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Jimmy Harmon : «Le kreol participe du processus de mauricianisation»
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Jimmy Harmon : «Le kreol participe du processus de mauricianisation»
Comment se prépare l’introduction du kreol comme matière au cycle primaire ?
Il y a l’Akademi Kreol Morisien(AKM) qui prépare cette arrivée du kreol morisien à l’école. Ce travail s’effectue à différents niveaux. Il y a des tâches bien défi nies qui ont été entreprises. Notamment en ce qui concerne la grammaire, l’orthographe et le programme d’études. A ce jour, le travail sur la grammaire et l’orthographe a été réalisé par l’équipe des Drs Arnaud Carpooran et Daniella Police respectivement. Ces deux dimensions sont déclinées sous l’appellation «Kreol Morisien Standard». C’est ce qui permet au kreol d’entrer à l’école.
Comment voyez-vous le chemin parcouru ?
Le kreol, à Maurice, a ses ambiguïtés historiques que nous avons à gérer et à assumer. Il y a eu tout un combat pour mener à sa reconnaissance. C’est un combat avec différents acteurs aux perspectives différentes qui ont marqué différentes périodes de notre pays. Il a débuté par le courant nationaliste représenté par Dev Virahsawmy et toute la génération Soley Ruz durant la période post-Indépendance. Puis, il y a eu le mouvement des productions artistiques des soldats lalit militan des années 80, le travail de litteracie de masse par Ledikasion Pu Travayer et le mouvement d’affirmation identitaire créole, surtout durant la période post-émeute
février 1999 jusqu’à ce jour. Sur le plan pédagogique, il y a eu bien sûr le Prevok-BEK qui est venu bouleverser l’ordre établi. Depuis, c’est avant tout la question du kreol comme langue identitaire qui a mené le gouvernement et l’ensemble de la classe politique à proposer le kreol morisien comme matière optionnelle au même titre que les langues optionnelles existantes qui sont des langues identitaires dans le contexte socio-historique mauricien.
Il reste une autre question capitale. Celle du programme d’études…
C’est, en effet, un débat de fond. Le contenu du programme d’études est fondamental. C’est un travail qu’entreprend actuellement le Mauritius Institute of Education, parallèlement à celui sur la formation. La tâche de l’élaboration du curriculum a été confiée au Curriculum Working Group dont j’ai présidé les premiers travaux. Déjà, la question culturelle et surtout de l’ancestralité fut soulignée et il y a eu un bon débat là-dessus au sein de l’AKM. Par la suite, par souci du bon fonctionnement et dans le respect des institutions, j’ai demandé moi-même à ce que la poursuite des travaux se fasse par une institution appropriée. Au-delà des différentes écoles de pensée sur la définition de ce qu’est un curriculum, il comprend généralement les objectifs éducatifs, le contenu, les techniques d’enseignement et l’évaluation. Mais c’est surtout dans le processus de l’élaboration, qui engage la consultation la plus large possible, que nous entrons dans les questions fondamentales telles que les valeurs à transmettre à l’apprenant.
Qu’est-ce qui peut être proposé?
A l’image de l’apprentissage de l’urdu et de l’hindi dans leurs deux dimensions respectives en tant que langues et cultures, le kreol et le bhojpuri doivent être étudiés par rapport à leurs multiples facettes. Ce sont des langues qui transmettent des valeurs. Le modèle d’enseignement le plus approprié est celui de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), qui préconise «the heritage language model» (NdlR : langues comme dynamiques d’héritage). Dans cette dimension, la langue se raconte et raconte un monde à travers des chants, des sirandanes, des contes… soit dans sa portée folklorique. Il y aura toujours des mises à jour à effectuer. Ce serait significatif d’avoir un débat sur ces questions. Il y a enfin la dimension identitaire autour du kreol. Il y a ce sentiment d’identification des créoles à une langue. Mais pas dans un esprit de repli. Puisque le kreol participe aussi du processus de mauricianisation qui concerne tout le monde. Le kreol a cette potentialité de reconnaître des identités particulières et universelles à Maurice. C’est une question de fond qui devrait intéresser les intellectuels et les opinion leaders, entre autres. Ce n’est pas une question qui aura une incidence directe sur l’apprentissage du kreol morisien au niveau du primaire. Mais, dans une vision globale, qui s’étend jusqu’au tertiaire, elle a son importance.
Entrevue réalisée par Nazim Esoof
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