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Ivan Collendavelloo : «Je prône une liste choisie par le peuple»
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Ivan Collendavelloo : «Je prône une liste choisie par le peuple»
La grande faiblesse du livre blanc sur la réforme électorale, selon celui qui a présidé le premier «Select Committee» sur la question, est que la liste des candidats que soumettra chaque parti sera composée de perdants, c’est-à-dire des personnes que l’électorat aura rejetées. Il craint, en outre, que Maurice prenne trop de risques en essayant une formule qui n’est appliquée aucune part dans le monde.
■ Que pensez-vous du livre blanc sur la réforme électorale ?
Comme je l’ai dit le soir de la conférence de presse du Premier ministre (PM), c’est certes un grand pas en avant, car cela fait 34 ans que le MMM réclame une réforme électorale. Aujourd’hui, on évoque un projet de loi sur la question. Toutefois, le livre blanc contient un gros piège, notamment la formule adoptée pour allouer les sièges additionnels. Le gouvernement propose ce que Rama Sithanen a appelé le Unreturned Votes Elected (UVE) qui est une formule de calcul qui se base sur le nombre de votes recueillis par les candidats perdants.
■ Quel est le problème de cette formule ?
Cette formule a deux problèmes. Le premier, c’est qu’on va envoyer au Parlement des candidats qui n’ont pas reçu le support électoral. Le second, c’est que, comme le PM l’a dit lui-même, c’est une innovative formula. Il n’y a aucun pays au monde qui a adopté ce système. Il n’existe que dans l’imaginaire de Rama Sithanen. Je pense que ce n’est pas le moment de faire de Maurice une expérience de laboratoire. Je prône, moi, un système qui existe, qui a fait ses preuves et qui a même été défendu par Sithanen, c’est à-dire la formule préconisée par Albie Sachs, ce que dans le Livre blanc on appelle la formule C.
En d’autres termes, la liste des candidats de Proportional Representation (PR) sera une liste choisie par le peuple et non pas une liste rejetée par l’électorat. C’est la grande faille du livre blanc et il faut stopper ça immédiatement. Concernant les autres points, on peut toujours discuter.
Quand je dis que le MMM est le premier parti à avoir discuté de la réforme électorale dès 1980, je rappelle que le MMM, lui-même, est venu avec des propositions qui ont évolué dans le temps.
■ Peut-on corriger tous les déséquilibres (ethniques, genre, parti) résultant du scrutin Firstpast- the-post (FPTP) avec seulement 16 députés correctifs ?
Je note que le PM n’est pas bloqué sur cette question. Seize députés n’assurent ni la stabilité ni le rééquilibrage. Sachs en a proposé 30. Le Select Committee, que je présidais, avait également mentionné 30. Puis, le MMM a parlé de 28. D’autres ont parlé de 20, et maintenant
on parle de 16. C’est presque un numéro de ticket de Loto. Je pense que 20, c’est le seuil minimum. Cela permettra d’avoir un Parlement qui soit un véritable reflet de la société mauricienne. S’il y a très peu de femmes élues au FPTP, le nombre sera considérablement augmenté.
■ Le communalisme institutionnalisé pourrait diminuer avec l’intégration du Best Loser System (BLS). Mais peut-on changer la mentalité des gens d’un trait de plume ?
Je crois que oui. C’est le communalisme institutionnalisé qui mène certaines personnes à calculer le nombre de postes, le nombre de lauréats, le nombre de criminels et même le nombre de sportifs.
Le communalisme constitutionnel a émergé en 1956 pour des raisons qu’il n’est pas utile d’évoquer. Ensuite, c’est devenu le cheval de bataille des grands partis. Mais vous aurez remarqué que même les voix ultra-conservatrices ont mis un bémol à leur opinion. C’est signe que la mentalité mauricienne a changé sans avoir besoin d’un trait de plume.
■ C’est quand même un peu optimiste…
Oui, c’est de l’optimisme. J’ai confiance en notre jeunesse même si parfois, comme à l’université de Maurice, elle peut nous décevoir amèrement. Il n’y a aucun mal à être optimiste ou même être utopique.
■ Dans le système politique actuel, les fidèles du leader sont récompensés alors que ceux ayant une opinion différente sont marginalisés. N’y a-t-il pas un risque de perpétuer le système actuel ?
Dans tous les pays du monde, démocratie ou pas, le leader, militaire ou élu, a une empreinte sur la liste des candidats. Le MMM a des instances démocratiques et le comité central suggère une liste qui est approuvée par l’ensemble des délégués du parti. C’est un moment démocratique qui bien souvent crée des soubresauts à l’intérieur même du parti. Bien évidemment, les décisions s’inspirent de la direction qui forme le bureau politique du MMM. Quant aux autres partis, il ne m’appartient pas de critiquer ou de commenter.
■ Est-il conforme aux normes démocratiques de demander aux leaders des partis de désigner eux-mêmes, sans critère prédéfini, une partie des députés de PR ?
À moins de demander à des instances non définies de le faire, il faut s’en remettre au leader. Mais il appartient à chaque parti de définir, à l’intérieur de ses instances, les modalités qui seront acceptées. Je vous rappelle que notre Constitution prévoit déjà un rôle pour les leaders des partis politiques.
■ Peut-on changer les règles du jeu électoral à un an des élections ?
À un an, oui. Mais on ne change pas les règles du jeu. Le jeu reste exactement le même. La seule chose qui change, c’est la méthode qu’on adopte pour sélectionner les députés additionnels. Le PM propose ce système fantaisiste qu’il a appelé le «wasted votes». Une aile du Select Committee que je présidais avait préconisé la parallel formula alors que la méthode établie, je le répète, est une formule qui vient compenser les inégalités démocratiques issues du scrutin FPTP sans entamer la stabilité du gouvernement issu des urnes.
■ Donc, en fait, il existe un «balancing act» ?
Non, il n’existe pas de balancing act. Ce que Sachs et le Select Committee ont préconisé, c’est l’introduction d’une liste communiquée à l’avance qui ne serait pas en ordre alphabétique mais qui serait une liste compilée par chaque parti, laissant à chaque électeur le choix de voter pour le parti qu’il préfère. Ce sont ces votes qui seront comptabilisés afin de déterminer quel parti est sousreprésenté au Parlement.
■ Le seuil de 10 % des votes nationaux implique la mort des petits partis. Est-ce désirable pour la démocratie qu’il n’y ait que deux gros partis politiques qui s’affrontent, tout en gardant en tête qu’il y a des risques de coalition entre eux ?
C’est une question très intéressante. Au MMM, nous avons déjà exprimé une ouverture sur la question et je note que le PM n’a pas une position figée. Attention, lorsque l’on parle de «petit parti», nous ne parlons pas de partis émergents. Nous parlons de partis bien établis mais qui, pour d’innombrables raisons, ne peuvent recueillir plus de 10 % lors d’une élection. Moi, je n’ai peur ni des petits partis ni des extrémistes. Si nous avons un seuil de 5 à 7 % avec 20 députés élus sur une liste de PR, cela assurera que les partis «petits» mais importants dans notre société, seront représentés. C’est vrai que cela ouvre la voie à une coalition postélectorale au lieu d’une alliance pré-électorale. Mais notre histoire politique est basée sur les alliances et même sur les coalitions.
■ Le PM a dit qu’il ne fait que des propositions sur lesquelles il y a déjà un «broad consensus». Quels sont les aspects controversables de la loi électorale qui ont été évités dans le livre blanc ?
En fait, je pense qu’il a tout couvert. J’ai un problème avec Navin Ramgoolam. C’est que je pense que la réforme électorale pour lui est plus une question de political leverage. Il s’en sert comme un joujou politique et là-dessus, il a un énorme fossé de crédibilité à traverser.
Sa perpétuelle histoire sur le temps de réflexion ne m’impressionne pas. C’est parce qu’il est acculé par les Nations unies qu’il vient avec ce Livre blanc in extremis. Il ne devrait pas perdre du temps. Il faut qu’on puisse aller aux élections avec un système réformé. Attention, la réforme n’est certes pas une révolution. Elle ne fait qu’ajouter 20 députés, ou 16, ou 30, lesquels députés, je le répète, seront élus et non pas perdants.
■ La population mauricienne est composée d’un peu plus de 50 % de femmes. Pourquoi garder le quota de représentation féminine à 30 % au lieu de l’augmenter à 50 % ?
La Southern African Development Community, recommande30 %. Soyons clairs.La politique est dominée parles hommes. Il faut redresserla balance et un des problèmesdu wasted votes system, c’estqu’il n’assure pas l’entréedes femmes au Parlement.La proposition qu’il y ait aumoins une femme sur trois surla liste est certainement unebonne chose.
■ Il y a également un projet pour décourager les transfuges éventuels. Quelle est votre opinion sur le sujet ?
C’est un problème impossible à résoudre. Estce que vous allez empêcher des scissions à l’intérieur des partis ? Est-ce que vous allez obliger des députés à voter contre leurs idées ? Mais pire, est-ce que nous allons discriminer entre ceux élus au FPTP et ceux désignés à partir de la liste du parti ? Moi, je ne crois pas vraiment à cette loi anti-transfuge. Nous savons que l’électorat a toujours sanctionné les transfuges. Laissons les électeurs exercer leur libre choix.
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