Publicité

Jean Claude de l’Estrac, la sentinelle

27 février 2010, 09:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Il a la force créatrice et l’imagination décorsetée des autodidactes. Sa carrière, sa vie, s’est installée entre journalisme et politique. Son appétit de savoir dénote avec celui ambiant- de l’avoir. Il n’est jamais loin des arcanes du pouvoir. Celui de la plume ou celui de l’Etat. Car il peut y exercer son goût de l’action, du service. Sa vénération de l’efficacité lui fait quelquefois prendre des libertés rhétoriques avec la notion de démocratie. Après quinze ans, il quitte ce matin son poste directeur exécutif pour devenir à partir de lundi le président du Conseil d’administration de La Sentinelle. C’est la première fois que Jean Claude de L’Estrac accorde un entretien à «l’express». Lui, la sentinelle.

Vous avez eu une carrière au sein de la presse et une autre au sein d’un parti politique: à quoi doit-on renoncer quand on quitte le journalisme pour s’engager en politique ?

Je n’ai pas vécu mon idéal dans deux carrières distinctes et antinomiques. Dans mon esprit, il s’agit d’un seul et même service à la nation. Je n’ai jamais renoncé à rien. Sauf qu’il s’agit de faire les choses différemment. On est en journalisme, comme en politique, parce qu’on a un certain nombre de valeurs que l’on veut partager. Les plateformes sont différentes, mais elles servent la même ambition.

La discipline de parti reste quand même un fossoyeur de la liberté d’esprit, non ?

Pour certains, je crois. En tout cas, moi, je n’ai jamais perdu ma liberté d’esprit…

 …et vous n’êtes plus membre dans aucun parti, c’est bien qu’il existe une contradiction.

Bien sûr. Je ne vais pas dire le contraire. La politique, c’est quand même un embrigadement. J’ai moi-même beaucoup combattu les droits de tendance au sein du MMM. Quand on est dans une guerre politique – il faut appeler les choses par leur nom – il n’y a pas de place pour les états d’âme. Le mode de fonctionnement d’un parti n’autorise pas les contradictions. Il implique une discipline d’action qui ne tolère aucune dérive.

On ne doit voir qu’une seule tête, rien ne doit dépasser ?

Oui, tous doivent regarder ensemble dans la même direction. Il faut savoir pourquoi on combat, qui est l’adversaire, le principal, le secondaire, l’embusqué, parfois même celui de l’intérieur. On doit savoir à tout instant pourquoi on combat. Et pour qui…

 Vous avez déjà combattu pour quelqu’un, ou vous avez toujours combattu pour quelque chose, ou bien il arrive que les deux se confondent ?

Je me suis engagé pour une cause d’abord. Je n’ai découvert les quelques-uns que bien plus tard. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours le cas pour ceux qui s’engagent aujourd’hui. Nous parlons, dans mon cas des années 70, une période où l’on combattait pour de grands principes, de grandes causes…

 Le temps des rêveries révolutionnaires ?

Oui, et alors ? Je sens une connotation péjorative dans votre choix du mot "rêveries" je dirais plutôt "rêves". Oui, nous avions rêvé d’un pays différent, d’un autre modèle de société. C’était le rêve de nos vingt ans. Il n’est pas interdit de rêver à vingt ans…

 Ce serait même recommandé…

Ce qui serait grave, c’est de continuer à rêver pareillement à 40 ans.

 Les rêves aussi ont des limites d’âge ?

Bien sûr. Il y a la pesanteur des choses. La force des réalités. La capacité d’accepter, un moment donné, les choses que l’on ne peut changer. Il faut se rendre à l’évidence : on ne peut réaliser tous ses rêves. Mais cela ne nous interdit pas pour autant de continuer à rêver. C’est ce qui nous fait avancer. Quarante ans plus tard, nous ne faisons plus que des rêves raisonnables…

 Un rêve mêlé de raison en est-il vraiment un ?

Il reste toujours la part du rêve.

 Et comment s’est déroulé le réveil ?

Il a été graduel, lent. Si nous essayons de nous situer dans le contexte de l’époque, il y a eu un jeune parti radical avec des idées importées du monde révolutionnaire européen…

…soviétique ?

Non, vous faites référence aux discours de propagande. C’est vrai que certains au MMM prônaient ce modèle soviétique, mais ce n’était pas le modèle dominant. L’idée dominante prétendait pouvoir réaliser un « marxisme libertaire. » Assez vite le mouvement s’est heurté à l’appareil d’Etat. Avec l’arrivée de nouveaux cadres non issus des « rêveries révolutionnaires », comme vous dites, le mouvement va découvrir les réalités des choses de la vie, il aura une meilleure compréhension du pays tant sur le plan économique, culturel, social, et surtout électoral… Tristes réalités !

 On ne parle plus de "leurre électoral" ?

A partir du moment où le mouvement devient un parti classique, orthodoxe, conventionnel, les «rêveries» s’estompent. La rupture se situe vers 1973, quand les dirigeants du parti sortent de prison. Une scission s’est produite il y a eu ceux qui voulaient continuer à rêver et ceux qui se sont dit : ça suffit, il faut s’adapter aux réalités du système. Au système électoral d’abord. Après tout il n’était pas si mauvais que cela. A partir de ce choix, le MMM devient un parti politique comme un autre, même s’il ne renonce pas forcément à ses idéaux.

 Quand un parti commence en parlant des élections comme d’un «leurre électoral», quand il parle de prendre le pouvoir «avec ou sans élections», prône les nationalisations et qu’il termine en pratiquant un libéralisme économique même plus à droite même que la social-démocratie, en prônant le communalisme scientifique, ceux qui y ont cru pendant des années peuvent se poser des questions…

Vous tenez le discours classique de l’opposant primaire au MMM. Quel parti n’a pas évolué tout au long de son histoire ? C’est un processus naturel. Souvenez-vous : on traitait le père Ramgoolam de «bolchévique». Ne présentez pas une évolution logique comme une déviation. La phrase que vous citez – «prendre le pouvoir avec ou sans élections» – a été prononcée dans un contexte bien précis. Vous me forcez à défendre le MMM et je n’aime pas forcément cette posture. Mais rétablissons les faits : lorsque Bérenger – qui n’est pas connu pour sa prudence langagière – prononce cette phrase maladroite, ce n’est pas une invitation à renverser le régime par des moyens illégaux. Il y avait une atmosphère d’in - surrection dans le pays et le MMM voulait dire par là qu’il pourrait accéder au pouvoir sans devoir attendre les élections. Et à un certain moment, le régime était effectivement prêt à capituler. Plusieurs ministres travaillistes négociaient leur reddition… Je dois dire, et Paul Bérenger s’en souvient sûrement, je n’étais pas de ceux qui croyaient que l’Etat abdiquerait. Mais j’admets que cela aurait pu arriver…

 Après plus de quarante ans d’existence quel a été, selon vous, la contribution, durable, concrète du MMM à la construction de l’île Maurice moderne ?

La contribution essentielle du MMM – et elle est énorme à mon point de vue – s’est effectuée entre 1969 et 1976. Je crois que ce parti a puissamment participé à décoloniser l’esprit des Mauriciens, à leur donner un sens d’appartenance à une patrie, à rapprocher les communautés, à rénover les rapports sociaux. Ces avancées font aujourd’hui partie du patrimoine commun de tous les Mauriciens, quelles que soient leur appartenance ethnique, leur situation de classe ou leur couleur politique. La nation entière a fait sa révolution culturelle, et elle doit beaucoup au MMM. On a du mal à l’imaginer aujourd’hui, mais rien que sur le plan des rapports sociaux, un bouleversement considérable s’est opéré. Dans l’industrie sucrière par exemple, nous étions encore dans la féodalité. Sur un autre plan, le MMM a introduit une nouvelle manière de gérer les rapports avec les anciennes puissances coloniales, une nouvelle conception de l’identité nationale, un nouveau rapport dans les relations hommes-femmes. Toutes ses idées n’ont pas abouti mais elles ont été semées, et elles sont devenues la sève de l’homme mauricien nouveau. Pas tout à fait celui que le MMM souhaitait, mais plus tout à fait l’autre. Cette contribution est réelle et pérenne.

 Comment mener deux combats, la politique et le journalisme, dont la nature et les méthodes ne sont pas les mêmes ?

En s’adaptant… J’ai débuté ma carrière publique dans le journalisme et à 22 ans j’étais déjà éditorialiste et je prétendais expliquer aux hommes politiques ce qu’il convient de faire. Il n’y a qu’à…

 Ce qui est le propre des éditorialistes, non ?

Oui, et rien n’a changé. Mais après avoir fait le tour de la question journalistique, j’ai été tenté, comme beaucoup d’autres, par l’action politique. Je me suis dis : arrête de critiquer, l’heure est venue de faire. Et c’est ce que j’ai fait à partir de 1976.

Avec le recul diriez-vous que le métier de journaliste et surtout celui d’éditorialiste reste un grand ministère de la parole ne nécessitant aucune prise de responsabilité.

Au moment où je m’engage en politique, oui, je considère que l’écriture est assez vaine. J’ai alors donné 20 ans à l’action politique, les plus belles années de ma vie. Non, je ne regrette rien…

 Avez-vous connu, comme d’autres, les vapeurs offusquées de certains confrères drapés dans leur dignité vous qualifiant de «traître» ?

Oh que oui ! Ce fut infernal. Les journalistes ressentent, vis-à-vis d’un des leurs qui passe la barrière, comme une trahison et ils sont sans pitié. Il y a aussi parfois des jaloux, des envieux, des pense-petit. J’ai souffert dans ma chair l’injustice d’un certain nombre de commentaires et de critiques. J’ai le souvenir précis de propos de certains journalistes que j’ai eu beaucoup de mal à digérer. Aujourd’hui encore quand j’y pense. Mais je n’ai pas d’amertume, j’ai aimé ce que j’ai fait, je sais, ce n’est pas qu’un slogan, la politique peut changer la vie des gens. Et puis il faut reconnaître que la presse nationale a une culture anti establishement, quel que soit le gouvernement. Et c’est bien ainsi.

 En 1995, alors que vous êtes ministre, vous lancez un défi à Bérenger et cela se termine par des élections partielles vous êtes battu et vous abandonnez la politique. Sans cette défaite auriez-vous abandonné la politique ?

(Long moment de silence) Question très difficile… Je me suis posé souvent cette question. Probablement oui, je serais resté en politique, mais sans doute pour de mauvaises raisons. Cela dit, ce défi n’était pas un coup de tête. Depuis plusieurs mois auparavant, j’avais commençais à éprouver une sorte de dégoût de la vie politique, des rapports de force, des trahisons, des coups bas, des mensonges, de la démagogie… Je voulais en finir. J’ai été en quelque sorte au devant de la défaite. Au cours de la campagne électorale, j’avais dit très clairement aux électeurs que je souhaitais avoir leur soutien pour continuer à faire ce que j’étais venu faire dans l’administration publique. J’avais aussi dit que si je n’obtenais pas ce soutien, j’en tirerais les conséquences. C’est ce qui j’ai fait. Et quinze ans plus tard, je n’ai toujours pas changé d’avis. Je ne me présenterai plus jamais dans une circonscription pour briguer les suffrages des électeurs.

Mais la politique n’est pas que méchancetés. Le soir de ma défaite, je reçois un appel téléphonique de sympathie d’un adversaire. C’était Navin Ramgoolam qui avait mené campagne contre moi. Il me réconforte et m’invite à ne pas abandonner la vie politique malgré la défaite, me citant l’exemple de son propre père. Ainsi est née notre amitié.

 Il n’y a pas un peu de mépris, de condescendance à ainsi ne pas considérer le vote des électeurs ?

D’abord c’est le respect de soi, le respect de la parole donnée. Mais peutêtre avez-vous un peu raison je n’ai aucune raison d’idéaliser l’électeur…

Vous rentrez en politique par conviction et vous en sortez aussi par conviction. Content d’arriver, content de partir sans pour autant regretter les 20 ans en politique… Quelque chose m’échappe…

Il y a une déception au plan de la politique. C’est d’ailleurs tout mon dilemme. Pour tout dire, j’ai été en politique, je pourrais l’être demain, parce que j’ai le goût du service à la nation. J’ai l’intime conviction que je suis fait pour servir l’Etat. S’il était possible de le faire sans me salir dans la quête aux votes, je crois que le ferais. J’admire ceux qui sont capables de subir les exigences indignes de certains électeurs. J’espère d’ailleurs que l’occasion se présentera pour moderniser la prochaine campagne électorale : trois quatre grands meetings en salle, des débats contradictoires sur les programmes à la télévision et à la radio, des courriers électroniques, et en finir avec ces réunions privées de ki-u-pufer- pur-mwa.

 Votre livre «Passions politiques » correspond-il à un certain désir d’exorciser une nostalgie douloureuse ?

En rien. Juste l’envie de raconter aux Mauriciens leur histoire. Ce livre est d’ailleurs la suite de deux autres tomes et il s’inscrit dans cette trilogie. Non, je n’ai rien à exorciser. Mes livres sont le roman de notre nation.

 N’avez-vous pas commis une imprudence de dire que ce livre se voulait objectif ? Comment évoquer en même temps passion et objectivité ?

Ma passion, c’est mon pays. Pour parler de mon pays, c’est vrai que je ne suis pas objectif. Je crois d’ailleurs que j’ai plutôt parlé d’honnêteté. Et je pense que ce livre est honnête. Je ne suis pas historien, mais je m’intéresse à l’histoire. Et j’essaie de relater l’histoire comme un récit journalistique. Ce livre a été écrit non pas pour prouver quoi que ce soit, mais simplement pour raconter. Ni exorcisme ni règlement de compte.

 On peut être sous l’impression que ce livre ne raconte pas seulement, mais veut aussi démontrer…

Pas du tout. Sauf qu’effectivement la somme totale de ce que l’on raconte peut devenir une démonstration. C’est un effet collatéral.


 Le fait d’avoir écrit ce livre vous a-t-il fait voir avec d’autres yeux l’évolution du pays ou les actions politiques des uns et des autres ?

Parfaitement. Par exemple, aujourd’hui mon regard sur la coalition de 1969 entre Ramgoolam et Duval n’est certainement plus le même. Cette coalition, malgré toutes ses dérives et tout ce qu’on peut lui reprocher au plan démocratique, a été une bonne chose pour le pays. Ramgoolam a eu raison de tendre la main à Duval. A l’époque, je ne pouvais pas le voir ainsi, j’étais dans l’embrigadement politique.

Cette coalition a apaisé le pays à un moment où c’était la priorité absolue. Elle a donné, en outre, une orientation économique, une stratégie qui ont jeté les bases de notre développement économique. Le MMM a été sévère à l’égard de Gaëtan Duval et ses idées. L’homme n’était pas toujours fréquentable mais il demeure qu’il a eu une contribution globalement positive à la construction de Maurice. C’est en travaillant sur le livre, avec recul, que je suis parvenu à cette réflexion.

 Quarante ans plus tard on vous retrouve à être le défenseur d’une alliance entre le Parti travailliste et le MMM parce que le moment est difficile, les défis sont grands, etc. L’histoire se répète ?

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Je constate que quarante ans plus tard, les mêmes problèmes sociaux perdurent donc les mêmes risques existent. Les drames que nous avons vécus pourraient se répéter. Nous avons déjà été alertés sur la fragilité des choses. Nous voyons les heurts qui se produisent partout dans le monde, y compris dans des sociétés beaucoup plus homogènes que la nôtre. Il m’est revenu en mémoire ce que Bérenger écrivait en 1967. Il appelait à une grande coalition Travailliste-PMSD dans deux textes parus dans l’express. Citant l’économiste Arthur Lewis qui deviendra un prix Nobel par la suite, il défendait la thèse qu’il fallait de préférence des gouvernements de coalition dans des sociétés plurielles. La démocratie qui veut qu’il y ait toujours un gouvernement et une opposition, écrivait- il, est un mythe anglo-saxon. Mais je m’empresse d’ajouter que ces coalitions sont possibles uniquement quand il y a une cohérence programmatique. Et dans notre pays, c’est le cas entre les principaux partis même s’ils disent le contraire. Je n’ai jamais changé d’avis sur la question. J’ai la conviction que Maurice a besoin d’un gouvernement fort libéré de toutes les contraintes qui tentent à le paralyser. Je n’aurais pas proposé cela si chaque parti était porteur d’un projet de société distinct. Mais tel n’est pas le cas. Le Parti travailliste et le MMM proposent exactement la même orientation. Alors à quoi cela rime de faire semblant de se combattre. Je vois bien quel peut être l’intérêt des hommes politiques, mais je ne vois pas en quoi cela sert l’intérêt national.

Cet accord installe, de fait, un quasi parti unique dans le pays, ça ne vous gêne pas ?

Bien sûr que non, les partis qui ont des projets différents se manifesteront. Et puis, l’existence d’un gouvernement largement représentatif ne veut pas dire dictature. C’est un gouvernement à parti unique qui a consolidé la démocratie en 1982. La démocratie ne dépend pas uniquement des partis politiques pour s’exprimer, elle peut parfaitement s’épanouir grâce à l’action vigilante des contre-pouvoirs, la presse, les syndicats, des organismes de régulation indépendants, l’Etat de droit.

 Seuls les partis politiques ont cette légitimité populaire. Dans une démocratie la légitimité ne vous semble pas une notion importante ?

Il appartient à l’Etat de légitimer et de respecter tous les contre-pouvoirs. Surtout la presse. Une presse libre et indépendante est le plus sûr garant de toutes les libertés. Que seraient dans notre société les partis politiques et les syndicats sans la presse ? La presse est un outil indispensable du processus démocratique. Quel système préférez-vous ? Pleins de partis politiques et moins de journaux libres ? Ou plein de journaux et moins de partis. Moi, mon choix est vite fait.

Imaginez une alliance conclue : qui fait office d’opposition ? La presse ?

A quoi sert l’exercice d’opposition des partis sinon à mettre des bâtons dans les roues de ceux qui veulent faire avancer le pays.


 L’opposition, c’est aussi le droit de demander des comptes, de poser des questions, de contester des projets de loi. Bref la représentation nationale… Tout cela vous semble inutile ?

Les contrepouvoirs sont là pour ça. Arrêtons la fiction du débat démocratique entre ceux qui partagent la même option. Cette mascarade ne sert que les intérêts des hommes politiques qui cherchent à prendre la place les uns des autres. Cette démocratie-là est un leurre. La fameuse alternance est un jeu de musical chair construit sur l’obligation du mensonge.

votre passage au MMM : la coalition réalisée par Ramgoolam et Duval en 1969…

Si cela vous fait plaisir. Vous parlez des hommes, je parle d’un principe. La coalition de 1969 a bien servi le pays à certains égards, je vous ai dit lesquels. Oui, je m’étais trompé. Et alors ? J’ai bien le droit à l’erreur comme d’autres ont eu le droit à l’excès.

 «l’express dimanche», un des journaux du groupe de presse que vous dirigez publiait récemment un article qualifiant le groupe de BAI de faire «main basse» sur la presse parce qu’il devenait propriétaire de nouveaux journaux. A bien voir n’est-ce pas ce que fait le groupe «La Sentinelle» qui, depuis plusieurs années, étend son influence dans les médias en achetant de nombreuses publications ?

Peut-être en effet que ce mot "main basse" est un peu outrancier, maladroit. Je le concède. Mais je crois que le journaliste voulait surtout signaler l’aspect secret et opaque de ces transactions dans un secteur où le maître-mot est transparence. Soyons clairs : cette grande opération de rachat de titres de presse qui se déroule depuis un certain nombre d’années est parfaitement normale sur le plan économique. Que des groupes financiers s’intéressent à la presse, comme à n’importe quel autre secteur économique, il n’y a rien à redire. Mais à dire oui. Les journaux rapportent sans cesse les opérations de même nature dans d’autres secteurs. Alors pourquoi pas sur la presse elle-même ? Pourquoi faut-il cacher les faits à ses propres lecteurs ? La presse exige la transparence de tout le monde, il faut qu’elle le soit sur elle-même Le Groupe BAI est devenu le propriétaire de plusieurs titres, il est actionnaire dans d’autres, c’est son droit, nous plaidons pour le droit des lecteurs de le savoir. C’est tout. Le lecteur a le droit de savoir qui possède son journal, quelles sont les ambitions et la vision des propriétaires.

 A partir de là, vous trouvez cela suspect ?

Oui, j’ai des raisons de m’inquiéter pour le pays. La presse mauricienne – et cela a été son honneur - a toujours été l’affaire des journalistes. Ce sont eux qui ont fait nos journaux. Pas les propriétaires. Ce sont des journalistes qui contrôlent leurs journaux avec le plein soutien de propriétaires patriotes. Si des financiers devaient demain contrôler les journaux, les journalistes perdront leur liberté. Je ne connais pas les vues du groupe BAI sur la presse. Et cela nous oblige à être attentif, d’autant plus qu’il a rejoint le pouvoir dans la politique de boycott financier de certains titres. Il y a là comme une stratégie.

 En même temps à chaque fois qu’un nouveau journal fait son apparition- il en est ainsi depuis des années- on voit naître des campagnes visant à le discréditer. Il en a été ainsi pour 5 plus, il y a 25 ans, puis Le Matinal et aujourd’hui le groupe BAI. Ne pensez-vous pas que certaines personnes puissent croire que tout simplement ceux qui occupent la place n’aiment pas la concurrence ?

Si vous voulez continuer à vous voiler la face, c’est votre problème. Je vous invite simplement à observer de près tous ces journaux qui ont changé de propriétaires. Je vous invite à les lire attentivement. Mon propos est simple: il faut de la transparence. Pour tout le monde de la même manière. La Sentinelle est une compagnie publique avec plus de 500 actionnaires dont aucun ne possède plus de 8 % d’actions. Tout est vérifiable, nos comptes sont maintenant publiés tous les trois mois. Vous vous trompez : la concurrence ne nous fait pas peur, mais la moindre des choses est de savoir qui est votre concurrent. Puisque vous vous faites l’avocat de nos confrères du Matinal, peut être pourriez-vous nous éclairer ? Qui donc sont ces concurrents venus de l’étranger ? Pas les seconds couteaux. Ceux qui ont investi leur argent ? Qui acceptent d’en perdre ? Et pour quoi faire ?

 Est-ce le rôle d’un directeur exécutif d’un groupe de presse de demander à des partis politiques de faire une coalition ?

Je suis éditorialiste et je ne dirige aucun journal. Chaque journal du groupe a son rédacteur en chef. J’ai eu une longue carrière publique. J’ai été sollicité par un journal qui voulait savoir ce que je pensais de cette question. Le journaliste n’a pas trouvé anormal de me poser cette question. Je n’ai pas trouvé anormal d’y répondre. Et puis je l’ai dit à qui de droit quand j’en ai eu l’occasion. Je défends ma conviction fondée sur ce que je crois être profitable à mon pays à long terme. Je vois un grand destin à mon pays dans ces conditions.

 Serez-vous prêt à aider a forger ce nouveau destin si l’on vous le demandait ?

Ce n’est pas ce à quoi j’aspire. Je ne suis pas, ces jours-ci, tenté. Je peux parfaitement me contenter d’être un homme de l’ombre et d’une certaine manière, je le suis déjà.


 

Alain Gordon-Gentil