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Jean Bruneau, Deputy Commissioner of Police : «Le numéro deux passe aux aveux»

15 août 2010, 11:42

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L’heure de la retraite a sonné pour le commissaire-adjoint. Il s’est retiré après 42 ans de carrière.

On dit que la retraite est une petite mort. Vous avez l’air en forme pour un mourant…

Je ne suis pas mort. Je suis triste, c’est différent. Triste d’avoir quitté mes collègues. Triste d’avoir rompu officiellement, ce matin (jeudi, NdlR), mes dernières attaches avec la police. En même temps, je suis heureux car ma mission est terminée. J’ai le sentiment du devoir accompli, je pense avoir donné le meilleur de moi-même, je pars la conscience tranquille. Cela fait deux ans que je me prépare à passer la main, dans ma tête je suis prêt… enfin, à peu près. Je sais que des choses vont me manquer : les responsabilités, le terrain, le contact avec les gens tout ça c’est fi ni, il va me falloir encore un peu de temps pour m’y habituer.

Vous incarnez des valeurs telles que la discipline et la détermination. Avez-vous déjà rencontré le doute dans votre parcours  professionnel ?

Oui, ça m’est arrivé d’être découragé, lorsque mes hommes n’ont pas été à la hauteur,ou quand ma hiérarchie m’a mis des bâtons dans les roues. Mais ces moments-là n’ont jamais duré longtemps.

 En parlant de hiérarchie, qui est Dhun Iswar Rampersad ? Pour beaucoup de gens, le commissaire est une énigme.

C’est un forçat du travail, un perfectionniste qui aime tout contrôler et ne laisse rien au hasard. La communication n’est pas son fort mais quand il a quelque chose à vous dire, il ne passe pas par quatre chemins. C’est tout sauf un hypocrite. Il a un caractère vif mais ce n’est pas quelqu’un de méchant. Je le soupçonne de cultiver son image d’homme dur, comme s’il avait peur de montrer ses émotions.

Quel souvenir professionnel aimeriez vous pouvoir effacer de votre mémoire?

(Il réfl échit) Aucun. J’ai bien connu des échecs mais ils m’ont aidé à progresser. Par exemple, j’ai beaucoup appris durant les émeutes de 1999 : faire face à une situation extrême, affronter une foule hostile, ne pas avoir peur, s’affirmer en tant que chef. Certains jours, j’adorerais pouvoir recommencer à zéro, revenir à mes débuts en 1968.

Que changeriez-vous ?

Mon attitude. Si c’était à refaire je travaillerais avec plus d’enthousiasme. J’étais jeune à l’époque, je ne réalisais pas la chance que j’avais de pouvoir servir mon pays. Je ne retenais que les mauvais côtés de mon métier, le fait de travailler au soleil ou de nuit, je prenais ça comme une corvée. Plus j’ai avancé dans mon métier, plus je l’ai aimé.

Quelle image vous vient à l’esprit en repensant à vos débuts ?

L’image d’un monde austère. Les formateurs étaient là pour nous endurcir et ils le faisaient bien. Je me souviens d’une soirée improvisée entre jeunes recrues aux Casernes centrales. On faisait des petits sketches, il y avait des guitares. A 22 heures, les lumières étaient encore allumées. Notre responsable a débarqué en furie, il nous a fait courir jusqu’à deux heures du matin le fusil au-dessus de la tête ! Certains ne supportaient pas cette pression, ils en pleuraient. Avec le recul, je pense que cet apprentissage à la dure nous a fait du bien.


Du recul, en avez-vous pour pointer les faiblesses actuelles de la police ?

On ne sait pas communiquer. Quand Kaya est mort, la police n’a donné aucune explication, c’est ce qui a tout déclenché. Depuis, on a fait des progrès mais c’est insuffisant. Je crois aussi que la police doit apprendre à motiver ses troupes. Cela passe par plus de reconnaissance, notamment en termes de salaire et d’avancement.

A notre époque, disent les mauvaises langues, les pizzas mettent moins de temps à arriver chez vous que la police. Qu’en pensez- vous ?

C’est bien pour cela qu’on a créé l’ERS, l’Emergy Response Service. Au début, les policiers avaient un délai imparti pour arriver sur place, puis il y a eu du laisser-aller. Tout dernièrement, cette unité s’est renforcée, c’est bon signe.

Que pensez-vous de la situation dans les prisons ?

Auparavant, on parlait du « Département des prisons et des institutions réformatrices ».  Malheureusement le « réformatrice » s’est perdu en route. Il n’y a plus de stratégie de réforme, personne n’a le temps, il faut gérer l’urgence. Le problème se situe au niveau du nombre de détenus, il y en a plus de 2000 qu’on entasse comme du bétail. Plus le taux d’élucidation des enquêtes augmente, plus les prisons se remplissent. L’évasion à la prison de Grande-Rivière-Nord-Ouest a semble-t-il ouvert les yeux des autorités, tant mieux.

Le nombre de policiers par habitant est déjà très élevé et le gouvernement s’est engagé à recruter 5000 hommes d’ici à 2015. Qu’est-ce que cela dit de notre société ?

Nous devenons des assistés. Ce qui compte ce n’est pas le nombre mais la qualité. Nous n’avons pas besoin de 15 000 policiers mais de 5000 ou 6000 (ils sont environ 12 000 actuellement, NdlR). Le problème, c’est que leur fonction est mal défi nie. La police s’éparpille en prenant à sa charge des tas de petits travaux, comme les certificats de moralité, les passeports ou la surveillance de bâtiment. Ailleurs, on délègue de plus en plus ce genre de mission. La police mauricienne devrait se recentrer sur sa mission première : combattre le crime.

On parle beaucoup de vidéosurveillance. L’idée de la généraliser est-elle une solution ?

C’est une des solutions mais il ne faut pas trop en attendre. Tôt ou tard, les criminels sauront contourner la vidéo. Cet outil aide la police mais ce n’est pas la panacée, disons que c’est une technique parmi d’autres.

Toutes les treize minutes à Maurice, un automobiliste est verbalisé pour excès de vitesse. Sommes-nous devenus une nation de chauffards ?

Il y a un gros travail à faire dans ce domaine. Ce sera difficile de corriger les adultes, il faut mettre l’accent sur les enfants, les sensibiliser très jeunes au code de la route. Payer une amende, pour beaucoup d’automobilistes, ce n’est pas un problème. Par contre, lorsqu’on introduira le permis à points et que la licence sera en jeu, la sanction sera beaucoup plus dissuasive !

Quelle est votre opinion sur la peine de mort ?

Je suis contre. La réintroduire, soi-disant, permettrait de diminuer la criminalité, moi je n’y crois pas. Lorsqu’un individu s’apprête à commettre un crime, il est persuadé que la police ne le prendra pas ! La peine de mort est inutile. Dans les pays où elle est en vigueur, la criminalité ne baisse pas forcément. Dans lapolice, les avis sont partagés sur cette question, c’est du 50-50.

Celh Meeah fait la Une des journaux depuis un mois. Que vous inspire cette affaire ?

Cehl Meeah - je raconte ça dans mon  livre(1) - a du talent et du charisme. Il embrigade les gens en se servant de la religion. A l’époque de l’ « Escadron de la mort », c’est moi qui ai donné les instructions pour le cuisiner. Aujourd’hui, alors qu’il est député, il continue à utiliser son charisme. Vous verrez, il saura retourner la situation en sa faveur en endossant les habits du martyr.

Comment le policier Bruneau voit-il sa vie sans uniforme ?

Soldat un jour, soldat toujours ! Les habitudes vont rester. Je vais passer plus de temps en famille, à faire du sport et à m’investir dans le social. J’aimerais voyager aussi, découvrir l’Amérique latine… (Il marque une pause) Ça y est, l’interrogatoire est terminé ?

Ça dépend si vous plaidez coupable ou pas.

Quelle est la charge retenue contre moi ?

Vous n’avez été « que » le n°2 de la police.

Je plaide coupable. Je n’ai pas été assez ambitieux.

Est-ce un regret ?

J’aurais souhaité être à la tête de la force, dire le contraire serait un mensonge. Mais je n’ai aucun regret.

Pensez-vous que vos origines ethniques vous ont empêché de diriger la police ?

(Long silence.) En partie… en partie. En tant que commissaire suppléant, j’ai travaillé avec le Premier ministre, je le connais un peu. Ce ne serait pas correct de dire qu’il prend ses décisions en se basant sur le critère ethnique.

 Pourquoi ce « en partie » alors ?

Navin Ramgoolam ne décide pas en fonction de l’ethnicité, mais je ne suis pas sûr de pouvoir en dire autant de son entourage. En même temps, il faut se rendre à l’évidence quand je vois les résultats du commissaire en place, je me dis que Navin Ramgoolam a fait le bon choix.

Diriez-vous que la police a du pouvoir ? Ou que le pouvoir a la police ?

La police a beaucoup de pouvoir. Mais ses membres se laissent parfois manipuler par le pouvoir.

Entretien ralis par Fabrice Acquilina