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Jacques de Navacelle : « La campagne électorale ne s’est pas faite sur la base de programmes »
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Jacques de Navacelle : « La campagne électorale ne s’est pas faite sur la base de programmes »
Chef d’entreprise et membre de l’Agora, Jacques de Navacelle fait un survol de l’actualité à Maurice.
¦ Une campagne électorale vient de prendre fin. Que vous inspire-t-elle ?
Je constate que la campagne ne s’est pas faite sur la base de programmes. On a vaguement évoqué quelques petites mesures. Il s’agissait surtout d’enlever telle taxe ici, telle autre là. Il a été surtout question de deux personnes. Cela ressemble un peu à une campagne présidentielle en France, sauf qu’ici, il a été question de choisir entre un hindou et un Blanc.
¦ Comment expliquer que cette dimension ethnique soit quasi omniprésente à Maurice ?
Cela me dérange et me déçoit. Pourtant, c’est lorsqu’on a le courage de ses idées qu’on sort gagnant. Or, en politique à Maurice, on a peur de frustrer les gens. On s’entoure de toutes les catégories possibles juste pour parvenir à une représentation élargie. Je pense qu’on peut réussir, en évitant ce critère, grâce à une équipe solide. Le citoyen peut être séduit par une approche plus moderne.
¦ Il y a beaucoup de scepticisme sur le fait que le citoyen soit séduit par la modernité…
C’est ce scepticisme qui fait que certains ne s’engagent pas en politique. Celle-ci demande beaucoup de sacrifices. Je note, cependant, que quelques nouvelles têtes, qui ont des idées intéressantes, ont pu émerger cette fois-ci. Certains ont eu un langage différent et cela a plu.
¦ Quel est le grand défi du nouveau gouvernement qui se met en place ?
C’est celui de favoriser un développement économique inclusif et qui génère une meilleure répartition des richesses. Ce n’est pas le cas uniquement à Maurice. Dans tous les pays du monde, l’écart s’agrandit entre riches et pauvres. Dans un système capitaliste qui laisse l’initiative à l’individu, l’Etat doit intervenir pour équilibrer les choses. Le gouvernement doit avoir le souci de ne pas laisser les gens au bord de la route. Il y a des gens en situation d’extrême pauvreté à Maurice.
¦ Il a été beaucoup question de réforme de l’éducation ces dernières années. Quelle impression vous laissent les actions prises par le précédent gouvernement ?
J’ai le sentiment qu’il y a eu une première partie avec le ministre Gokhool qui était relativement catastrophique. Avec lui, il y a eu une rupture et un retour en arrière par rapport à ce que le précédent gouvernement avait entrepris, dont l’abolition du Certificate of Primary Education. Cependant, il y a eu un regain d’espoir lorsque Vasant Bunwaree a pris cette fonction. Peut-être du fait qu’il est médecin, est-il plus conscient de la pression que ce système fait subir aux enfants. J’espère que cela va continuer.
¦ Quelle direction donner désormais à la réforme du système éducatif ?
Il y a plusieurs aspects. Je ne suis pas un spécialiste mais la question m’interpelle pour les enfants mauriciens. Il y a toute la dimension du rythme scolaire et du contenu. Au niveau du contenu, il y a des champs à explorer comme l’activité physique et l’éveil scolaire. On retrouve ici un peu les manquements qu’on connaissait en France au début du siècle dernier. Il y a un oubli du développement physique et psychologique de l’enfant. Je n’ai pas non plus le sentiment que les petits Mauriciens aient des cours d’histoire complets, d’où d’ailleurs le succès de l’ouvrage de Jean-Claude de l’Estrac, L’histoire racontée à mes petits-enfants.
Je note également un manque en termes d’éducation physique. Celle-ci est essentielle pour que les enfants apprennent à connaître les structures du pays, son organisation et ses institutions, soit tout ce qui fait sa vie publique. Je tiens enfin à dénoncer les leçons particulières qui sont, pour moi, un crime contre l’humanité. La destruction de l’enfance se fait sur l’appât du gain de certains enseignants. Ce sont des enseignants qui, s’ils avaient fait leur travail, n’aurait pas eu besoin de donner de leçons particulières.
¦ Qu’est-ce qui vous a marqué, en bien ou en mal, durant ces cinq dernières années ?
En bien, j’ai apprécié l’entrée dans le concept Maurice île durable. Certes, nous pouvons penser que nous ne sommes pas allés assez loin. Néanmoins, le fait d’y être entrés est déjà une bonne chose. En mal, je relève que rien n’a été réalisé pour résoudre le problème de la congestion routière. On a annoncé des projets en fi n de mandat mais, concrètement, il faut voir s’ils vont être exécutés.
¦ Pensez-vous qu’on accorde l’attention nécessaire à la culture à Maurice ?
Je pense qu’il y a beaucoup de créativité à Maurice. Toutefois, je constate une difficulté à aller à la rencontre de toutes ces activités culturelles. Tout ce qui est culturel reste confi né à des groupes relativement restreints.
¦ Vous êtes l’un des initiateurs du groupe Agora. Que fait ce collectif ?
C’est un groupe de personnes qui partagent le souci relatif à l’absence de débats sur des enjeux importants. Cette absence est liée au fait qu’il y a des thèmes sociaux à l’égard desquels les gens sont un peu désabusés. Ou alors, il y a la peur du débat car on peut s’exposer à des réactions hostiles, voire à d’éventuelles représailles. Cela fait que des thèmes comme l’éducation ou la religion ne sont pas traités. Il n’y a pas beaucoup de débats à Maurice. Il y a plutôt des monologues successifs. Notre idée, c’était de susciter des débats pour que les lecteurs et les auditeurs se sentent motivés à intervenir. C’est cette culture du débat qu’on voulait encourager. Il y a des éléments de satisfaction dans les forums de lecteurs et les interventions à la radio. Il est, cependant, regrettable qu’il n’y ait pas de débat à la télévision.
¦ Qu’est-ce qui, dans le fond, explique que le Mauricien évite le débat ?
Il y a une bonne et mauvaise raison à cela. Il y a un respect des différences, notamment religieuses et culturelles. Cela fait qu’on ne s’aventure pas de peur de blesser l’autre. Dans le doute, on s’autocensure. C’est une forme de politesse et de respect. Pourtant, il y a aussi cette peur de s’engager et d’être mal vu. Personnellement, j’ai acquis du respect, dans le débat, de la part de ceux qui étaient entrés en conflit au début avec moi. Ce besoin de débattre a été reconnu comme une forme de courage. Les gens, qui refusent le débat par peur, font le mauvais calcul. La fuite devant le débat est aussi occasionnée par le système éducatif. Les jeunes arrivent, après leurs études, dans la vie active avec beaucoup de connaissances. Toutefois, ils n’ont pas appris à penser par eux-mêmes, à prendre des initiatives et à grandir dans la confrontation avec l’autre. Ils sont soumis aux chefs. Il y a une sorte de paralysie de la personnalité chez eux. C’est le fruit d’un système désuet.
¦ On a dû probablement vous critiquer de prendre autant la parole alors que vous n’êtes pas Mauricien d’origine…
Cela veut dire que les gens ne réagissent pas par rapport à ce que je dis. Ils réagissent plutôt par rapport à ce que je suis. Le réflexe est de penser qu’on dit cela parce qu’on est de telle ou telle origine. Du coup, on n’entre pas dans le débat. On dévalorise votre parole parce que c’est vous qui le dites.
Propos recueillis par Nazim ESOOF
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