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Jean-Pierre Techer : «Une justice qui tue n’est pas une justice»
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Jean-Pierre Techer : «Une justice qui tue n’est pas une justice»
Le Réunionnais Jean Pierre Techer est un rescapé du couloir de la mort. A Maurice à l’initiative de la «Public Relations and Communication Professionals Association» (Mauritius), il a animé un forum-débat sur la peine de mort. Son adversaire était Raj Mootoosamy de l’association «Victim Support Mauritius». Dans l’entretien qu’il nous accorde, Jean- Pierre Techer nous livre son témoignage et explique pourquoi la peine capitale n’est pas une solution.
 
¦ Comment avez-vous vécu le moment où la peine de mort vous a été infligée ?
Cela coupe le souffle. Il faut comprendre que je n’avais qu’un peu plus de 20 ans. Aujourd’hui, je n’ai rien de ce garçon-là. Je ne connaissais rien à la justice. Je me suis alors rendu compte de mon ignorance. Je me disais que j’avais encore à apprendre de la vie. Quand on n’a pas la notion du savoir, on est irrémédiablement perdu.
Dès le lendemain de ma condamnation, on m’a dit que je n’avais que cinq jours pour un pourvoi en cassation. Ce que j’ai fait. Je dois dire que mon avocat avait traité l’affaire légèrement. Il y a une pluralité de motifs de cassation. J’apprendrai par la suite qu’il était de droite et proche du maire de St-Leu, avec lequel mon père avait eu quelques petits problèmes.
Pour la cassation, le condamné n’est informé de son issue que lorsque la demande de grâce auprès du président de la République est acceptée ou non. Six mois après mon incarcération, j’apprenais que le président Pompidou m’avait gracié. Ma peine était commuée en réclusion criminelle à perpétuité.
¦ Comment avez-vous accueilli cette décision du président de la République ?
Un énorme poids a été enlevé de mes épaules. Mais pourrais-je m’en réjouir pour autant ? Nullement. On se dit qu’on va passer toute sa vie en prison. C’est une mort à petit feu. Est-ce que c’est préférable à la peine de mort ? Il y a des moments, durant votre détention, où vous finissez par envier votre victime qui, elle, ne souffre plus. Parfois, vous pleurez comme un gosse. D’autant plus que les conditions de détention étaient pénibles à l’époque.
¦ Pendant six mois, vous avez vécu dans les couloirs de la mort…
Ce n’est pas la peur de la mort qui vous taraude pendant ces moments- là. Moi, je me demandais continuellement comment j’en étais arrivé là. Je pensais à la souffrance de ma famille et de toutes les personnes qui souffraient à cause de mon acte. On est 24 heures sur 24 face à son crime.
¦ La peine capitale qui pesait sur vous est enlevée. Comment vivre la suite de votre détention ?
On quitte le quartier des condamnés à mort et on retrouve les autres. Néanmoins, cela ne fait pas passer l’angoisse. J’avais constaté que les autres détenus avaient peur d’être avec eux-mêmes. Ils passaient ainsi leur temps dans la cour. Moi, je restais plus longtemps dans ma cellule car je me demandais toujours pourquoi j’étais là. Graduellement, je me suis investi dans des activités. Par exemple, j’ai fi ni par être responsable de l’atelier de reliure. J’ai fait des études par correspondance. C’est ainsi que je suis arrivé jusqu’au bac sans l’obtenir toutefois. Puis, j’ai tenté de m’évader par quatre fois. J’ai aussi fait quatre tentatives d’évasion. La dernière a été la bonne.
C’était en 1985. J’ai retrouvé la liberté pendant 15 jours. Je dois dire que je ne me cachais pas. Le but, c’était d’informer l’opinion publique des conditions de détention dans les prisons. Je l’ai fait en écrivant aux journaux.
¦ Quel est votre message aux partisans de la peine capitale ?
Je dois d’abord dire que je ne suis pas à Maurice pour faire la leçon mais seulement pour partager mon expérience. Cela dit, les partisans de la peine de mort doivent comprendre que la société ne peut pas prendre comme une exigence de justice la mort de quelqu’un. Une justice qui tue n’est pas une justice. La vie est un don de Dieu et nul ne peut en être privé. Aux assises, ce sont 12 jurés qui prennent, sous l’angoisse, une décision. Ils délibèrent en se retirant pendant quelques heures. Peut-on décider de la vie d’une personne en quelques heures ? La décision est humaine. Donc, elle est faillible. Bien sûr, on n’a pas le droit de tuer. C’est logique de rechercher à punir un meurtrier mais quelqu’un qui tue n’est pas quelqu’un de normal.
Propos recueillis par Nazim ESOOF
 
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