une eau qui court pour descendre du haut du Pouce jusqu’au Caudan. La vallée qui est desservie par le ruisseau du Pouce et le canal La Poudrière a un «catchment area» de 6,1 km2 environ et elle récolte donc, ce 30 mars, environ 1 million de m3 d’eau. Selon les estimations, 40% de ce volume est absorbé d’une manière ou d’une autre, ce qui laisse approximativement 600 000 m3 qui «courent» au coeur de la vallée, là où se trouvent les drains. Cela équivaut à environ 85 m3 d’eau chaque seconde ! C’est un volume d’eau exceptionnel qui, selon le dispositif en place, doit être canalisé par deux canaux imaginés et construits il y a déjà plus de 100 ans et qui ne sont clairement plus suffisants.
FAIT N° 3-LES PONTS GARROTTÉS
Il y a dix ponts qui enjambent le ruisseau du Pouce. Ils commencent avec le pont de Gayasingh Street, où le ruisseau avait une section d’origine de 29 m². De manière irresponsable, il ne reste que 16,1 m² de cet espace pour laisser passer l’eau. La différence a été bouchée par la main de l’homme, notamment par le pilier central et les deux poutres en arche du pont. Ce qui réduit de 44,5 %, en ce jour fatidique, la capacité du ruisseau du Pouce à faire son travail au niveau du pont Gayasingh. Cette réduction de la capacité de drainer l’eau, c’est le cas à divers degrés pour chacun des dix ponts qui jalonnent le ruisseau du Pouce sur 1,2 km. Le pourcentage de restriction artificielle décidé par les autorités à divers moments varie de 15,1% (à Desroches St) a 47,2% (à AL Osman St). La plus faible capacité disponible sur ce canal, sous les ponts, se trouve à la rue Lavoquer où la section est réduite à 7 m² seulement.
C’est le goulot d’étranglement ultime, mais sur toute la ligne, les calculs, les vidéos et les photos vues par l’express montrent que les ponts, face à cette pluie exceptionnelle, obstruent en partie l’eau de pluie et la font déborder massivement dans les rues avoisinantes. C’est donc le réseau routier de la capitale qui canalise une bonne partie de l’eau qui, comme toute eau, «cherche son chemin» jusqu’au point le plus bas. Outre le ruisseau du Pouce et le canal de la Poudrière qui sont, au moment des faits, complètement remplis et travaillent à leur capacité maximale, le point le plus bas de Port-Louis, c’est, pour tout le reste de l’inondation, avant la mer, la place d’Armes ! On y trouve notamment les deux tunnels piétonniers passant sous l’autoroute qui traverse Port-Louis.
FAIT N° 4-LA BAIGNOIRE QU’EST LA PLACE D’ARMES
La place d’Armes de Port-Louis était, avant la période française, une espèce d’embouchure qui, avec la Chaussée, a été comblée depuis. En 1998, des travaux entrepris par la State Property Development Co Ltd produisent le Port-Louis Waterfront et rehaussent le front de mer (l’Esplanade) à un niveau de 1,40 m au-dessus de la marée haute, sans doute pour protéger la place d’Armes contre de fortes houles. Ce faisant, on a créé une baignoire. Qui plus est, celle-ci draine l’eau très mal et certainement pas à la cadence à laquelle elle est alimentée, en ce 30 mars, par l’eau refoulée en amont. La baignoire de l’Esplanade gonfle à une vitesse stupéfiante, non pas avec l’eau obstruée par la construction de la troisième voie, mais par l’eau qui arrive par les routes, elles-mêmes alimentées par des canaux qui débordent et des ponts qui font en partie obstruction. Et tout cela sans même parler des détritus apportés par la pollution humaine (matelas, feuilles de tôle, arbres coupés qui aident à freiner et dévier l’eau) qui bloquent aussi l’écoulement normal de l’eau dans le ruisseau du Pouce. En outre, la rue John-Kennedy elle-même fait barrage aujourd’hui avec divers immeubles qui empêchent l’eau de trouver sa voie directement vers la mer, déviant une large partie de celle-ci vers l’Esplanade où au travers de l’espace relatif qui existe entre Rogers House et le Harbour Front. Et qui est venue, sans doute, s’ajouter aux volumes d’eau débordant du canal de la Poudrière, obstrué à 76 %. Ce 30 mars, le temps passe et la baignoire se remplit. Jusqu’à 14h55 quand, ayant atteint le niveau de 1,4 m au-dessus du niveau de la mer (la marée haute ce jour là est à 15h13), l’Esplanade commence enfin à déborder de manière efficace vers la mer. Le haut des marches menant au tunnel « de la mort » est à 1,24 m, soit quelque 160 millimètres plus bas que le niveau du quai de l’esplanade du Port- Louis Waterfront. Le haut du pont de la troisième voie se trouve à 1,70 m et son épaisseur est de 1 m. Il est estimé que le tunnel de la mort se remplit d’eau vers 14h45. Deux marches de plus de 20 centimètres et ceux qui s’y trouvaient seraient demeurés …au sec ! Le pire, c’est que si une pluie semblable se reproduisait aujourd’hui, elle produirait les mêmes résultats, même si la troisième voie a été complétée depuis, les mêmes causes ayant les mêmes effets !
CONCLUSION
C’est donc l’histoire de la folie humaine. Folie d’avoir utilisé les drains pour autre chose que ce à quoi ils étaient destinés à l’origine et folie d’avoir réduit la capacité de canalisation sous les ponts : rampes immenses pour l’accès des camions de nettoyage, colonnes pour ponts et parties couvertes, tuyaux divers, etc. Il faut savoir que les canalisations qui fournissent l’eau, le sewerage, passent toutes sous ces ponts contribuant directement à réduire la capacité d’évacuer l’eau. Ces «tuyaux» sont évidemment plus importants dans les zones où il y a des développements conséquents, par exemple dans la zone près du front de mer où les buildings de dix étages et plus ou les développements style Caudan, Port Louis Waterfront et Harbour Front sont nombreux. Folie aussi de pollution humaine qui n’aide pas. Folie d’une esplanade qui n’évacue pas et qui devient une baignoire éventuellement mortelle pour des citoyens qui s’y trouvent déraisonnablement ou parce qu’on ne les prévient pas (le gardiennage abdiquant ses responsabilités ce jour-là. Impunément ?). Folie d’un rapport un peu trop rapide et certainement pas compréhensif de l’inspecteur Tuyau. Folie d’une compagnie, General Construction, qui pointée du doigt dès le départ et tétanisée, sans doute par ses hommes de loi, Par respect des procédures tant légales qu’institutionnelles, et handicapée par son absence d’expérience à gérer une crise de relations publiques, ne communique pas du tout et laisse la perception être composée par des tiers au tribunal de l’opinion publique. Folie de n’avoir pas prévu des canaux additionnels pour compenser les ponts garrottés et les capacités réduites d’absorption de la pluie qui tombe (l’effet béton/goudron). Folie de construire une esplanade plus haut que la bouche du tunnel ou de l’entrée de certains parkings en sous-sols, sans en tirer les conséquences. Folie… Folie quand tu nous tiens…. Et ce n’est peut-être pas fini !
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