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Jean-François Daguzan : «Opposer la loi au crime et non la guerre au terrorisme»

8 septembre 2011, 10:36

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Le maître de recherché à la Fondation pour la recherché stratégique (FRS) et directeur de la revue «Sécurité globale» est aussi l’auteur de «Terrorisme(s), abrégé d’une violence qui dure» (2006), CNRS Editions, Paris. Ici, il parle, entre autres, des guerres que les Etats-Unis ont menées en Irak et en Afghanistan, qu’il estime être des «échecs politiques».

Les attentats du 11 septembre 2001 ont ouvert des plaies psychologiques et idéologiques, politiques, économiques et sociales. Y a-t-il une plaie toujours à vif ?

Ce sentiment n’est pas le même partout. Pour les Etats-Unis, la surprise, l’humiliation et la douleur restent fortes. Ailleurs, c’est difficile à dire. Le choc et la surprise restent encore très vifs en Europe. Comme on l’avait dit pour l’assassinat de Kennedy, tout le monde sait ce qu’il faisait et où il était le 11 septembre 2001. Cependant, n’oublions pas non plus que dans bon nombre de pays arabo-musulmans, une partie de la population pense que les Etats-Unis ont été punis pour leur arrogance. La perception n’est donc pas la même d’un côté à l’autre de la planète.

Les Etats-Unis ont-ils cherché à jouer davantage au «gendarme du monde» ?

Les Etats-Unis ont d’abord cherché à se venger, par la campagne d’Afghanistan, puis à utiliser l’effet 11-Septembre à des fins personnelles en vue de la recomposition politique du Moyen-Orient, entre autres par le concept du «Nouveau Moyen-Orient» (NMO). La guerred’Irak délégitima les Etats-Unis et leur fi t perdre tout le capital de sympathie accumulé lors de l’attentat. Les Etats-Unis ont utilisé le 11-Septembre pour tenter d’installer un nouvel ordre «démocratique » dans le monde arabe.

Et ce nouvel ordre démocratique vient des peuples arabes eux-mêmes, non pas des concepts de Washington...

L’invasion de l’Irak, engagée de façon illégale au plan international et sous de faux prétextes, devait servir à installer une démocratie par la contrainte à ce pays. Le succès espéré de cette politique globale était censé faire tache d’huile et être imposé à un ensemble disparate de la Mauritanie au Pakistan. Mais l’échec cinglant de l’après guerre mit un terme aux prétentions américaines. Le fait que les Etats-Unis aient refusé de prendre la direction des opérations en Libye illustre bien la nouvelle prudence de l’administration Obama. Ce dernier, dans son discours du Caire, a d’ailleurs essayé de proposer une nouvelle politique au monde arabe basée sur la dignité et le respect mutuel des valeurs.

Pourquoi parler, notamment à la FRS, d’«hyper-terrorisme» depuis le 11-Septembre ?

Cela correspondait en fait à l’effet de masse. On ne se contentait pas de tuer des dizaines de personnes mais des milliers. Ce processus, commencé en 1995 avec l’attentat au gaz sarin de la secte Aum Shinrikyo à Tokyo, trouvait son apogée dans l’écrasement des avions et, quelques jours plus tard, dans les attentats à la maladie du charbon (anthrax) qui, faisant certes peu de victimes, contribuait à accroître l’angoisse générale. L’hypothèse de l’époque était que les terroristes utilisent des moyens non conventionnels dont des moyens nucléaires rustiques. Pour l’heure, cette menace ne s’est heureusement pas concrétisée mais elle est dans l’esprit de nombreuses administrations.

Le politologue Bertrand Badie écrivait dans «La Croix» en 2005 que «l’obsession terroriste travestit le monde []…] et sert []…] les entrepreneurs de la violence». Vous souscrivez ?

Comme toujours, le risque est de voir des causes dévoyées. Le terrorisme est une réalité consubstantielle aux sociétés organisées et après le terrorisme islamiste, précédé par le terrorisme internationaliste des années 1970-1980, un autre viendra.

Evidemment, la notion de terrorisme peut être instrumentalisée, soit par les Etats qui peuvent s’en servir pour renforcer leur pouvoir, soit par des sociétés qui y voient une source de revenus (matériels, technologies).

Badie a donc raison en ce sens. Il faut trouver le juste milieu, estimer la menace à sa juste valeur et être capable d’élaborer une réponse raisonnable. De ce point de vue, la notion de «guerre contre la terreur» créée par les Américains après le 11-Septembre est impropre. Il n’y a pas de guerre contre le terrorisme, il y a la loi à opposer au crime.

Les cibles quotidiennes n’étant pas les pays occidentaux, difficile d’opposer la loi à des actes se déroulant dans des zones instables...

Les pays occidentaux ne sont pas les cibles du terrorisme parce que leurs services de sécurité fonctionnent à plein régime. La France déjoue, selon les autorités, au moins deux complots crédibles par an. C’est pour cela que le terrorisme à caractère islamiste se déporte sur des zones où le pouvoir d’Etat est plus faible et dans les zones difficiles à contrôler comme le Sahel avec al-Qaida au Maghreb islamique, le Yémen ou la Somalie.

La mort d’Oussama Ben Laden est-elle plus un symbole qu’une réussite ? Est-ce de nature à durcir les lignes, à polliniser davantage la menace terroriste ?

Dix ans plus tard, la mort d’Oussama Ben Laden ne change pas grand-chose. Il n’était, depuis longtemps, qu’une enseigne, qu’une image symbolique. Cette image durera encore un certain temps avant de disparaître. Pour longtemps, il demeurera l’homme qui a mis les Américains à genou pour quelques générations.

Les guerres en Afghanistan et en Irak sont-elles des échecs militaires, politiques ou idéologiques ?

Ces guerres ou après-guerres sont des échecs politiques. La première parce que les Etats-Unis se détournèrent de l’Afghanistan à partir de 2003 pour aller en Irak, permettant ainsi le retour des talibans. En Irak, la reconstruction ayant ignoré les bases d’un consensus politique à rétablir y compris avec une bonne partie des membres de l’ancien pouvoir et ayant supprimé l’armée et l’administration, le pays ne pouvait que sombrer dans le chaos dont il sort à peine. De ce point de vue, les Etats-Unis ont ignoré les bases relatives à tout conflit engagé. Il faut disposer des conditions politiques de la sortie de guerre pour la conclure. Le Vietnam aurait dû leur servir de leçon.

L’opposition des civilisations ces dix dernières années, mythe ou réalité ?

Ce sont les terroristes islamiques radicaux qui ont manipulé ce concept pour créer une opposition fictive entre un monde de l’islam imaginaire et le monde occidental. Mais les Etats-Unis sont tombés dans le panneau en surjouant l’idée de guerre jusqu’à employer improprement le terme de «croisade». Le fait que les révolutions arabes se soient engagées sans référence à la haine de l’Occident est un bon exemple de l’échec de ces tentatives.

L’émergence de puissances, notamment la Chine et l’Inde, change-t-elle la manière d’appréhender le terrorisme international et d’y répondre ?

La Chine a finement utilisé le 11-Septembre et la notion de terrorisme en se rangeant au côté des Etats-Unis. Cela lui permettait, qui plus est, d’amalgamer la question Ouïgour au terrorisme islamique et de se poser en rempart. L’Inde est, pour sa part, confrontée à un terrorisme de diverses natures (hindouiste radical, islamiste, etc.) Chacun de ces pays instrumentalise le terrorisme à sa manière à des fi ns propres.

Du coup, la réponse au terrorisme a parfois été discutable, comme à Guantanamo...

Le travail des démocraties responsables est de traiter la question terroriste à sa juste dimension et de lui apporter une réponse légale appropriée en refusant les modes exorbitants de lutte extrajudiciaires (torture, traitements dégradants, pratiques extralégales). La montée en puissance des pays émergents ne doit pas conduire les pays occidentaux à céder sur leurs valeurs et, dans le cas particulier des Etats-Unis, cela doit conduire pour l’ex-unique hyperpuissance à les retrouver.

Entretien réalisé par Gilles RIBOUET
(Source : l’express iD, jeudi 8 septembre)

 

Gilles RIBOUET