Publicité

Jean-Eudes Tesson « Le travailleur n’est pas un bien comme un autre »

10 octobre 2010, 06:11

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.


Le président d’un groupe de travail du Medef (syndicat patronal français) explique comment les employés ont besoin de trouver un juste équilibre entre vie familiale et activité professionnelle.

Le Secret De La Performance des salariés réside dans l’humanité de leur environnement de travail. Cadres et employés ont besoin de trouver le juste équilibre entre vie familiale et activité professionnelle. L’entreprise doit les y aider. C’est le message que Jean-Eudes Tesson adresse aux patrons de l’île Maurice.

Maurice se dirige vers l’ère où ses entreprises pourraient connaître des vagues de suicides, comme la France avec France Télécom ou la Chine avec Foxconn. Vous affirmez aussi que la prochaine crise sera celle des ressources humaines. Comment est-on arrivé à ce stade ?

Lors de mon séjour à Maurice, j’ai eu l’occasion de rencontrer des cadres et des patrons. Vous avez une économie récente, vous êtes passés du sucre au textile et au secteur des services.  Aujourd’hui, au nom de l’efficience et de la compétitivité, des pressions de plus en plus  importantes sont exercées sur les salariés mauriciens. Les cadres passent de plus en plus de temps au travail. Certains d’entre eux m’ont dit qu’ils ont du mal à rentrer chez eux quand le patron est encore à son bureau. Ils restent donc sur place même s’ils n’ont aucun travail urgent à terminer. Cette situation est responsable d’une ambiance particulière qui est très préjudiciable à la vie  privée et familiale des employés. Des couples sont fragilisés par le stress du travail, d’autant Plus qu’avec les téléphones cellulaires et les ordinateurs portables, la vie professionnelle entre de plus en plus dans le cadre de la vie privée.

Quelles en sont les conséquences ?

En France, 60 % des cadres sont séparés, chiffre qui arrive à 80 % chez les cadres supérieurs. Stressés au travail et par le travail, employés et cadres rentrent à la maison pour retrouver un conjoint qui a également subi le même sort et qui est aussi stressé qu’eux. Ces travailleurs qui ne se sentent pas bien dans leur foyer arrivent au travail perturbés et sont définitivement moins performants économiquement. Et tout cela peut déboucher sur la série de suicides que vous avez eue chez France Telecom ou chez Foxconn. En France, les dirigeants d’entreprise prennent de plus en plus conscience du fait qu’ils sont allés trop loin.

Vous êtes très écouté par l’ensemble des patrons de France. Que proposez-vous pour redresser la situation ?

J’ai toujours cru et j’ai toujours dit que l’entreprise, à commencer par l’entreprise de 600 personnes que je dirige, est avant tout un lieu pour grandir en humanité. C’est par ce moyen qu’on arrive à renforcer ce capital humain et à renforcer son efficacité. A préparer l’entreprise aux défis de demain. Pour arriver à ce résultat, il faut avant tout se dire que le travailleur n’est pas un bien comme un autre. C’est un capital, mais il y a des personnes derrière ce capital. En général ces personnes vont s’engager dans l’entreprise de diverses façons. Il y a d’abord l’engagement affectif, qui est l’engagement que les entreprises doivent rechercher. Dans ce cas de figure, le salarié est un homme qui aime son entreprise, qui aime son travail, qui aime l’environnement dans lequel il travaille. Il s’engage avec l’entreprise et y reste. Or, il ne peut y avoir engagement affectif que si l’entreprise considère le salarié comme humain et non comme un outil de  production. L’entreprise doit prendre en compte le salarié dans la globalité de sa personne.

Ce qui n’est pas souvent le cas...

Ce lien affectif était très fort dans les entreprises françaises dans le passé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce lien affectif du salarié avec l’entreprise arrivait à compenser ses problèmes familiaux, ce qui n’est plus le cas dans la plupart des entreprises de nos jours.  Quand le salarié se trouve dans cette situation, pas de perspective dans la vie familiale et pas de perspective non plus dans la vie professionnelle, on arrive à ce qui s’est passé chez France Telecom. Il est  aussi devenu évident que plus un salarié a des problèmes dans sa vie privée et familiale, plus il aura des difficultés à s’engager au sein de l’entreprise et moins il sera performant.

Pourquoi le salarié n’arrivet-il plus aujourd’hui à compenser ses problèmes de vie privée par son engagement dans l’entreprise ?

Dans le passé, on entrait dans une entreprise et on y travaillait pendant 40 ans, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec la mobilité, etc. De plus, il n’y avait pas cette pression qui s’exerce aujourd’hui sur les salariés.  auparavant, les liens se tissaient plus facilement et il y avait une certaine cohésion parmi les salariés, et l’ambiance sur son lieu de travail compensait les  problèmes de vie privée et de stress familial.

Vous semblez vouloir dire que les relations interpersonnelles sont très importantes   dans la gestion du stress et de la performance du salarié…

Effectivement. Une seule personne, de par son comportement, peut pourrir la situation au sein d’une entreprise. Il faut empêcher que les salariés se bouffent le nez. Le management doit comprendre que la fécondité de l’entreprise va découler d’une alchimie des relations harmonieuses à l’intérieur de l’équipe. Il faut cette alchimie pour travailler et pour arriver à
la capacité à innover ensemble. Cette relation harmonieuse est une affaire de communication, d’écoute, de gestion des conflits et de compréhension mutuelle. Développer des relations solides, des relations de confiance s’apprend et il faut des formations pour favoriser la communication entre les travailleurs à tous les niveaux. Il faut gérer ces relations. Par exemple, j’ai dû me séparer d’un cadre très compétent parce qu’il ne pouvait considérer ses collègues autrement que comme des « petits cons ». C’est pour vous dire qu’on tombe souvent sur des hommes et des femmes qui sont irrécupérables quand il s’agit de créer cette relation harmonieuse au sein de l’entreprise.

Vous proposez aussi que l’entreprise gère les problèmes familiaux du salarié…

Attention, il y a des limites qu’on ne doit pas dépasser. L’entreprise ne doit pas s’ingérer dans la vie privée de ses salariés. Mais l’entreprise doit trouver des moyens pour alléger le fardeau et le stress de la vie familiale. Plusieurs entreprises offrent aujourd’hui des services de  conciergerie à leurs employés. Vous avez des entreprises qui ont sur place des blanchisseries pour faciliter la tâche des mamans et leur donner du temps à la maison, des services d’aide pour la réparation des voitures, etc. Je crois que, sans vouloir verser dans le paternalisme, l’entreprise doit offrir des services d’aide à ses salariés et mettre en place des structures pour les écouter.

Vous préconisez aussi que l’entreprise donne à ses salariés le temps nécessaire pour se consacrer à la famille…

Oui, je crois qu’il faut adapter les horaires et les rythmes du travail. Il faut dégager de la  disponibilité pour la famille. Et là il faut faire attention. Le patron qui voit un salarié profiter du temps qu’il lui donne pour se consacrer à sa famille peut se dire que la priorité de ce salarié est ailleurs et il ne va ne pas favoriser la carrière de ce salarié. S’il le fait, il se trompe énormément, car plus le salarié a du temps pour une bonne vie familiale et sociale, plus il est performant au travail.

Comment le patronat français accueille-t-l votre discours ?

Il y est très sensible, surtout après les suicides dans des entreprises.

Et Maurice dans tout cela ?

Si vous ne faites pas attention, vous vous dirigez vers cette situation où vous aurez des cas France Telecom chez vous. N’oubliez pas que vous avez réalisé en 30 ans le développement économique que la France à mis 200 ans à réaliser.

Entretien ralis par Raj Jugernauth