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Interview de Joël de Rosnay, conseiller spécial du Premier ministre

7 décembre 2009, 20:11

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Vous attendez-vous à des engagements fermes de la part des gros pollueurs à l’issue de la conférence?

On peut tenter de résumer quels pourraient être les grands objectifs permettant de faire du sommet de Copenhague une réussite en attendant la prochaine réunion en 2020 : favoriser une gouvernance mondiale pour inciter les différents pays à se coordonner et à partager les technologies pour sauver la planète mettre en place un réseau de surveillance et d’évaluation des différents types de pollutions pour chaque pays, en utilisant par exemple des réseaux de satellites,, réduire globalement les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 pour correspondre aux indications du GIEC et créer un système mondial de « droits à polluer » négociables sur un marché ouvert. Il sera nécessaire pour cela de définir un prix unique à l’échelle mondiale, ce qui diminuerait le coût global de réduction des émissions et permettrait d’accéder à des données chiffrées et à long terme pour inciter les entreprises à investir dans des technologies vertes.

Ces champs d’intervention nous concernent tous. A Maurice comme dans le monde entier. Le Sommet de Copenhague va le souligner : tous les pays, les peuples, les métiers, les générations, les responsabilités civiles, politiques, non-gouvernementale sou du monde des affaires, doivent s’impliquer…

Quand il s’agit de préserver notre planète, notre pays et l’avenir de nos enfants, les frontières doivent tomber…

 Le changement climatique est déjà bien enclenché. Copenhague ne serait-elle pas la tisane après la mort?

C’est le problème de tous les pays face aux enjeux du développement durable : Chaque pays considère d’abord son propre intérêt par rapport au problème global de la planète. Face à son opinion publique, chaque pays doit justifier qu’il supporte la totalité des coûts de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, alors qu’en fait, il ne récupère qu’une fraction limitée des résultats obtenus à l’échelle globale.

On sait que les émissions de GES de Maurice sont négligeables. Mais il aspire tout de même à s’engager sur la voie du développement durable. Pourquoi?

Le concept d’île durable n’est pas une fantaisie écologique. Il recoupe l’ensemble des défi s auxquels le pays doit faire face. L’énergie, la gestion de l’espace et des déchets, la préservation de l’environnement et la généralisation d’une conscience écologique et durable dans les différents secteurs économiques sont interdépendants. Ce sont aussi les défis du monde. Or Maurice peut servir de modèle à Copenhague.

Dans ce passage à l’ère de l’écocitoyenneté pouvant s’exprimer pleinement dans le projet de Maurice île durable (MID), nous avons tous un rôle à jouer pour le bien de nos enfants. Leur avenir en dépend… Mais des efforts sont à faire pour que le pays soit crédible à l’échelle internationale dans sa proposition de « durabilité ». Notamment lorsque sont prévus, ou à l’étude, des centrales à charbon ou au fuel lourd polluantes ou des incinérateurs dont l’intérêt réel pour la population mauricienne, tant au plan économique qu’au plan sanitaire, reste à démontrer. Les capacités existent. Les professionnels du tourisme notamment, sont conscients de l’enjeu dans la mesure où le secteur dépend aussi de la qualité de l’environnement. L’industrie cannière qui se constitue l’est également car elle peut être une force de propositions en termes d’énergies renouvelables.

 Un des problèmes majeurs de MID, c’est qu’on ne sait toujours pas ce que le projet implique concrètement?

Le premier objectif du projet MID est de devenir une île qui exploite durablement ses richesses d’énergies renouvelables. Transformées en mixénergétique, ces sources écologiquement acceptables peuvent faire de l’île Maurice un exemple pour le monde en représentant 65 % de ses besoins énergétiques dès 2028. Toutes les facettes du développement durable en général et tous les champs d’intervention en matière d’environnement sont concernés par le projet MID: gestion intelligente des déchets, de l’énergie et de l’eau, des terres agricoles et des ressources de pêche, préservation de la biodiversité, immobilier « vert », tourisme et textile écologique, réduction du gaspillage et de la pollution, recyclage et revalorisation, commerce équitable et agriculture biologique, développement de l’offre de produits moins nuisibles pour l’environnement et la santé, formation, sensibilisation de la population, recherches, etc.

La reconversion est possible mais elle n’est pas aisée. Une île durable coûte cher si l’on se borne à une vision à court terme. Une île durable n’est économiquement viable que si l’on pense à long terme.

La durabilité est une notion que l’on retrouve dans tous les domaines. Pour autant, elle n’est pas encore intégrée. C’est à ce titre que les politiques, les acteurs de la société civile – mais aussi chaque citoyen– peuvent être porteurs de ce projet audacieux.

Maurice devra témoigner à Copenhague de cette attitude positive et solidaire, fortement motivante pour l’avenir de la Planète.

Où en est le projet exactement?

Le gouvernement a débloqué des fonds pour le projet MID, subventionné l’achat de plus de 25 000 chauffe-eau solaires, participé au programme des ampoules économiques du CEB, lancé les premières étapes du projet de ferme éolienne à Bigara, reconnu le principe des SIPP (Small Independent Power Producers) et la nécessité de développer un système énergétique intégré basé sur ce mix évoqué plus haut. Cependant, beaucoup reste encore à faire. Du côté du secteur privé, on constate également pour certaines d’entre elles une prise de conscience et des initiatives qui rendent optimiste même si elles ne sont pas encore suffisantes.

Le concept de développement durable et de la protection de l’Environnement se propage peu à peu dans les entreprises mauriciennes, notamment à travers la Corporate Social Responsibility (CSR). Une fois lancé, ce phénomène doit prendre de l’ampleur et gagner l’ensemble des acteurs de la société. À ce stade, la collaboration entre les responsables du CSR dans les différentes entreprises est primordiale. Le temps n’est pas à celui qui fait le mieux, mais au dépassement des frontières de la concurrence par le partage de connaissances, de meilleures pratiques et d’expériences car, pour sauver notre planète, il faut faire vite... Le temps n’est pas non plus à restreindre le projet de Maurice île

Durable à la frontière de la question énergétique ou à la seule responsabilité d’un acteur de la société en particulier. Arrêtons de penser en termes de filières et du « chacun pour soi ».

Et quid de l’après-Copenhague?

Pour remédier aux problèmes posés et qui seront abondamment discutés à Copenhague, il existe de nombreux mécanismes prévus à l’échelle internationale telle que les marchés des droits à polluer ou des taxations pour lutter contre le réchauffement climatique. Le protocole de Kyoto n’ayant pas permis d’aboutir aux résultats recherchés dans les délais requis, il est clair que le sommet de Copenhague va jouer un rôle déterminant dans l’avenir de la lutte contre le changement climatique. Mais les objectifs de certains pays sont modestes. Les Américains, notamment, prévoient pour 2020 des émissions de gaz à effet de serre inférieures de seulement 7 % à celles de 1990.

L’expérience internationale montre qu’une taxation trop élevée peut avoir des effets pervers en conduisant certains pays à délocaliser leur production là où elles pourront continuer à polluer l’environnement, mais à un coût beaucoup plus bas que chez eux. Les marchés des droits à polluer existent déjà en Europe, aux États-Unis au Japon.

Même s’ils émettent moins de GES que leurs voisins du Nord, les pays en développement ressentent plus les effets du changement climatique. Quel devrait être leur rôle à Copenhague ?

Les pays en développement sont également en train de prendre un certain nombre de mesures de ce type. Les contrôles vont s’intensifier avec la pression des opinions publiques sur les émissions polluantes des centrales à charbon, par exemple, qui en sus du CO2 produisent du SO2 dont l’effet se fait sentir sur l’environnement immédiat.

Ces différents éléments conduisent à penser que les mesures prises à Copenhague seront très probablement à la fois insuffisantes et coûteuses en raison des règlementations et des contrôles.

Pour les ménages, on peut choisir de faire appliquer la « taxe carbone ». À condition évidemment de respecter les inégalités liées aux transports entre banlieue et centres villes où se rendent chaque jour des millions de travailleurs, obligés de prendre leur automobile.


 

Nicholas RAINER