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Jacques Salomé : « J’ai fait un rêve pour l’école mauricienne »

18 juin 2012, 12:03

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En librairie, il fait un malheur. Après un parcours labyrinthe qui est allé de la comptabilité à la poterie, Jacques Salomé, pyschosociologue et écrivain français, est devenu un ténor du développement personnel. Ses livres pour apprendre à communiquer sont tous des best-sellers. Rencontre avec un « jardinier des relations humaines ».

Que faites-vous dans le quartier, Jacques Salomé ?

Je suis venu à l’invitation de l’APM []]l’Association Progrès du Management, ndlr], une association que j’aime beaucoup. Des managers mauriciens qui s’intéressent aux relations humaines m’ont invité à animer un séminaire j’ai accepté bien volontiers.

Vous n’étiez pas censé avoir pris votre retraite il y a 15 ans ?

Si ! Mais le 11-Septembre a changé mes plans. J’ai cinq enfants, dont un fils pilote qui vit aux Etats-Unis. Après les attentats, ils m’ont dit : « Papa, il est temps de reprendre ton bâton de pèlerin. » Comme moi, ils sont persuadés que la communication est l’antidote à la violence. J’ai donc repris mes conférences et mes séminaires de formation. Mes enfants m’ont fait grandir. Ils m’ont bousculé, ils m’ont délogé de mes certitudes. Mes livres, je les ai écrits pour eux.

Ils ont tous le même fi l d’Ariane : heureux qui communique…

Exactement. Aujourd’hui, la communication est en péril. On la dit surabondante mais on confond communication et circulation de l’information. Avec Facebook ou Twitter, l’information circule, on s’exprime, mais on ne communique pas. On a développé des outils incroyables pour favoriser la communication avec le lointain, mais les rapports entre les personnes proches se dégradent. En trois secondes, je parle à quelqu’un à Tokyo, mais je vais mettre six mois avant d’adresser la parole à mon voisin. Moi, je défends l’idée d’une communication relationnelle, c’est-à-dire avec laquelle on peut se relier. Cela revient à proposer le meilleur de soi au meilleur de l’autre.

Vos 65 livres, traduits en 28 langues, ont trouvé 6 millions de lecteurs : des stats de gourou...

Je me méfie des gourous car ils créent de la dépendance. Ce que j’enseigne, c’est l’inverse : une plus grande liberté d’être, plus d’autonomie. Je ne cultive aucune dépendance, sinon le désir d’avoir des relations plus vivantes, plus créatrices, plus stimulantes. Je me considère plutôt comme un jardinier en relations humaines.

Que vous inspire le terreau mauricien ?

Je sens beaucoup d’écoute ici, c’est d’ailleurs la quatrième fois que je viens. Surtout, je ne ressens pas la violence endémique de l’Europe. Un couple sur deux se sépare en Europe. Ce n’est pas qu’ils ne s’aiment plus ils ne se parlent plus. En France, 6 millions de personnes parlent à leur chat et à leur chien. Six millions, au siècle de la communication ! A Maurice, il y a un terreau, un humus qui me semble plus ouvert, plus sensible à l’échange relationnel.

Qu’aviez-vous à dire aux managers venus vous écouter ?

Je leur ai dit de prendre soin du capital humain. Ce capital est plus important que les machines ou la production. Une entreprise, c’est un organisme vivant. La sève qui l’irrigue provient de quatre registres : le fonctionnel (bien faire ce pour quoi je suis payé), le hiérarchique (le fait d’être pris en sandwich entre un chef et des collaborateurs), l’interpersonnel (être bien avec ceux qui m’entourent) et l’intrapersonnel (être bien avec moi-même). Ce dernier registre est souvent négligé. Pourtant, c’est lui qui nourrit et vivifie tous les autres. Si je ne suis pas un bon compagnon pour moi-même, il y a peu de chances que je sois bien avec mes collègues et que je fasse du bon boulot. Travailler huit heures par jour revient à vendre quotidiennement huit heures de sa vie. Or la question qui se pose n’est pas tant celle de savoir combien la vendre, mais comment la vendre.

Et comment la vendons-nous ?

Mal. A un prix qui retentit lourdement sur nos vies personnelles, conjugales ou familiales.

Dans votre Manuel de survie dans le monde du travail, vous expliquez que l’origine de la plupart des crises dans l’entreprise est davantage relationnelle qu’économique...

Vous avez bien lu. L’entreprise sait quantifier ses bénéfices. Mais elle ne voit pas l’argent perdu à cause de mauvaises relations. Admettons que nous travaillons ensemble et que j’ai une mauvaise relation avec vous. Les dix dossiers que vous me remettez, et dont dépend le travail de 25 personnes, je les fous sous la pile, je les retarde, je les sabote. Des entreprises perdent ainsi des millions. C’est ce que j’appelle les « sabotages relationnels ». Je l’ai constaté maintes fois dans les multinationales qui ont fait appel à moi.

L’entreprise serait donc un repère d’ « infirmes en communication », pour reprendre le phrasé Salomé ?

Je le crois. Les patrons ont un regard et une écoute laser. Je leur propose de remplacer le laser par le radar pour balayer plus large. Quand on dirige une entreprise, on a un savoir-faire très pointu qui nous fait passer à côté de beaucoup de choses. Ces choses, un jour, se retournent contre vous. Prenez le stress : il défi e les lois de Newton sur la pesanteur. Le stress remonte toujours sur les personnes en autorité. Ce n’est pas le concierge ou le jardinier qui fait un infarctus du myocarde, c’est le PDG. Patron d’entreprise est un métier à risques.

Comment limiter ces risques ? Et plus largement, comment travailler heureux ?

En apprenant quelques règles d’hygiène relationnelle. Je fais souvent un parallèle avec le permis de conduire. Avant son invention, chacun conduisait comme bon lui semblait. Après l’Exposition universelle de 1900, la circulation a explosé, avec pour résultat une violence terrible sur les routes. Alors on a créé des règles de conduites communes. Cela devrait être pareil pour la communication. Dans les 30 dernières années, une armada de nouveaux outils est apparue, on ne roule plus comme en 1905. Mais les règles, où sont-elles ?

Cela rejoint une autre thématique récurrente de vos ouvrages : l’école. Vous militez notamment pour l’enseignement de la communication. Pourquoi cette obsession ?

Pour que nous cessions d’arriver à l’âge adulte en infirmes de la communication. Mon combat, il est simple : sur le modèle du permis de conduire, je souhaite que les professeurs, à l’école, enseignent des règles d’hygiène relationnelle, comme une matière à part entière. Je ne comprends pas pourquoi on inculque aux élèves des règles de mathématiques ou de grammaire, et pas des règles pour mieux communiquer []]Il a mis au point une méthode qui dort dans un placard du ministère français de l’Education nationale, ndlr]. Apprendre à communiquer, j’insiste sur ce point, est le seul antidote non-violent à la violence. Si nous n’avons pas les mots pour nous dire, nous allons le crier avec des maux, sur autrui ou sur nous-mêmes. Vous avez lu les ordonnances ? Vous n’êtes pas effaré du béquillage médicamenteux des enfants ? (Il marque une pause) Je peux vous faire une confidence ?

Surtout pas, elle finirait dans les journaux !

(Rires) Je vous le dis quand même. Dans l’avion, j’ai rêvé que Maurice devenait le premier Etat au monde à enseigner la communication relationnelle à l’école. Mon combat aboutissait. Il me tient à coeur parce que l’école est devenue un milieu toxique. Les mots ne servent plus à communiquer mais à violenter. Un gosse qui rentre de l’école est pollué de violence. Et ses parents l’enferment dans cette violence en confondant « désir » et « besoin ».

Aidez-les…

Le propre d’un besoin, c’est qu’il a besoin d’être satisfait, sinon notre intégrité physique ou psychologique est en danger. Un désir, lui, a besoin d’être entendu, mais pas forcément comblé. Dans nos cultures, y compris à Maurice, les enfants du désir mettent leurs parents à genoux. Ils sont suffisamment habiles pour présenter comme un besoin ce qui est de l’ordre du désir. Et les parents craquent. Cette toute-puissance infantile est dangereuse. Ces enfants seront un jour sur le marché du travail, ils seront un jour parents et deviendront des terroristes relationnels.

Enfant, vous-même pensiez mal tourner…

Si je n’avais pas été frappé par la maladie []]la tuberculose osseuse, ndlr], je serais probablement devenu délinquant []]il a dirigé un centre pour enfants délinquants durant 15 ans, ndlr]. Je suis né d’une mère de 15 ans et d’un père de 18 ans en fuite. Il nous a laissés. Mes toutes premières années de vie ont été des années d’angoisse et de souffrance. La maladie est venue plus tard, à 9 ans. J’ai passé cinq années couché dans le plâtre. Même si cela peut étonner, j’en garde de bons souvenirs. Immobilisé, j’ai découvert la lecture et l’incroyable pouvoir de l’imaginaire. J’étais Michel Strogoff, Robin des Bois, le Cavalier Blanc. Surtout, j’ai vécu avec quatre camarades de chambre. C’est là que j’ai appris l’importance de la relation.

Quels mots vous viennent à l’esprit en repensant à votre séjour ici ?

Vivance. L’énergie de vie de cette île. Je fais des conférences dans le monde entier, ici je ne pense pas avoir perdu mon temps. J’ai l’impression d’avoir semé de la graine. Après, elle deviendra ce qu’elle deviendra.

Qu’est-ce qui vous comblerait ?

Souvenez-vous : j’ai fait un rêve pour l’école mauricienne...

Seriez-vous prêt à revenir pour le concrétiser ?

Certainement ! A condition de pouvoir m’adresser directement aux décideurs. Je ne voudrais pas parler en l’air. (L’entretien terminé, il revient sur ses pas) Une dernière petite chose : pourriez-vous m’envoyer l’article ? C’est pour mes enfants, ils conservent les traces de leur père. Une copie papier, par la poste, c’est possible ?

Ça prendra plus de temps qu’un email.

J’ai 77 ans, je ne suis plus pressé par le temps. (Sourire radieux)

Entretien réalisé par Fabrice Acquilina
(Source : l’express-dimanche, 17 juin 2012)