Publicité

Jean-Claude de l’Estrac : « Madagascar est la base de la sécurité alimentaire de l’océan Indien »

27 juin 2012, 08:34

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Après un tête à tête avec le Président de la Transition malgache, Andry Rajoelina, celui qui prend ses fonctions de secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) au début de juillet 2012 partage sa vision sur la place de Madagascar dans un cadre géopolitique régional.


Lors de votre dernier passage à Madagascar vous avez rencontré le Président de la Transition Andry Rajoelina. Cette rencontre s’inscrit dans quelles perspectives ?

J’avais souhaité rencontrer le Président de la Transition avant ma prise de fonction officielle à la Commission de l’océan Indien. Ce fut une visite informelle mais riche en enseignements. J’avais voulu comprendre l’état d’esprit du Président et sa réaction aux diverses propositions de sortie de crise politique actuellement débattues. J’ai la conviction que le président de la HAT est vraiment déterminé à mettre fin à la transition dans les meilleurs délais.

Le paradoxe est que ce sont les propositions de la communauté internationale telles que formulées par les missions des experts électoraux techniques des Nations unies qui risquent de prolonger cette transition. M. Rajoelina m’a paru soucieux d’éviter à son pays un pourrissement de la situation.

Quels rôles la COI devrait-elle jouer ?

Nous avons longuement débattu du rôle que la Commission de l’océan Indien (COI) devrait jouer, aux côtés des autres organisations qui soutiennent les efforts de Madagascar. Je lui ai communiqué la disposition de la présidence de notre organisation, le président James Michel, et le ministre des Affaires étrangères, Jean Paul Adam des Seychelles, de participer encore plus activement à la résolution de la crise politique. Le président Rajoelina lui-même souhaite un rôle infiniment plus actif de la COI. Cela est juste, en matière de compréhension des enjeux politiques à Madagascar et dans notre région des iles du sud-ouest de l’océan Indien – j’aime l’appellation « indianocéanie » — la COI est certainement experte. Il ne faudrait pas que la communauté internationale se prive de cette expertise. Nous avons également discuté des projets de la COI qui dépendent dans une grande mesure de la capacité de Madagascar à assumer pleinement sa responsabilité. Madagascar, c’est 90 % de la surface totale de la COI en terres arables. Il faut des projets concrets, la COI a déjà fait savoir au Groupe de contact international (GIC) sa volonté d’organiser une table ronde des investisseurs des bailleurs de fonds en faveur de Madagascar. C’est une question cruciale pour Madagascar bien sûr mais aussi pour l’ensemble de la région.

En matière de principe de subsidiarité, c’est la COI qui est apte à faire la médiation de la crise politique malgache, alors comment expliquez- vous le fait que cette médiation a été confiée à la SADC ?

Madagascar a bien voulu accepter dès le départ la médiation de la SADC dont elle faisait partie. Comme Maurice et les Seychelles en sont membres également, j’imagine que personne n’a trouvé d’inconvénient majeur. Peut-être que la SADC aurait eu intérêt à s’appuyer davantage sur une organisation de plus grande proximité pour l’aider à démêler un écheveau bien singulier et très éloigné des questions politiques continentales. Peut-être aussi que la COI doit à l’avenir se rendre immédiatement plus audible.

Dans l’état actuel des choses comment, selon vous, la SADC arrivera-t-elle à mettre fin à la crise politique malgache ?

Ce n’est pas à la SADC de mettre fin à la crise politique. C’est aux dirigeants politiques malgaches de gérer leur pays et de prendre leur destin en main. Ils prennent leur temps, certains tergiversent, mais je crois que nous commençons à voir la fin du tunnel. Je vous l’ai dit, si cela ne tenait qu’au président de la Haute Autorité de la Transition (HAT), il dit vouloir mettre fin à l’expérience dès cette année. Les experts des Nations unies chargés d’accompagner Madagascar dans la mise en place d’un processus électoral fiable et acceptable à la communauté internationale estiment que cela n’est pas possible. Les listes électorales ne sont pas prêtes. Ils proposent des élections pour dans un an et ils veulent jumeler les deux élections, les législatives et les présidentielles. La Commission Electorale Nationale Indépendante de la Transition (CENIT) pense différemment, j’imagine qu’il sera possible à l’institution malgache de faire valoir ses opinions et je suis sûr que les techniciens des Nations unies ne visent pas à mettre sous tutelle une institution souveraine et indépendante. J’ai discuté avec la présidente de la CENIT, et j’ai trouvé Mme Béatrice Atallah en parfaite maitrise de son dossier.

Est-ce que vous croyez à la réussite de la Feuille de route ?

C’est comme me demander si je crois en la capacité de la classe politique malgache de sortir leur pays du marasme dans lequel il s’enfonce. Je ne peux que vous répondre que Madagascar est condamnée à réussir. Je suis sûr que la classe politique, toutes tendances confondues, mesure ce qu’il en coûtera au peuple malgache déjà à bout, si le pays devait continuer à s’isoler de la communauté internationale, si la stabilité politique, la première précondition au développement et au retour de l’investissement, si la stabilité n’était pas restaurée.

Dans votre interview sur le journal « Le Défi », vous avez qualifié Madagascar de grenier des Îles de l’océan Indien, comment justifiez-vous cette qualification ?

C’est une évidence. Madagascar possède tout ce qu’il faut pour nourrir la région et au-delà. La démonstration a été archi-faite. Il y a, bien entendu, un certain nombre de préconditions dont certaines ne sont pas réunies aujourd’hui. Mais les problèmes ne sont pas insurmontables. J’en ai parlé au Président de la Transition dans le contexte d’un projet de la COI sur la sécurité alimentaire et aussi de la création d’une ligne maritime de cabotage dans la région. Des propositions concrètes ont été faites. Mais encore une fois, il n’y aura rien à discuter tant que la stabilité politique ne sera pas revenue, tant que le secteur privé, malgache et étranger, n’aura pas retrouvé la confiance.

Toujours dans cette même interview, vous avez dit qu’il faut aider Madagascar à se pourvoir en infrastructures de commercialisation aux normes. Quel est le chemin à suivre pour y arriver ?

A priori, c’est à Madagascar de trouver les moyens de financer les infrastructures nécessaires à son commerce d’exportation. Mais on peut voir la question sous l’angle régional : Madagascar possède des ressources qu’elle peut valoriser tant pour ses propres besoins que pour ceux de toute la région indianocéanique. Elle le fait déjà sur un certain nombre de produits. Il peut être donc de l’intérêt de la région d’aider Madagascar à assumer une responsabilité plus large, celle de grenier régional. C’est gagnant-gagnant. La COI travaille déjà sur un projet à plusieurs volets sur cette question. Les synergies possibles des ressources existantes à Madagascar de même que son propre savoir faire, auquel s’ajoute celui des Réunionnais et des Mauriciens dans l’agro alimentaire sont indéniables.

Tous les membres de la COI partagent en commun l’océan Indien. Mais est-ce que c’est suffisant pour avoir une valeur commune ?

Ce n’est pas seulement la géographie qui nous a été donnée en partage. Notre socle commun nous vient surtout de l’histoire, et notamment, le plus fort, de notre histoire de peuplement. Le sang malgache irrigue toute la région. Les liens qui unissent les peuples de l’indianocéanie sont donc des liens de sang pour une part, des affinités culturelles qui nous distinguent des peuples des autres régions. Il existe de manière incontestable des valeurs communes mais nos peuples ne le savent pas toujours. Ce déficit de connaissances doit être comblé et c’est une priorité. Nous ne serons jamais cette communauté indianocéanique voulue au départ par les pères fondateurs de la COI sans un tronc commun communicationnel. J’ai des idées sur la question que je ne manquerais pas de faire valoir au sein de notre organisation.

Et pour l’intégration régionale, que doit-on faire, pour que la prochaine fois, Madagascar n’ira plus importer de l’huile alimentaire en Egypte ou en Asie, mais chez nos voisins de l’île de l’océan Indien ?

Justement ! ll y a un grand potentiel pour certains produits dans la région. Et pour Maurice, la Réunion, les Seychelles, les Comores importer notre riz, du Pakistan, de Thaïlande, de l’Inde. Notre viande de l’Australie, du Brésil, de France, du Kenya, du Botswana, nos grains secs de Chine, du Canada… Nous sommes masochistes, je crois. La sécurité alimentaire de la région avec Madagascar comme base mais avec la pleine participation de l’ensemble des acteurs de la région est un beau chantier à réussir. Je compte en faire une de mes priorités même si je mesure la difficulté de la tâche.

Parlons de la pêche, ne croyez-vous pas que la piraterie est un moyen en quelque sorte pour protéger nos zones économiques exclusives contre les pêcheurs illégaux européens et asiatiques ?

Oh non ! Les pirates ne sont pas nos alliés. Leurs activités illégales dans notre région portent atteinte aux intérêts économiques de nos pays. Les pertes sont élevées, elles sont estimées à environ 10 milliards de dollars. Plus d’une centaine de navires ont été rançonnés, ce qui décourage les activités de pêche licites. Nous ne pouvons tolérer la situation actuelle où les activités des pirates s’étendent de plus en plus loin des côtes Somaliennes et de plus en plus proche de nous. Madagascar est inquiétée, elle a d’ailleurs demandé à accueillir un centre intégré à Antsiranana destiné à combattre cette piraterie. Les Seychelles en font les frais, une baisse de 30 % des revenus provenant de la pêche et une baisse de l’ordre de 10 % des recettes du secteur du tourisme. En raison des risques, le coût du fret pour notre région a augmenté.

Que peut faire la COI ?

Face à ces menaces, une mobilisation régionale était nécessaire et c’est la COI qui en a pris l’initiative avec pour résultat une implication de toutes les organisations régionales dans le cadre d’une stratégie de lutte commune Des moyens substantiels ont été mobilisés, déjà presque 40 millions d’euros acquis auprès de l’Union Européenne. Un accord portant sur la création d’une unité anti-piraterie au sein de la Commission, installée aux Seychelles. Voilà un autre secteur où la COI a des réalisations concrètes totalement méconnues du grand public et même parfois des dirigeants politiques de nos pays. La COI a coordonné une vaste activité de surveillance avec le soutien des pays membres de la Commission et des marines de plusieurs pays. Le secrétaire général soulignait dans son dernier rapport combien cette opération est utile à l’ensemble de la région. les pirates

Propos recueillis par Manjakahery Tsiresena
Paru dans L’Hebdo de Madagascar le 21/06/12

Manjakahery Tsiresena